Au début de l’été, notre cœur était pris. Par Félix, Milos ou Denis. Et même par Eugenie. Parce qu’Eugenie, c’est Eugenie. On était heureux comme ça. Les petits gars jouaient juste assez bien pour nous faire vibrer un peu. Et Eugenie faisait ce qu’elle pouvait.

Et puis, début août, elle est arrivée. Avec son look de fille très simple. Sans extravagance. Sans arrogance. Elle s’est juste mise à gagner. À gagner et gagner. Avec une telle rapidité qu’on a à peine eu le temps d’apprendre son nom. Bianca… Bianca Andres… Bianca Andreescu. Les colons de souche que nous sommes ont encore du mal à l’épeler. Pour nous tous, elle est devenue la Canadienne, tout simplement. Notre Canadienne à nous. Même pour ceux qui votent pour le Bloc. Après tout, l’Ontario, c’est collé sur le Québec.

PHOTO CHARLES KRUPA, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Bianca Andreescu est devenue la première Canadienne de l’histoire à remporter un titre majeur de tennis en simple en battant l’Américaine Serena Williams 6-3, 7-5 à Flushing Meadows, il y a une semaine.

Alors, on s’est tous collés à elle, instantanément. Bianca est notre amour d’été. Un coup de foudre monumental. Comme Travolta voyant Olivia, on a été renversés.

Entre le moment où l’on a su qu’elle existait et la grande extase, il s’est passé quelques semaines, à peine. De la date Tinder à la nuit de noce, en moins d’un mois  ! C’est du smash !

La grande extase, ce fut samedi dernier. Elle nous a fait vivre l’un des plus grands moments de l’histoire du sport de notre pays. Elle a fait ce qu’aucun homme et aucune femme de chez nous n’avait réussi à faire, avant elle. Remporter un tournoi du Grand Chelem. Et pas n’importe comment. En triomphant de la légende du tennis féminin, Serena Williams, sur son terrain, à New York.

Après le point gagnant, quand Bianca Andreescu s’est jetée sur le terrain, en faisant l’étoile, des millions de Canadiens étaient plus heureux que l’instant d’avant. C’est quand même fou, à quel point les exploits sportifs viennent nous chercher.

PHOTO SARAH STIER, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Après le point gagnant, Bianca Andreescu s’est jetée sur le terrain.

Parce qu’une personne vient de notre coin, de notre bout du monde, on s’identifie à elle. Bianca n’est plus seulement Bianca, elle est Biancanada. Et quand elle joue, c’est nous qui jouons. Samedi dernier, le tennis était un sport d’équipe. Quand Bibi frappait la balle, tous les bibis que nous sommes la frappaient avec elle. Et quand Serena la retournait, c’est tous les USA qui la retournaient avec elle. Quel match  ! Sans même bouger, bien installé dans notre divan, on était complètement épuisés. Vidés. Il faut dire que le tennis est dur pour les nerfs. Dès que la joueuse lance la balle dans les airs, avant de servir, on retient notre souffle. Et parfois, on reste en apnée une éternité, tellement l’échange est long. On n’a jamais aussi bien joué que samedi dernier. Tous les partisans, même ceux situés à des centaines de kilomètres du stade, ont toujours l’impression d’y être pour quelque chose, quand leur favorite l’emporte. On croit que si on n’avait pas été là pour la regarder, elle n’aurait pas pu gagner. On pense tous, dans notre for intérieur, que notre désir, que nos ondes l’ont aidée. On s’illusionne un peu. Mais pas tant que ça. Car sans notre passion, l’évènement même n’existerait pas. Et un jeu de balle ne serait jamais devenu un métier aussi payant. Ce sont nos regards qui le rendent important.

On est tous tombés amoureux de Bianca Andreescu parce qu’elle gagne, c’est certain. On a enfin une championne. Notre cœur est un grand opportuniste. Mais on est aussi tombés amoureux de Bibi à cause de sa façon de jouer, à cause de sa façon de gagner.

C’est une fille sincère. Sa confiance en elle ne s’accompagne d’aucune condescendance envers les autres. Croire en soi, ce n’est pas se prendre pour Dieu. C’est croire en l’humain que nous sommes. Avec ses forces et ses faiblesses.

Après sa victoire à Flushing Meadows, Andreescu s’est excusée auprès du public new-yorkais pour avoir battu leur préférée. Celle pour qui il criait si fort. Ce n’était pas du tout gnagnagna comme déclaration. Ce n’était pas de la bullshit, non plus. La joueuse canadienne sentait bien la déception dans l’air. Alors elle a prononcé les mots qu’il fallait, pour que son bonheur ne choque pas les gens.

Elle a été une bonne gagnante. Une denrée rare. Les mauvais gagnants sont encore pires que les mauvais perdants. Un mauvais perdant, on peut toujours comprendre. L’ego transpercé a trop mal pour se contenir. Mais le mauvais gagnant à l’ego boursouflé, qui triomphe comme s’il n’y avait que lui, qui n’a d’attention qu’envers lui-même, il se contente tellement de sa présence qu’on se sent de trop. Avec Bianca, ce n’est pas le cas. Sa façon de gérer sa gloire en est la preuve. On la sentait toujours reconnaissante. Toujours surprise par tant d’égards. Gardera-t-elle cette touchante naïveté ? Je le lui souhaite. Son talent est sûrement lié à cet émerveillement.

Il y a des amours d’été qui durent toute la vie. Dans Grease, ça finit comme ça. Ça va être ainsi avec Bianca aussi. Elle sera notre amour de plusieurs étés. Et ce qu’il y a de bien avec le tennis, c’est que l’été commence en Australie, donc en janvier. On en a pour longtemps à triper.

Merci, Bianca. Pendant quelques heures samedi, les habitants du Canada, de toutes croyances, de toutes origines, de toutes opinions politiques, étaient tous du même côté du filet.

Bien sûr, ça n’a pas duré. Mais on s’éloigne toujours moins loin de quelqu’un avec qui on a déjà été bien, tout près.