Un juge demande à Québec d’abolir le délai maximal de six mois pour poursuivre une municipalité

Chutes sur les trottoirs glacés, souffleuse qui déchire l’abri d’auto ou suspension abîmée dans un nid-de-poule : Québec devrait faciliter la difficile tâche des citoyens qui veulent être indemnisés par leur ville, suggère la Cour supérieure.

Le juge Pierre-C. Gagnon a lancé cet appel après s’être penché sur l’histoire de Cynthia Maher, citoyenne de Hudson qui négociait de bonne foi avec sa ville jusqu’à ce qu’elle soit victime d’un « procédé déloyal » de la part de celle-ci.

La Ville a rassuré sa citoyenne pendant des mois sur le fait qu’elle allait être indemnisée à la suite de la rupture d’un barrage municipal qui lui a causé des milliers de dollars de dommages. Mais Hudson a ensuite brutalement mis fin aux discussions, en expliquant à Mme Maher qu’au Québec, toute poursuite contre une municipalité devait être lancée à l’intérieur d’un délai de six mois.

J’ai l’impression de m’être fait avoir, parce qu’ils disaient de ne pas m’inquiéter, qu’ils allaient réparer et que la Ville était responsable.

Cynthia Maher

« Alors pourquoi j’aurais actionné ? », poursuit-elle en entrevue téléphonique.

La citoyenne « a été dupée par les paroles creuses et trompeuses des représentants de la Ville », a écrit le juge Pierre-C. Gagnon. Ceux-ci « ne semblent avoir attribué aucune importance à leur sens de l’honneur ».

« Elle aurait mérité de le gagner »

Mais la loi étant claire quant au délai de six mois, le magistrat a dû écarter la poursuite de 211 000 $ de Mme Maher. Il arrive qu’une partie perde un procès « alors que, sur le plan de l’équité et de la justice élémentaire, elle aurait mérité de le gagner », a écrit le juge. « C’est le cas en l’espèce. »

Fait rare, le magistrat a « alerté » l’Assemblée nationale quant au comportement de Hudson et soulevé un débat quant à la pertinence de maintenir ce délai de six mois, qui protège les villes « nécessairement au détriment des citoyens ». Ce privilège « est peut-être devenu désuet et injustifié », selon le juge Gagnon.

En entrevue téléphonique, Cynthia Maher a dénoncé le comportement de sa municipalité. La rupture du barrage municipal, survenue au printemps 2014, a vidé le petit lac Pine de son contenu : celui-ci est devenu un grand terrain vague, au grand dam de plusieurs résidants du secteur. Mais dans le cas de Mme Maher, qui vit tout près de l’embouchure, des arbres, une clôture et une haie de cèdres ont aussi été endommagés ou emportés.

Les reproches véhéments du juge Gagnon envers l’hôtel de ville de Hudson ont un goût doux-amer pour Mme Maher.

C’est bien qu’ils le mentionnent, mais c’est sûr que ça ne paie pas mes dommages.

Cynthia Maher

Elle s’est dite d’accord avec la proposition du magistrat quant à la révision du délai de prescription de six mois pour poursuivre une municipalité.

La Ville de Hudson, pour sa part, n’a pas voulu réagir à la décision ou aux reproches qu’elle contient.

À Québec, on lit ce jugement avec attention.

« Le Ministère [des Affaires municipales] a pris connaissance de ce jugement », a indiqué Sébastien Gariépy, responsable des communications. « Le Ministère procède actuellement à l’analyse de ce jugement. Il déterminera subséquemment la suite appropriée qui devrait lui être donnée. »

Un jugement qui fait son chemin

Normalement, toute personne dispose de trois ans pour lancer une poursuite contre une autre personne, une entreprise ou un gouvernement. La loi prévoit quelques exceptions, dont le délai maximal de six mois pour poursuivre une ville. Cette mesure de protection remonte à plusieurs décennies et a probablement été mise en place pour protéger les intérêts économiques des municipalités, selon Martine Burelle, avocate en droit municipal.

Il lui arrive dans sa pratique de recevoir des dossiers « crève-cœur » de citoyens à qui elle doit annoncer que leur chance de poursuivre leur municipalité est passée depuis longtemps, a-t-elle expliqué.

Le jugement du juge Pierre-C. Gagnon circule actuellement dans le petit milieu du droit municipal québécois, où ce délai est au centre de la pratique des avocats. « Le juge ne peut pas prendre le téléphone et appeler le ministre de la Justice. C’est de cette façon-là qu’il [lui parle] », a dit Me Burelle.

« Une version précédente ce texte mentionnait erronément que Me Alain-Claude Desforges représente la Ville de Hudson. Il représentait plutôt Cynthia Maher. » Nos excuses.

Une version précédente de ce texte contenait une erreur quant au prénom de l’avocate en droit municipal Martine Burelle (et non Manon Burelle). Nos excuses.