Jadis, en plein mois d’août, deux amis se sont retrouvés pour la première fois de l’été :

« Salut !

— Salut ! Pis, tes vacances ?

— Magnifiques ! C’était génial !

— T’es allé où ?

— En Italie, avec ma blonde.

— Wow ! Où en Italie ?

— On s’est promenés. On a fait Rome, Venise, Florence et Milan.

— Beau voyage ! Combien de temps êtes-vous partis ?

— Deux semaines. Ça nous a rapprochés. On n’a jamais été aussi amoureux, Karine et moi.

— L’Italie, c’est sûr ! Ça a l’air tellement romantique.

— Pis, en plus, on mange tellement bien. J’ai pris un peu de joues !

— Ha ! Ha !

— Pis toi, qu’est-ce que tu as fait ?

— On est allés dans le Maine, toute la famille.

— Avez-vous eu du beau temps ?

— Trois jours de soleil, deux jours de pluie et deux jours de nuages.

— Pas si pire.

— On a mangé du homard. Pis mon plus jeune a fait du surf pour la première fois. C’est sûr que les vagues sont petites à Ogunquit, mais y’est petit, lui aussi, faque c’était correct.

— Étiez-vous dans un camping ?

— Non, on avait loué une belle maison sur le bord de la mer, avec une grande galerie. Quand tu viendras à la maison, je te montrerai des photos. C’était vraiment beau.

— Bonne idée ! J’apporterai les miennes, ça va te donner le goût d’aller en Italie.

— Super ! Ben, bonne journée !

— C’est ça, à bientôt ! »

Aujourd’hui, en plein mois d’août, deux amis se retrouvent pour la première fois de l’été : 

« Salut !

— Salut ! J’te dis que t’as l’air d’avoir passé des belles vacances !

— Euh… oui…

— Mets-en, oui ! Je t’ai suivi sur Instagram. T’es allé en Italie, deux semaines, avec ta blonde. À Rome, Venise, Florence, Milan, le gros tour ! Vous aviez l’air amoureux. Elle te collait pas mal, ta Karine. Pis vous avez bien mangé, t’as pris des joues sur les dernières photos.

— Oui… Toi aussi, ça avait l’air bien à Ogunquit. Vous avez eu quelques jours de soleil et quelques jours plus gris. Le homard avait l’air bon. Pis ton plus jeune a fait du surf, les vagues n’étaient pas grosses, par exemple. Vous étiez vraiment dans une belle maison, sur le bord de la mer, avec une grande galerie.

— Ben, c’est ça. À la prochaine !

— C’est ça, à la prochaine ! »

Avant, chacun prenait ses vacances de son côté. Coupé du monde. Coupé de son monde. Maintenant, le monde n’est pas coupable. Il est seulement coupable de toujours être là. Dans notre face. Sur notre écran. Sur notre téléphone. On vit nos vacances en vivant celles de tous nos amis en même temps. Et ça met de la pression, parce que tous nos amis, sans exception, passent tellement des vacances de rêve. Chacune de leurs photos respire le bonheur, l’exotisme et l’amour. En les regardant, on s’interroge. On se dit qu’on n’a pas choisi le bon endroit. On se dit même qu’on n’a pas choisi les bons partenaires. On passe nos journées à essayer de prendre au moins une photo qui va concurrencer les leurs. Qui va les rendre jaloux. Ce ne sont plus des vacances. C’est la course autour du monde. On veut être le voyageur à qui les juges vont donner le plus de points.

Ce qu’il y avait de bien avec les congés d’autrefois, où chacun s’isolait avec sa garde rapprochée, c’est qu’on avait le temps de s’ennuyer de ses amis et collègues. On avait même hâte de les retrouver. Maintenant, c’est comme si on avait passé nos vacances avec eux. On n’a rien à se dire. On sait tout. On l’a vu. On l’a liké.

Sur Facebook et sur Instagram, il faudrait un algorithme spécial, l’été. Un algorithme qui ne publierait, sur notre fil, que les vacances qui ont l’air moins hot que les nôtres. Les croisières sur la Méditerranée, les plages de Tahiti, les villas en Grèce, pas besoin de voir ça si vous êtes entouré de mouches noires. Attendez l’hiver pour les faire apparaître, ça nous fera rêver. L’été, on veut tous croire qu’on fait partie du rêve.

Et le pire, c’est que c’est vrai. Peu importe la destination, c’est toujours bon. Le soleil de la Corse est le même que celui de Lachute. La même boule de feu qui nous éclaire. L’un des synonymes de vacances est liberté. C’est à ça que sert l’été, se sentir libre. L’été, c’est faire ce que l’on veut, peu importe où l’on est. Qu’on soit à Balconville ou à Barcelone.

Quand vous croiserez vos amis, puisque vous savez ce qu’ils ont fait durant leurs vacances, demandez-leur ce que leurs vacances ont fait en eux. Il n’y a pas encore de photos de ce qui se passe en nous.