Un petit groupe de citoyens de Drummondville en lutte depuis des années contre Waste Management (WM) accuse la multinationale de vouloir les priver, par une procédure judiciaire abusive, de tout droit de regard sur le développement futur de l’un des plus importants sites d’enfouissement d’ordures de la province.

Lors d’une audience de la Cour d’appel à laquelle assistait La Presse plus tôt cette semaine, le porte-parole du Groupe des opposants au dépotoir de Drummondville (GODD), Jean-Guy Forcier, a accusé la firme de vouloir « bafouer la démocratie municipale » par son action.

La requête introduite par WM vise plus précisément à faire invalider par le tribunal le mécanisme de consultation prévu en cas de projet d’agrandissement du site litigieux, situé dans le secteur de Saint-Nicéphore.

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Jean-Guy Forcier, porte-parole du Groupe des opposants au dépotoir de Drummondville

M. Forcier, qui était accompagné d’une vingtaine de membres du GODD, a prévenu les magistrats qu’un verdict favorable à l’entreprise « bafouerait la volonté des citoyens » et les priverait de leur capacité de se protéger contre les menaces de pollution inhérentes à l’afflux de centaines de milliers de tonnes d’ordures.

Le litige porte plus particulièrement sur un article du décret ayant formalisé en 2004 la fusion de la Ville de Drummondville avec des municipalités avoisinantes, dont Saint-Nicéphore.

L’article en question, présenté par le GODD comme une « condition sine qua non » à la fusion, précisait que tout règlement ou tout certificat d’autorisation délivré par la Ville en vue de permettre l’agrandissement ou la construction du site d’enfouissement devait faire l’objet d’un référendum.

Un droit de veto ?

Selon M. Forcier, un ex-maire de Saint-Nicéphore, cette mesure avait été présentée par la municipalité comme un « droit de veto » qui permettrait aux citoyens d’avoir le dernier mot sur toute expansion future.

Elle n’a cependant pas empêché Waste Management d’agrandir l’aire d’exploitation utilisée pour l’enfouissement des ordures en 2013, avec l’aval de la nouvelle Ville de Drummondville et du ministère de l’Environnement.

La firme souhaitait pouvoir enfouir 12 millions de tonnes supplémentaires sur 20 ans, mais s’est vu accorder plutôt 2,35 millions de tonnes sur une période maximale de sept ans.

Bien que l’expansion autorisée était inférieure à celle que réclamait WM, elle passait outre aux promesses faites lors de la fusion, selon M. Forcier, puisqu’elle ne tenait pas compte du fait que les citoyens ont voté majoritairement lors d’un référendum contre le projet et souhaitaient le bloquer.

Le regroupement de citoyens, après de multiples démarches, a décidé de porter sa cause devant les tribunaux afin de faire annuler le certificat de conformité accordé par les autorités municipales et de bloquer l’expansion.

La Cour supérieure tranche

Dans une décision rendue en juillet 2017, le juge Kirkland Casgrain, de la Cour supérieure, a refusé leur demande en invoquant notamment le délai de près de deux ans qui s’était écoulé entre la délivrance du certificat de conformité par la Ville et le dépôt de la requête en 2015.

Il a précisé que les « demandeurs étaient désemparés » et qu’ils avaient « fait de leur mieux » pour procéder rapidement, mais que le tribunal ne pouvait pour autant faire abstraction des conséquences de ce délai, notamment sur WM, qui a investi des millions pour aménager le site.

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Le site d’enfouissement d’ordures de Waste Management, situé dans le secteur de Saint-Nicéphore, à Drummondville

Le magistrat a relevé par ailleurs que « le zonage en place permettait déjà » l’agrandissement de l’aire d’exploitation relevé et ne nécessitait pas d’autorisation de la nouvelle ville, rendant la consultation référendaire inutile dans ce cas précis.

Il a cependant refusé de déclarer « illégal » l’article prévoyant la tenue d’un référendum, comme le demandait Waste Management, qui a décidé de porter cette question devant la Cour d’appel.

L’avocate représentant l’entreprise, Me Christine Duchaine, a expliqué à La Presse à l’issue de l’audience de mardi que WM craignait que les citoyens de Drummondville ne cherchent à utiliser cette clause de nouveau pour l’empêcher d’« aller de l’avant ».

Un nouveau projet d’expansion ?

WM a refusé de préciser si une nouvelle expansion du site d’enfouissement situé dans le secteur de Saint-Nicéphore était souhaitée ou si des démarches avaient été entreprises en ce sens.

Le directeur des affaires publiques de l’entreprise, Martin Dussault, a refusé de répondre à nos questions en évoquant le recours juridique devant la Cour d’appel.

Jean-Guy Forcier estime qu’il ne fait guère de doute que l’entreprise espère procéder en ce sens et poursuivre l’exploitation du site au-delà de 2021 en l’agrandissant.

Je pense que [Waste Management] attend le résultat du jugement pour procéder. S’ils tentent de faire ça, c’est certain qu’on va sauter à pieds joints là-dessus.

Jean-Guy Forcier, porte-parole du Groupe des opposants au dépotoir de Drummondville

Le maire actuel de Drummondville, Alexandre Cusson, qui ne dirigeait pas la ville lorsque WM a obtenu le droit d’étendre ses activités en 2013, trouve que la démarche entreprise en Cour d’appel pour révoquer l’article sur la consultation référendaire va trop loin.

La firme, dit-il, a obtenu gain de cause contre le regroupement de citoyens en 2017 et devrait éviter d’enfoncer le clou.

« Ce qu’ils veulent, c’est faire tomber les mécanismes de consultation et de réflexion en prévision d’éventuelles demandes », relève l’élu, qui n’est pas favorable à un nouvel agrandissement du site d’enfouissement.

Notamment, dit-il, parce que la MRC de Drummond n’envoie plus ses ordures dans le site d’enfouissement de Saint-Nicéphore depuis le début de l’année. Les principales municipalités acheminant des ordures à cet endroit sont Québec, Sherbrooke, Asbestos, Granby, Magog et Richmond.

Quoi que dise la Cour d’appel, Drummondville tiendra un référendum pour « respecter l’esprit » de l’entente formalisant la fusion municipale de 2004 si un nouveau projet d’agrandissement se concrétise. Ce serait cependant au ministère de l’Environnement que reviendrait le dernier mot, prévient M. Cusson.

« On comprend que Waste Management voudrait faire ce [qu’elle veut] sans demander l’avis de personne. En 2019, on est rendu ailleurs en matière de consultation », souligne le maire.

La bataille en quelques dates

2004
Un décret formalise la fusion de Drummondville avec diverses municipalités voisines, dont Saint-Nicéphore. Une clause prévoit la tenue d’un référendum sur tout projet d’agrandissement du site d’enfouissement.

2010
Comme le site de Saint-Nicéphore est en train de se remplir, Waste Management présente une demande pour agrandir l’aire d’exploitation.

2013
La nouvelle Ville de Drummondville et le ministère de l’Environnement donnent le feu vert à une version réduite du projet malgré son rejet par la majorité de la population dans un référendum.

2015
Un groupe de citoyens outrés cherchent à faire annuler la décision en Cour supérieure. Ils sont déboutés deux ans plus tard, mais le tribunal refuse, comme le demandait Waste Management, d’invalider la clause portant sur la nécessité d’une consultation référendaire.

2019
La multinationale tente de nouveau de faire invalider la clause en s’adressant à la Cour d’appel.