C’est une enquête proprement hallucinante que La Presse a publiée samedi, à propos de la prédation spirituelle faite dans nos hôpitaux et dans nos CHSLD. Des patients qui se font dire par des employés du réseau que Dieu va guérir leur cancer, que l’aide médicale à mourir est un péché, que le changement de sexe est la voie vers l’enfer… 

Il m’arrive de lire dans les médias des enquêtes sur des sujets dont je connais un peu les contours. Alors, l’enquête met de la chair sur l’os… 

Mais là, sous la plume de Marie-Claude Malboeuf, nouveauté totale, territoire non balisé : j’ignorais tout de ces vampires de la misère humaine, qui font du prosélytisme auprès de personnes vulnérables, dans des établissements publics. 

Ils sont parfois préposés aux bénéficiaires, parfois infirmières, parfois intervenants spirituels… Parfois, ils sont de l’extérieur. 

Et ils traînent leurs croyances dans la chambre des patients, détestables prosélytes, ils sucent la misère des patients, comme une tique… 

Une patiente suicidaire qui se fait ainsi donner des dépliants de la secte des Témoins de Jéhovah par du personnel d’hôpital. 

Une cancéreuse qui se fait dire par un prêtre – salarié de l’État comme intervenant spirituel – que « Dieu guérira son cancer », ce qui bien sûr constitue un mirage, ce qui bien sûr sème la confusion dans la tête de cette malade au pire moment de sa vie, ce qui l’empêche de faire face lucidement à la suite des choses…

Des horreurs, quoi. 

Mais rien de nouveau, le plus vieux truc du prosélytisme crasse, au fond, vieux comme les religions : promettre le salut à des gens qui sont en déficit chronique d’espoir, un salut qui passe bien sûr par un dieu quelconque…

Pour vous donner une idée du zèle, voici un extrait de l’enquête de Marie-Claude : 

Les intervenants spirituels montréalais disent avoir vu toutes sortes de groupes extérieurs tenter d’avoir accès aux malades : chrétiens, juifs, musulmans, ésotériques, etc. « Toutes les religions et dénominations ont des factions plus fondamentalistes avec des interprétations théologiques toxiques », expose Pierre Alexandre Richard.

Certains petits groupes de chrétiens évangéliques sont particulièrement zélés. « Ils nous approchent à répétition pour qu’on les laisse faire de l’accompagnement comme bénévoles ! », rapporte Mélany Bisson, qui s’érige en rempart. « J’ai fini par avoir des menaces sur mon répondeur, comme quoi j’étais une pécheresse et que je devais demander la rédemption de Dieu. »

L’ironie, c’est que l’État sait tout ça, l’État sait les saloperies auxquelles Marie-Claude a fait écho dans son enquête de samedi. 

C’est écrit noir sur blanc dans l’enquête de La Presse : l’Association des intervenants et intervenantes en soins spirituels du Québec (AIISSQ) a alerté le ministère de la Santé et des Services sociaux de la présence de ces vampires au chevet de malades. 

Et si je lis entre les lignes, l’État n’est pas intervenu, en tout cas pas vigoureusement, pas avant la publication de l’enquête. La ministre McCann a réagi au lendemain de l’enquête, dans La Presse. Sa collègue Marguerite Blais est furieuse, dans un texte qui paraît aujourd’hui. 

Mais avant la publication, Québec savait. Et pour commenter l’enquête dans le numéro de samedi, on a envoyé un porte-parole, pas des ministres. 

Avant d’aller plus loin, appuyons sur pause. Je veux parler des intervenants en soins spirituels. Jusqu’à il y a deux ou trois ans, j’ignorais ce qu’un intervenant en soins spirituels mangeait en hiver, et même en été. 

Ils sont donc 306 au Québec. Ils œuvrent dans les hôpitaux, dans les CHSLD, notamment. Le Québec a beau avoir divorcé de la religion depuis 50 ans, la recherche de sens n’est pas morte pour autant. Vous apprenez la mort de votre enfant aux urgences, vous vivez une fin de vie agitée : il y a des chances qu’un intervenant en soins spirituels vienne vous mettre la main sur l’épaule. 

Les meilleurs vont vous écouter et vous faire parler, ils et elles vont chercher un peu de sens dans le drame, si vous le souhaitez. Si vous ne le souhaitez pas, ils vont vous laisser tranquille. 

Mais même chez ces intervenants qui doivent offrir une approche non confessionnelle, on retrouve des zélés qui vont trouver le moyen de parler de ce que pense Jésus, des péchés des malades et de l’enfer qui les attendrait s’ils prennent telle ou telle décision quant à leurs soins… 

Des folies. 

Heureusement, l’Association des intervenants et intervenantes en soins spirituels elle-même s’en indigne et pourfend les intervenants qui font du prosélytisme. L’Association, farouchement laïque, ne regroupe qu’une fraction des intervenants en soins spirituels salariés de l’État. 

Mais je répète que cette prédation religieuse, c’est su, c’est connu dans le réseau. L’AIISSQ a tiré la sonnette d’alarme, elle a avisé le Ministère. 

C’est évidemment d’une bêtise sans nom. Mais c’est aussi extrêmement ironique. 

Ironique parce que le Québec sort d’un débat qui a duré plus de dix ans sur la laïcité, sur la place des signes religieux dans nos institutions publiques. Mon Doux, vous vous souvenez à quel point l’épouvantail de la prof de maths portant un hijab a été agité, depuis dix ans ? 

La seule présence d’un hijab sur la tête d’une femme enseignant les maths était en soi une forme de prosélytisme et de promotion de l’islam qu’il fallait absolument empêcher…

J’ai dit à quel point je trouvais cette vision réductrice. 

Si elle enseigne les maths, qu’on la laisse tranquille. Si elle invite ses élèves à comprendre la constante d’Archimède en chantant les louanges du Coran, qu’on la passe en discipline et si elle récidive, qu’on la sacre dehors : le prosélytisme n’a pas sa place dans nos écoles. Ni ailleurs. 

Donc, nous sortons d’un débat sur la laïcité où ce gouvernement a dit sur tous les tons que la laïcité n’est pas négociable, que certains employés de l’État doivent laisser leurs signes religieux à la porte parce que c’est comme ça qu’on vit ici, chez nous… 

OK. 

Mais Québec savait que des employés de l’État – intervenants spirituels, infirmières, préposés aux bénéficiaires – écrasent tous les principes de laïcité en faisant du prosélytisme dans les chambres des CHSLD et des hôpitaux, et… Et rien n’arrive. 

L’AIISSQ dit que Québec n’a pas réagi à ses cris d’alarme, lancés bien avant l’enquête de Marie-Claude Malboeuf. Il faut que La Presse en parle pour que les canons ministériels s’indignent et promettent d’agir. Pourquoi le silence de la machine, avant ?

Tant qu’à être dans les questions : pour être membre de l’Association des intervenants et intervenantes en soins spirituels du Québec, il faut suivre des formations particulières et s’engager à prodiguer une aide non confessionnelle. À ne pas faire de prosélytisme, quoi… 

Je vous l’ai dit: une minorité d’intervenants spirituels payés par l’État font partie de l’Association, 70 sur 306. Les autres ? Les autres choisissent de ne pas en faire partie. Les 236 ont sans doute 236 raisons personnelles. Soit.

Mais qu’est-ce qui empêche le gouvernement, demain matin, d’imposer aux 236 autres intervenants en soins spirituels — et aux futurs intervenants — d’adhérer aux critères de l’AIISSQ, qui interdisent le prosélytisme ? Pour l’instant, les critères de cette Association en matière de respect de la laïcité sont plus stricts que ceux qu’impose l’État aux intervenants en soins spirituels.

Mieux : un ordre professionnel permettrait de radier les zélés qui confondent spiritualité et prosélytisme.

JE NE SERAI PAS LOIN

Pas très discrètement, mon journal a souligné samedi que je commence un nouveau défi radiophonique cet après-midi au 98,5 FM, à Montréal. Puisque je ne suis pas à l’abri de ce petit démon qu’est l’autopromotion, je vous rappelle que l’émission Le Québec maintenant est diffusée tous les jours de 15 h à… 

Ah, ah ! Vous pensiez que j’allais utiliser cette chronique pour ploguer mon nouveau show de radio, hein… 

(L’émission finit à 18 h 30 et est diffusée dans la région de Montréal, en Estrie, en Mauricie et en Outaouais…)

Bon, je vais être sérieux, 30 secondes. Je ne quitte pas La Presse. Je le précise parce que vous avez été plusieurs à m’écrire pour me demander si ce défi à la radio signifiait la fin de mes chroniques, ici. Réponse : non. 

Ça fait 15 ans que je jongle avec la chronique et des aventures à la télé et à la radio. C’est beaucoup de travail, et quand je me fais demander « Comment tu fais pour faire tout ça ? », je ne sais jamais quoi répondre, sinon que je finis toujours par y arriver et que la télé et la radio nourrissent cette chronique, et inversement… 

Depuis que j’écris ici à La Presse, depuis fin 2006, au fil des semaines, des mois et des années, j’ai développé un lien extraordinaire avec les lecteurs de La Presse. Je ne sais pas trop pourquoi vous me lisez, mais vous me lisez… 

Et vous vous confiez à moi. C’est le plus décoiffant, dans notre relation : vous vous confiez à moi. 

Les opinions, je les trouve moi-même, surtout dans les réunions du Parti maoïste-léniniste où je prends mes ordres sur du papier recyclé et équitable, comme chacun le sait… 

Mais je dirais que 90 % des histoires que je raconte dans cette chronique, c’est vous qui les déposez sur le perron de ma boîte de courriels. Je vérifie, bien sûr, je laisse mariner, puis j’écris des chroniques sur ces histoires – belles ou pas – que vous me confiez…

Cette confiance me touche, vous n’avez pas idée. 

Bref, je ne veux pas devenir grandiloquent, mais depuis 2006, nous avons développé quelque chose comme une relation. Et j’aime cette relation. Je n’ai pas l’intention de la bousiller. 

Je vais continuer à écrire à La Presse. Mais je prends congé quelques semaines, et après, je serai de retour. En attendant, ma boîte de courriels est là : continuez à me décoiffer, je ne suis jamais très loin.