Une famille de Boisbriand vit des heures d’angoisse depuis samedi. L’identité de Pascal Pouliot a été volée. Tous les mots de passe de ses comptes ont été changés, toutes les informations personnelles contenues dans ses courriels sont entre les mains d’un malfrat. Délit bien calculé : le voleur a frappé durant le long week-end, alors que toutes les institutions sont fermées.

Samedi, 16 h 25. Une alerte retentit sur le téléphone de Pascal Pouliot. Une transaction de 1200 $ vient d’être effectuée avec son compte PayPal pour un achat fait au magasin IKEA de Montréal. Pascal Pouliot est à Québec, chez son frère. Le calvaire vient de commencer.

Le père de famille ouvre ses courriels pour comprendre la provenance de la transaction. Subitement, le message s’efface. Son cœur se serre. Il comprend que quelque chose d’anormal est en train de se tramer. Que quelqu’un d’autre utilise son compte Hotmail. Il constate que son téléphone n’a plus de réseau cellulaire et qu’il a reçu le courriel d’alerte grâce au WiFi de la maison de son frère.

« J’ai tout de suite appelé Desjardins, et ils m’ont dit que je n’étais pas parmi les clients dont les informations personnelles avaient été volées et que mon compte n’avait pas de transaction suspecte. J’ai quand même fait annuler mes cartes de crédit, j’ai appelé Equifax, TransUnion, Bell… Et c’est quand Bell m’a dit que mon numéro de téléphone avait été transféré chez Telus que j’ai compris que j’avais été fraudé », raconte Pascal Pouliot.

Réalisant l’ampleur de l’affaire à mesure que la soirée avance — le fraudeur a même joint un ami de la victime par son compte Messenger pour lui soutirer 1640 $ —, la famille revient dans Lanaudière durant la nuit. À 3 h dimanche matin, elle est au poste de police de la Régie intermunicipale de police Thérèse-De Blainville et reçoit les documents nécessaires à une déposition pour vol d’identité.

Sa vie dans son téléphone

Lundi soir. Dans la cuisine de sa maison de Boisbriand, l’homme est dans tous ses états et raconte en détail le récit invraisemblable du délit dont il est victime depuis deux jours.

« Il a accès à toute notre vie privée. Il sait quand j’entre et sort de ma maison, parce que le système d’alarme est relié à mon téléphone. Tout est dans notre téléphone. On fait ça pour s’aider, mais aussitôt qu’on se fait pirater, on donne toute notre vie privée ! »

Sur une feuille volante laissée sur le comptoir, des numéros sont gribouillés, des notes sont écrites. Voilà 48 heures que Pascal Pouliot a découvert le pot aux roses et que sa femme Anne Sebastiani et lui multiplient les appels et les démarches pour mettre fin au cauchemar.

La bonne nouvelle, c’est que le ou les suspects laissent souvent des traces, et qu’on peut par la suite recueillir des éléments de preuve pour remonter jusqu’à eux via différentes transactions.

Luc Larocque, inspecteur à la Régie intermunicipale de police Thérèse-De Blainville, hier

« Je ne vous ferai pas de cachettes que c’est rarement la fin de semaine qu’on est en mesure de faire ça. Les bureaux de crédit, les services de sécurité et les commerçants sont souvent fermés », a ajouté M. Larocque.

La fin de semaine n’aide pas. Le jour férié non plus. Jamais le long congé de la fête nationale ne leur a semblé aussi interminable.

« On a voulu appeler au centre antifraude à la GRC, mais c’est fermé la fin de semaine. Il faut juste se faire frauder la semaine, entre 9 h et 5 h », s’exaspérait Mme Sebastiani lorsqu’on l’a jointe dimanche.

Les deux sont à bout de nerfs. En fin de journée, hier, tout ce que M. Pouliot était parvenu à récupérer, c’était l’accès à son compte Facebook.

C’est plus facile de voler notre vie que de la récupérer. On est incapables de récupérer quoi que ce soit. Ce n’est pas possible !

Anne Sebastiani, femme de la victime

Le pirate a changé tous les mots de passe des comptes de sa victime et toutes les questions de sécurité. Pour les modifier à nouveau, un code de confirmation est envoyé… par courriel ou par texto. M. Pouliot n’a accès à aucun des deux.

« J’ai la même adresse courriel depuis 23 ans. J’ai toutes mes informations dans ma boîte courriel, des transactions avec de l’argent, tous les documents de la vente de notre maison, les billets d’avion de nos vacances… Quand tu penses à ça, tu freaks », raconte la victime, à qui Hotmail a envoyé un formulaire comportant une kyrielle de questions ultra-précises — « Quel était le numéro de série de la console PlayStation associée à ce compte en 2001 ? » — pour qu’il puisse récupérer son adresse, sans succès.

Le néant de Public Mobile

Bell a accepté sans vérification auprès de M. Pouliot l’annulation de son contrat, pourtant renouvelé il y a à peine deux semaines, ainsi que le transfert de son numéro de téléphone chez Public Mobile, propriété de Telus, samedi. Pour récupérer son numéro, le client a passé plusieurs heures au téléphone avec des préposés de Bell, en vain.

« Entre samedi 16 h 30 et aujourd’hui [hier soir], on a dû appeler une quinzaine de fois chez Bell et il n’y a pas une personne qui nous a dit la même chose. C’est incompréhensible », explique Mme Sebastiani, dont le mari est client de Bell depuis deux décennies.

« Nous examinons la situation de près et nous communiquerons avec le client afin d’obtenir plus de détails et voir comment nous pouvons l’aider », a répondu à La Presse Vanessa Damha, responsable des relations médias chez Bell, dans un courriel laconique, hier.

Ni la victime ni La Presse n’a été en mesure de parler à qui que ce soit chez Public Mobile. Aucun numéro de téléphone ne figure sur le site de l’entreprise, qui assure toutes ses communications par clavardage avec la « Communauté en ligne ». Telus, société mère de Public Mobile, n’a pas répondu aux demandes de La Presse, hier soir.

D’où vient la faille ?

Un lieutenant-détective du bureau d’enquête de la police de Thérèse-De Blainville a avisé M. Pouliot qu’un enquêteur le contacterait dans les prochains jours. Les enquêteurs pourraient faire appel à l’expertise de l’équipe des crimes économiques de la Sûreté du Québec.

Même si la police peut mettre la main au collet du malfrat, reste qu’elle ne sera d’aucune aide dans la gestion de tout ce qu’un vol semblable implique.

« Il faut se débattre. C’est du temps, de l’énergie, et ça, on ne peut pas contrôler ça », admet l’inspecteur Larocque.

Mme Sebastiani et M. Pouliot ignorent comment ils ont pu se retrouver dans pareille situation.

« Où est la faille ? J’ai changé de téléphone cellulaire et renouvelé mon contrat il y a deux semaines ; j’ai fait réparer mon ordinateur chez Apple il y a deux semaines aussi ; est-ce qu’il y a une taupe chez Bell ? On ne sait pas du tout », laisse tomber M. Pouliot, qui ne peut s’empêcher d’éprouver des doutes à l’endroit de Desjardins également.

Sa femme et lui sont désemparés, se sentent mal outillés et aimeraient entrer en contact avec d’autres victimes de vol d’identité afin de s’entraider.

« Il y en a combien d’autres ? On peut s’aider. Comment les gens s’en sortent-ils ? Par quel chemin on doit passer ? », demande Mme Sebastiani, tourmentée par cette histoire de vol impensable, mais vraie.

Apprenez comment vous protéger d’un vol d’identité