Alors que 120 000 postes sont à pouvoir dans la province, le gouvernement Legault vient de diminuer de plus de 20 % le nombre de personnes immigrantes accueillies cette année. Cette décision viendra-t-elle exacerber la pénurie de main-d’œuvre ?

La reprise économique jumelée au vieillissement de la population a un effet foudroyant : plus de 120 000 postes sont à pourvoir dans la province, ce qui place le Québec au premier rang des provinces où l’on manque de travailleurs, selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI).

C’est dans ce contexte que le gouvernement Legault a pris la décision controversée de réduire de 20 % le nombre de personnes immigrantes qui pourront s’établir dans la province cette année, pour l’établir à 40 000 personnes. Le gouvernement veut augmenter à nouveau ce seuil dans les prochaines années, et environ 50 000 personnes immigrantes pourront s’établir dans la province en 2022.

Cette diminution vient-elle exacerber un problème criant ?

En entrevue, Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM), explique être encouragé par le fait que le gouvernement a rehaussé les cibles pour les années à venir.

Si le gouvernement avait maintenu une baisse des seuils d’immigration pendant plusieurs années, ça aurait creusé un trou, ça aurait causé un problème encore plus frappant. Cela dit, je pense qu’il va y avoir une pression à la hausse dans le futur.

Michel Leblanc, président et chef de la direction de la CCMM

Ces jours-ci, la CCMM est contactée par des employeurs inquiets de perdre leurs employés après que le gouvernement de la CAQ a ralenti le traitement des demandes de statut permanent chez les travailleurs immigrants ayant un statut temporaire.

« On reçoit des appels d’entreprises, et à cause du ralentissement du système, ça empêche des employés de basculer vers un statut permanent. Il faut traiter leurs dossiers rapidement, il ne faut pas remettre les gens dans l’avion. »

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Le ministre de l’Immigration Simon Jolin-Barrette

Cette semaine, le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, a confirmé que de 12 000 à 13 000 demandes d’immigration déjà déposées seraient jetées à la poubelle, mais que 3700 demandes présentées par des gens se trouvant déjà en sol québécois continueraient d’être traitées.

Le gouvernement Legault met sur pied un nouveau programme baptisé Arrima, qui vise à cibler les immigrants potentiels dont les compétences sont les plus recherchées au Québec. Une bonne idée, mais qui doit être implantée « pratiquement en temps réel », indique Michel Leblanc.

« La nouvelle plateforme Arrima va nous permettre rapidement d’avoir de nouveaux cas d’immigrants qui veulent venir ici, et qui répondent à des besoins du marché. Notre message pour le gouvernement, c’est : il faut que ça marche. On ne doit pas perdre de temps. »

Message « incohérent »

Julia Posca, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), estime qu’on ne peut pas tenir pour acquis que les personnes immigrantes vont à elles seules régler le problème de la rareté de la main-d’œuvre. Or, le fait que de plus en plus de gens vont quitter le marché de l’emploi au cours des prochaines années n’est pas de nature à améliorer le portrait d’ensemble, dit-elle.

Face à ce problème structurel, c’est évident que l’immigration fait partie de la solution. Ça ne freinera pas le vieillissement de la population, mais ça peut l’atténuer sur le plan du besoin du marché du travail, du besoin des entreprises.

Julia Posca, chercheuse à l’IRIS

Diminuer le nombre d’immigrants que l’on reçoit, dit-elle, a l’effet inverse. « Même si on maintient les seuils au niveau où ils étaient avant que le gouvernement de la CAQ les diminue, on maintient à peu près la population active. Pour que le nombre de personnes en âge de travailler augmente, il faudrait encore plus augmenter les seuils d’immigration. »

Le gouvernement de la CAQ s’est montré enthousiaste à l’idée d’accueillir davantage de travailleurs étrangers temporaires, ce qui envoie un message « incohérent », note Mme Posca.

« Ça nous montre que la décision de baisser les seuils d’immigration est malavisée. En prenant plus de travailleurs étrangers temporaires, on reconnaît qu’on a un besoin d’immigrants, mais on ne veut pas donner les pleins droits aux personnes qui vont venir occuper des emplois ici. On fait venir des travailleurs qui sont plus vulnérables, qui connaissent moins bien leurs droits, qui ne parlent pas bien la langue. On vient grossir les rangs de cette classe d’immigrants qui sont un peu de seconde zone. »

Plusieurs fronts

Pour Michel Leblanc, l’immigration doit se faire sur plusieurs fronts pour avoir des chances de fonctionner. « La solution aux postes non pourvus viendra en partie des processus pour attirer des immigrants, qu’ils soient des travailleurs temporaires, des immigrants permanents, et surtout en conservant ceux qui sont déjà sur le territoire québécois et qui étaient en attente de passer à un statut permanent. »

La couverture médiatique internationale dont les nouvelles lois du gouvernement de la CAQ sur l’immigration et la laïcité ont fait l’objet peut avoir donné l’image d’un Québec hostile aux nouveaux arrivants.

L’occasion est bonne pour envoyer un message positif, estime M. Leblanc.

« Je pense que, dans la prochaine année, on va devoir faire une grande offensive à l’international, pour bien expliquer qu’on est toujours aussi ouverts, et qu’avec notre plateforme Arrima, l’immigration au Québec va connaître du succès. »