À la rue, dépouillés de leurs biens, plusieurs propriétaires de maisons mobiles devenues impropres à l’habitation à Sainte-Marthe-sur-le-Lac doivent payer malgré eux la location du terrain. La crue des eaux venait à peine de se retirer qu’ils recevaient un avis formel du propriétaire du domaine les enjoignant de respecter leur bail.

Au bord du désespoir, certains sinistrés sont allés frapper à la porte de la mairie, d’autres auprès du service de police de Deux-Montagnes. En vain. Le propriétaire maintient qu’il est dans ses droits. La mairesse de la municipalité, Sonia Paulus, indique qu’elle a les mains liées.

« Ce n’est pas de mon ressort », a-t-elle dit lors d’une rencontre avec La Presse.

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Une cinquantaine de propriétaires de roulottes devenues impropres à l’habitation à Sainte-Marthe-sur-le-Lac doivent payer malgré eux la location du terrain

Frédéric Caron raconte que l’eau a monté jusqu’au comptoir de la cuisine. Il a tout juste eu le temps d’évacuer les lieux avec sa conjointe, ses deux bébés et leur chien avant que l’eau balaie tout sur son passage. La Sécurité publique a condamné sa maison mobile. Il vit aujourd’hui chez sa belle-mère. À la banque, on a suspendu ses paiements hypothécaires pour six mois. Il avait investi 20 000 $ en rénovations. Malgré la débâcle, le propriétaire du domaine de maisons mobiles refuse de résilier son bail ; il continue de lui réclamer de l’argent.

« Il m’a dit de payer, que ce n’était pas son problème ce qui est arrivé. Il a laissé entendre que je n’avais qu’à m’installer une tente-roulotte si je n’étais pas content. Il m’a dit qu’à défaut de payer, il allait me charger un taux d’intérêt de 5 à 8 %, puis de 30 % dans les 30 jours. C’est vraiment malcommode, j’ai un bail signé jusqu’en juin 2020. Il est menaçant, il joue dans la tête des gens. »

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Frédéric Caron raconte que l’eau a monté jusqu’au comptoir de la cuisine.

M. Caron n’est pas le seul. Une cinquantaine de propriétaires de maisons mobiles affirment être dans la même situation. Ils doivent payer plus ou moins 250 $ par mois pour louer un terrain. Certains se sont résignés à payer. Mais plusieurs locataires rencontrés par La Presse refusent de verser les paiements. Parmi eux, des personnes âgées, comme la mère de Mélanie Quirion, qui n’a pas les moyens de se reloger. Sa mère vit chez elle en attendant, explique Mme Quirion, dépassée par les évènements.

Au bout du fil, le propriétaire du domaine de maisons mobiles, Michel Langlois, estime qu’il n’a aucun problème avec ses locataires, que tout va bien, qu’il est tout à fait dans son droit d’exiger le prix de la location. Il indique suivre les règles dictées par la Régie du logement du Québec.

« Malheureusement, les maisons sont sur mon terrain, je n’ai pas le choix de percevoir les locations. Ce n’est pas moi qui fais les lois, on a des baux, des contrats légaux à faire respecter », fait valoir M. Langlois.

« Un logement insalubre, c’est une chose, mais les baux sont encore valides quand la maison est encore dessus. » — Michel Langlois, propriétaire du domaine de maisons mobiles

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Avocat spécialisé en droit immobilier, Me Marc Lanteigne parle d’une situation peu commune pour Sainte-Marthe-sur-le-Lac.

Recours légaux

Des lois provinciales sur la location encadrent les cas de « force majeure », définis comme étant un « évènement imprévisible et irrésistible ». Quant au terrain en location, il est encadré par les mêmes règles que la location d’un logement, confirme la Régie du logement du Québec.

À la Régie, Jean-Yves Benoit, directeur des communications, a fait parvenir des passages de la loi. Il indique que, « dans la mesure où une inondation rencontrerait les critères permettant de la qualifier de force majeure, les parties seraient alors temporairement libérées de leurs obligations, ce qui inclut pour le locateur celle de procurer un logement et celle pour le locataire de payer un loyer en échange ».

Avocat spécialisé en droit immobilier, Me Marc Lanteigne parle d’une situation peu commune pour Sainte-Marthe-sur-le-Lac. Selon lui, un autre pan de la loi peut aussi s’appliquer, celui stipulant que, « même si une situation ne pouvait être qualifiée de force majeure, un locataire peut toujours abandonner son logement s’il devient impropre à l’habitation ».

« À première vue, on parle ici d’un cas de force majeure, précise-t-il. Le terrain, par ricochet, peut être considéré comme impropre à l’habitation », ajoute l’avocat.

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La décision du gouvernement attendue avec impatience

Une partie des citoyens du secteur touché par la crue des eaux sont membres de l’Association des propriétaires du domaine des maisons modulaires de Sainte-Marthe-sur-le-Lac. Son président, Steve Fortin, n’a pas fait le décompte, mais affirme qu’il y a de nombreuses plaintes, des refus de payer.

« Le propriétaire du terrain pourrait à tout le moins commencer par résilier les baux, estime M. Fortin. Mais il ne veut pas les résilier. Il a même tenté d’en renouveler en ajoutant des clauses. On a regardé ça, et on pense qu’on aura des recours pour les locations de terrains perçues en trop. L’association ira chercher de l’argent. »

Dans le secteur touché par la rupture de la digue, les citoyens attendent avec impatience la décision du gouvernement à savoir si la zone sera désignée « inondable » ou « reconstruisable ». D’une façon ou d’une autre, un grand nombre de maisons mobiles sont des pertes totales. C’est le cas de la maison mobile de Maxime Racette et de sa conjointe, qui ont tout abandonné derrière eux, le fameux soir du 27 avril dernier.

« Nous vivons depuis dans le sous-sol d’un ami, explique M. Racette. Nous attendons encore les allocations du gouvernement. J’ai reçu les débris du balcon d’un voisin sur mon terrain. »

« Dans le secteur, il y a une odeur de pourriture dans l’air, c’est macabre. On n’ira certainement pas camper sur le terrain. Ça n’a juste pas d’allure. » — Maxime Racette

Avocat réputé en droit locatif, Jean-Louis Landry rappelle qu’il y a un tribunal administratif à la Régie du logement et qu’ultimement, le facteur de « sympathie » du propriétaire envers les sinistrés pourrait peser lourd dans la balance.

« Je crois aussi que la décision du gouvernement de désigner ou non la zone inondable et reconstruisable sera déterminante, souligne-t-il. Dans le cas d’un incendie, par exemple, le bail est résilié si le propriétaire décide de ne pas reconstruire. Il y a un parallèle à tracer. »

En cas de perte totale du bien loué

La loi encadrant la Régie du logement prévoit aussi que le bail serait résilié « de plein droit » et que les parties n’auraient plus aucune obligation contractuelle l’une à l’égard de l’autre. Dans l’incertitude, ajoute-t-on à la Régie, il revient ultimement au tribunal de décider si un évènement constitue une « force majeure » ou non.

Article 1915 du Code civil 

Si une situation ne peut être qualifiée de force majeure, un locataire peut toujours abandonner son logement s’il devient impropre à l’habitation. Il est alors tenu d’aviser le locateur de l’état du logement, avant l’abandon ou dans les 10 jours qui suivent. Le locataire qui donne cet avis est dispensé de payer le loyer pour la période pendant laquelle le logement est impropre à l’habitation, à moins que l’état du logement ne soit sa faute.

Source : Régie du logement du Québec