(Montréal) Autrefois la norme, le châtiment corporel des enfants est en forte baisse, quoique toujours présent.

En contrepartie, le rythme de vie effréné imposé aux couples qui travaillent a amené au fil des ans un plus grand nombre d’entre eux à recourir à la violence verbale lorsqu’ils perdent patience avec leurs enfants.

La quatrième édition de l’enquête sur la violence familiale dans la vie des enfants, qui est menée périodiquement depuis 1999, démontre que la proportion d’enfants qui ont reçu des tapes à mains nues sur les fesses, les mains, les bras ou les jambes au moins une fois dans l’année a chuté de moitié, passant de 48 % en 1999 à 26 % en 2018.

Les résultats de l’enquête, dévoilés mercredi par l’Institut de la statistique du Québec, montrent aussi et surtout que l’occurrence de sévices plus graves, tels que frapper sur les fesses ou ailleurs avec un objet dur, donner un coup de poing ou secouer un enfant de moins de 2 ans ont aussi chuté de moitié pour devenir l’exception, passant de 7 % en 1999 à 3,4 % en 2018.

La baisse du côté des violences sévères a toutefois surpris les chercheurs, puisque les enquêtes précédentes ne permettaient pas de la prévoir, selon l’une des auteures de l’enquête et professeure au département de psychoéducation de l’Université du Québec en Outaouais, Marie-Ève Clément.

« Dans les trois enquêtes précédentes, ça stagnait : c’était autour de 6 % des enfants. On n’avait pas vu de diminution — ni d’augmentation, heureusement — au niveau de ce qu’on pourrait appeler de l’abus physique, mais on est tombé à 3,4 %, ce qui est significativement moins élevé en 2018 comparativement aux trois autres enquêtes. »

Évolution marquée des mentalités

Cette baisse résulte d’une évolution marquée et mesurable des mentalités en matière de punition corporelle. Et même si les pères ont traditionnellement une attitude plus rigide que les mères à l’égard de la punition corporelle, tous les deux ont connu un changement de mentalité marqué.

Ainsi, en 2004, une mère sur quatre (25,7 %) et un père sur trois (33,8 %) estimaient que « certains enfants ont besoin de tapes pour apprendre à bien se conduire ». En 2018, il n’y a plus qu’un père sur dix (10,9 %) et moins d’une mère sur 10 (7,1 %) qui ont toujours cette opinion.

De même, sur l’utilisation de la fessée comme « méthode efficace pour éduquer un enfant », plus d’une mère sur dix (11,8 %) était de cet avis en 2004, mais elles ne sont plus qu’une mère sur 25 (4,4 %) en 2018. Chez les pères, la chute est encore plus évidente, la proportion de pères ayant cette vision de la fessée étant passée de 16,3 % à 5,7 % entre 2004 et 2018.

Violence verbale dans les familles aisées

Bien qu’il soit difficile d’établir s’il y a eu déplacement ou compensation de la part de parents moins enclins à frapper leurs enfants, les enquêtes passées ont fait état d’une montée de la violence verbale et de l’agression psychologique parallèlement à la diminution de la violence physique.

« En 2012, on avait observé qu’il y avait une diminution de la punition corporelle, comme dans les deux dernières enquêtes, mais en contrepartie, on avait observé une augmentation de l’agression psychologique. On s’était demandé si les parents, sachant que la punition corporelle n’est pas la bonne stratégie, allaient se mettre à crier ou à sacrer davantage avec leurs enfants », raconte Mme Clément.

Heureusement, dit-elle, les résultats de 2018 montrent « une petite diminution de l’agression psychologique, ce qui est une bonne nouvelle. L’augmentation qu’on avait observée ne s’est pas maintenue. »

Conciliation travail-famille inadéquate

Par ailleurs, l’enquête vient ébranler certains préjugés en ce qui a trait aux parents susceptibles de se livrer à de la violence verbale, dont le profil type surprend.

« À chaque enquête, on voit le même profil se dessiner : les situations d’agression psychologique sont davantage corrélées avec les familles souvent mieux nanties, où les parents travaillent et ont un niveau de scolarité plus élevé », précise Mme Clément.

« Ce profil est particulier à l’agression psychologique et c’est constant. On l’a vu en 1999 en 2004 et en 2012. »

Comme dans chacune des éditions précédentes, les chercheurs expliquent cette corrélation par la même hypothèse : « On l’interprète avec le fardeau de la conciliation travail-famille. La conciliation travail-famille, c’est quelque chose qui est particulièrement difficile et qui est associé à de la violence et à de l’agression psychologique. »

« Il faudrait mettre en place des politiques pour mieux soutenir les parents qui sont sur le marché du travail. C’est là où c’est le plus difficile, d’être sur le marché du travail avec de jeunes enfants. On n’a peut-être pas les meilleures conditions pour gérer les situations de stress », avance Marie-Ève Clément.

Une donnée rassure cependant les chercheurs, soit que le nombre d’enfants ayant subi ce genre de traitement a connu une légère baisse en 2018 par rapport à 2012, après une croissance inversement proportionnelle à la baisse de la violence physique durant les années précédentes.

Un enfant sur deux en est victime

Il n’en reste pas moins que près de la moitié des enfants (48 %) se sont fait crier ou hurler après, traiter de noms ou menacer de recevoir la fessée ou de se faire frapper à trois reprises ou plus durant une année.

Une bonne nouvelle est que l’écrasante majorité des enfants vivent avec des adultes qui répondent à leurs besoins essentiels de sécurité et de développement (83 % et 94 %).

En contrepartie, de 5 à 16 % des enfants ne voient pas leurs besoins cognitifs ou affectifs, de supervision ou physiques être comblés de manière optimale. Les résultats montrent, entre autres, que 5 % des enfants âgés de 6 mois à 5 ans sont à risque sur le plan cognitif parce qu’ils ne reçoivent pas assez d’affection, alors que 12 % des adolescents de 13 à 17 ans sont davantage à risque sur le plan de la supervision, c’est-à-dire, par exemple, de ne pas se trouver en présence d’une personne de confiance.

L’enquête « La violence familiale dans la vie des enfants du Québec » a été réalisée en 1999, 2004, 2012 et 2018. Pour l’édition de 2018, 5184 répondants, soit 3984 mères et 1200 pères, ont répondu à un questionnaire téléphonique.