Refusé comme client par toutes les banques canadiennes, un lobbyiste montréalais controversé demande à Ottawa de forcer les institutions financières à lui offrir des services de base, malgré ses liens avec des gouvernements autoritaires et des seigneurs de guerre un peu partout dans le monde.

« Chaque citoyen canadien a le droit d’ouvrir un compte bancaire selon la loi, mais dans les faits, les banques peuvent te refuser parce qu’elles ne t’aiment pas. Elles ne donnent même pas les raisons, ça n’a aucun sens », fulmine Ari Ben-Menashe.

Le lobbyiste globe-trotter dit être incapable d’ouvrir un compte dans une institution financière et d’obtenir une carte de crédit ou de débit au Québec. Il dit avoir frappé à toutes les portes depuis 2012 : chez Desjardins, à la CIBC, à la Banque Royale, à la Banque de Nouvelle-Écosse, à la Toronto Dominion et à la Banque Laurentienne.

Certaines lui ont dit qu’il représentait un « risque », sans en préciser la nature. La liste de ses clients y est certainement pour quelque chose : il a déjà été embauché pour fournir des hélicoptères d’attaque russes à la République centrafricaine, il a travaillé pour l’ancien directeur du CUSM Arthur Porter afin d’obtenir du financement russe pour des projets en Sierra Leone, il a représenté le régime répressif de Robert Mugabe au Zimbabwe et il a été embauché par des chefs de guerre libyens impliqués dans la guerre civile.

Le mois dernier, le gouvernement canadien a même demandé à la GRC d’enquêter sur lui après que le Globe and Mail eut révélé qu’il travaillait à l’obtention d’armes pour le régime militaire soudanais, qui est frappé de sanctions par le Canada.

« Tout ce que je fais est légal »

M. Ben-Menashe, dont les bureaux sont établis rue Notre-Dame à Montréal, croit qu’il n’y a là aucun motif pour le bannir du système bancaire canadien.

OK, [les banques] ne m’aiment pas, elles n’aiment pas mes opinions politiques, elles n’aiment pas ce que je fais. Mais tout ce que je fais est légal et je n’ai jamais eu un chèque qui a rebondi. Rien !

Ari Ben-Menashe

Dans sa requête déposée en mars dernier à la Cour fédérale, il demande à un juge de forcer le ministère des Finances du Canada et l’Agence de la consommation en matière financière (l’organisme fédéral de surveillance des banques) à intervenir dans son dossier.

« Le demandeur habite à Montréal et nécessite l’usage d’un compte personnel et d’une carte de banque, ce dont il est privé sans droit et sans explication », écrivent ses avocats dans la requête.

Le document allègue que les instances gouvernementales ont refusé ou négligé de faire respecter le droit de M. Ben-Menashe d’obtenir des services bancaires en tant que citoyen canadien. La requête demande à la Cour fédérale de forcer les autorités fédérales à enquêter sur le dossier et à se prononcer sur le droit du lobbyiste à obtenir des services. Elle demande aussi au juge d’imposer au gouvernement canadien la création d’un mécanisme d’appel pour les gens qui se voient refuser des services bancaires.

Ari Ben-Menashe croit que des milliers de personnes se retrouvent dans la même situation que lui face aux banques canadiennes. Il est bien conscient qu’avec la nature de son travail, il n’est pas nécessairement la personne la plus populaire que ceux-ci auraient pu choisir comme porte-étendard.

Je ne suis probablement pas le gars le plus populaire à Ottawa. Je ne suis pas nécessairement la politique étrangère canadienne. Mais ce n’est pas un concours de popularité, c’est une question de loi et de droit.

Ari Ben-Menashe

Risque d’atteinte à la réputation

M. Ben-Menashe a entamé une autre poursuite, devant la Cour du Québec, contre le géant américain American Express, qui a annulé sa carte de crédit alors qu’il se trouvait en voyage à l’étranger l’an dernier.

M. Ben-Menashe affirme qu’il était en Russie, le 27 avril 2018, lorsque son assistante a découvert que la carte ne fonctionnait plus, en tentant de lui réserver un hôtel à Londres pour la suite de son périple.

La carte, une American Express Centurion noire, l’une des cartes les plus exclusives, réservée aux très riches clients, était utilisée par M. Ben-Menashe depuis plus de 20 ans, affirme la poursuite. Il l’aurait utilisée pour des dépenses de plusieurs millions en hôtels et voyages d’avion en première classe, écrivent ses avocats.

M. Ben-Menashe réclame 40 000 $ en dommages à American Express pour compenser les inconvénients subis. Dans sa défense, l’entreprise américaine assure avoir agi en suivant les règles.

« En conformité avec ses obligations réglementaires et sur la base de préoccupations quant au risque d’atteinte à la réputation, Amex a annulé la carte Centurion du plaignant et toute carte supplémentaire, comme elle en avait le droit », lit-on dans sa réponse à la cour.

Quelques clients passés d’Ari Ben-Menashe

– Arthur Porter, PDG du Centre universitaire de santé McGill accusé de corruption

– Le général Mohamed Hamdan Dagalo, dirigeant militaire de facto du Soudan

– Le Conseil des députés libyens de Tobrouk, impliqué dans la guerre civile

– Le gouvernement autoproclamé de Cyrénaïque en Libye

– Le gouvernement de Robert Mugabe au Zimbabwe

– La république du Congo

– Le gouvernement de Côte d’Ivoire

– Le gouvernement de Zambie

– Christopher Siriosi, politicien séparatiste en Papouasie-Nouvelle-Guinée

– Jean-Jacques Ekindi, politicien camerounais