C’est un Français qui rencontre un Québécois :

« Du coup, tu viens d’où ?

– Dans le fond, je viens du Québec.

– Du coup, t’as un accent !

– Dans le fond, toi aussi.

– Du coup, t’arrêtes pas de dire “dans le fond”.

– Dans le fond, t’arrêtes pas de dire “du coup”. »

La langue française est aux prises avec deux virus. De ce côté-ci de l’océan, c’est « dans le fond ». De l’autre côté, c’est « du coup ». Deux expressions anodines qui tapissent toutes les conversations.

En soi, « dans le fond », c’est ben correct. Trois mots bien ordinaires. Trois mots bien sages. Pas de sacre parmi eux. Ni de joual. Ni d’erreur grammaticale. « Dans le fond », ce n’est pas « si j’aurais ». « Dans le fond », c’est bien français. Alors, dites-moi pourquoi on a pris l’expression « dans le fond » en aversion.

Dans le fond, c’est simple… C’est parce qu’on l’entend trop. On l’entend tous les cinq mots. Dans n’importe quel contexte. Dans le fond, je pense que je vais prendre un Uber. Dans le fond, le Canadien est toujours invaincu. As-tu vu Trudeau s’excuser pour son blackface ? Dans le fond, il était blanc comme un linge.

Dans tous les cas, « dans le fond » n’ajoute rien au propos. Ne sert à rien. Ne fait qu’alourdir la phrase. Alors pourquoi le dit-on ? Pour combler le vide. Pendant une seconde ou deux, on ne sait pas quoi dire, alors on dit dans le fond, en attendant de structurer sa pensée. On pourrait aussi bien dire : un bateau, deux bateaux, je pense que je vais prendre un Uber. Un bateau, deux bateaux, le Canadien est toujours invaincu. As-tu vu Trudeau s’excuser pour son blackface ? Un bateau, deux bateaux, il était blanc comme un linge.

C’est une béquille. Une expression passe-partout. Même chose pour le « du coup » de nos cousins français. Du coup, je me tire en Uber. Du coup, les Bleus ont la pêche. As-tu vu la tronche de Macron ? Du coup, il était jaune comme un gilet. Pourquoi ils abusent du « du coup » et nous du « dans le fond », là, est la question. Pourquoi pas du fond et dans le coup ? Si c’était du cou, sans le p, on pourrait croire que ça remonte à leur histoire, au temps de la guillotine, mais c’est du coup, comme dans coup de boule. Alors pourquoi ?

Qu’est-ce qui fait que tout un peuple adopte le même tic de langage ? Ça ne vient pourtant pas d’une pub, ni d’un film, ni d’une chanson. C’est pire. C’est encore plus envahissant. Ça vient de la rue.

Quelqu’un, quelque part, s’est mis à dire « du coup », et les gens autour l’ont repris, et au bout d’un certain temps, tout le pays l’a dit. C’est le syndrome des punaises de lit.

Pourquoi les Français ont choisi « du coup », et nous, « dans le fond » ?

Les Français sont pressés. Ils parlent rapidement parce qu’ils ont beaucoup de choses à dire. Dans leur discours, « du coup » ponctue leur empressement. Je suis arrivée au café, du coup, mon flirt Tinder n’y était pas, du coup, je me suis emmerdée. J’ai eu le temps de prendre trois cafés. Du coup, il est arrivé. Du coup, je me suis encore plus emmerdée. Les « du coup » ont la même utilité que les « pif » et les « paf », dans un monologue de Louis de Funès. Je suis arrivée au café, pif ! Ma biche n’y était pas ! Paf, j’ai foutu le camp. Pouf ! Leurs « du coup » servent à maintenir leur rythme.

Les Québécois sont plus hésitants. C’est pour ça qu’on a choisi « dans le fond ». C’est comme si on ne cessait jamais de préciser notre pensée. Je suis arrivé au café, dans le fond, j’aime pas vraiment le café, dans le fond, c’était pour rencontrer le gars sur Tinder, dans le fond, je ne suis pas vraiment sur Tinder, dans le fond, c’était juste, cette fois-là…

On aime ça tourner en rond. Nos conversations ressemblent à notre circulation. On ne cesse de faire des détours. « Dans le fond » est le cône orange de notre élocution. Ça nous permet de ralentir. De changer de direction.

J’ai voté pour la laïcité de Legault, pis là, dans le fond, je vais voter pour la diversité de Trudeau. Dans le fond, n’essayez pas de comprendre.

Alors que faire pour que l’on délaisse ces poux du langage ? Une taxe serait le meilleur moyen. Un dollar ou un euro dans les coffres de l’État chaque fois qu’un Québécois dit « dans le fond », chaque fois qu’un Français dit « du coup ». Le Québec n’aurait plus besoin de la péréquation, et la France, de l’Europe !

Bien sûr, ce serait difficile à percevoir. La façon la plus simple, c’est d’en parler. Les gens qui disent « dans le fond » ou « du coup » à répétition ne s’en aperçoivent pas. Les mots sortent de leur bouche sans avoir été réfléchis. C’est comme cligner des yeux. Ça se fait tout seul. S’ils parviennent à prendre conscience de leur utilisation à outrance de ces termes, ils vont s’entendre les dire. Et ça va les agacer, eux aussi.

Du coup, le problème sera réglé. Dans le fond, il risque de continuer.