L’être aimé peut être votre mari, votre sœur, votre père, votre tante, qu’importe.

L’être aimé reçoit un diagnostic sans espoir. Ça peut être un cancer, l’alzheimer, la SLA, qu’importe. Le diagnostic est clair : il n’y a aucun espoir de guérison.

Quand la vie vous envoie cette tuile épouvantable, l’essentiel s’impose comme la rivière qui reprend son lit. Le superflu disparaît.

Ceux qui vous aiment, et que vous aimez, se rallient. Ils font bloc autour de vous. Si vous êtes un humain d’âge adulte, il est à peu près certain que vous savez dans votre chair ce que j’évoque ici.

C’est souvent à ce moment-là que survient le moment de la promesse.

Elle peut venir d’une demande de l’être aimé : « Promets-moi que tu vas me garder à la maison jusqu’à la fin, je veux mourir chez nous, je veux pas mourir à l’hôpital… »

La promesse peut venir d’un proche, elle peut être non sollicitée : « Je te promets que je vais te garder à la maison jusqu’à la fin, tu vas pas mourir à l’hôpital… »

Mais la promesse est celle d’une mort à la maison, le souhait de bien des gens.

Quand la mort rôde et que le superflu fout le camp, ce qui remonte bien souvent à la surface, c’est l’essentiel, c’est… l’amour. Y a-t-il une plus belle preuve d’amour que de s’occuper de l’être aimé jusqu’à la fin ?

Mais mourir à la maison, c’est difficile.

Je me suis rappelé cela mardi, au palais de justice, quand la juge qui annonçait la peine de Michel Cadotte a pris la peine de souligner la grande culpabilité qui avait envahi celui qui a tué sa femme Jocelyne Lizotte quand il a dû la « placer ».

M. Cadotte avait promis à son épouse atteinte d’alzheimer de la garder à la maison jusqu’à la fin, de ne jamais la confier aux soins d’un CHSLD.

Il avait dû rompre sa promesse.

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Dans un monde idéal, nous pourrions tous mourir à la maison, entourés de ceux que nous avons aimés, dans notre lit, dans notre chambre, dans notre maison.

Des fois, ça se peut. Ça dépend de beaucoup de choses, dont la nature de votre maladie. Pour la maladie d’Alzheimer, l’errance et l’agressivité des dernières phases de la maladie rendent l’option de mourir à la maison extrêmement difficile.

Ça dépend de beaucoup de choses, dont… votre code postal.

Si vous désirez mourir à la maison et que vous habitez le territoire du CLSC de Verdun, par exemple, vous êtes chanceux. L’équipe de soins palliatifs à domicile de ce CLSC, dirigée par la Dre Geneviève Dechêne, a les meilleures statistiques de décès à domicile au Québec : 64 % des patients suivis par cette équipe meurent à la maison.

Aux fins de comparaison, 11 % des Québécois meurent à la maison.

Le CLSC de Verdun fait partie d’une minorité de CLSC (18 sur 68) qui offre des soins palliatifs à domicile adaptés à la réalité des malades. La liste se trouve dans le document ci-bas. Ils sont tous affiliés à l’Université de Montréal.

Sans ces soins de professionnels – médecins, infirmières qui se déplacent à la maison –, s’occuper d’un être aimé malade dans l’objectif de le garder à la maison jusqu’à la mort est un défi colossal.

« Comme proche aidant, on ne sait pas si on va pouvoir s’occuper d’un proche jusqu’à la fin, à la maison, explique Mélanie Perroux, coordonnatrice générale du Réseau des aidants naturels du Québec. Il y a des proches aidants qui deviennent malades avant le décès du proche, à force de s’en occuper. »

Les proches aidants qui ont l’ambition de s’occuper d’un être aimé à la maison jusqu’à la mort sous-estiment l’ampleur de la tâche, note Mme Perroux : « Il y a beaucoup à faire, tant au chapitre des soins à prodiguer qu’à celui du soutien émotionnel. »

Même pour des professionnels, s’occuper d’un proche malade peut être épuisant. Mon ami David Lussier et sa femme Caroline Laverdière sont tous deux médecins. Ils ont été parmi les proches qui se sont occupés de la mère de Caroline, jusqu’à la fin. Mimi, comme se faisait appeler Micheline, désirait mourir chez elle.

Son désir a été exaucé. Ce fut une belle mort.

Mais même si David et Caroline sont médecins, même s’ils pouvaient compter sur des proches aidants formés en soins infirmiers, l’expérience a été épuisante pour eux. Le couple a tiré de cette expérience un article publié dans le Journal of Clinical Oncology, une publication scientifique consacrée à la recherche sur le cancer.

« Mourir à domicile est le souhait de beaucoup de gens, constate David Lussier, gériatre. Mais ce n’est pas facile à réussir. » 

« Je crois qu’il ne faut pas faire cette promesse, celle de garder le proche à la maison jusqu’à la fin. Il faut un TRÈS bon suivi du CLSC, d’une équipe de médecins et d’infirmières qui vient à domicile. » — Le gériatre David Lussier

La Dre Geneviève Dechêne, qui fait des soins palliatifs à domicile depuis 30 ans, a un conseil simple pour les gens qui seraient tentés de vouloir à tout prix mourir à la maison : « Il ne faut jamais dire ça ! Non, moi, je dis à mes patients : “On va faire tout notre possible pour vous garder à la maison le plus longtemps possible.” »

C’est aussi, croit-elle, la seule promesse que les proches aidants devraient faire : je vais essayer, je vais tenter de te garder à la maison le plus longtemps possible.

« Il faut, dit-elle, le voir comme un objectif. »

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On pense trop peu à la mort, on s’y prépare trop peu. J’ai déjà écrit là-dessus, l’an dernier, en racontant l’histoire d’une Lavalloise dont les derniers jours ont été vécus dans la précipitation. Elle voulait mourir à la maison, son mari le lui avait promis…

Je ne dis surtout pas que mourir à la maison est impossible. L’expérience du CLSC de Verdun le démontre. Je dis que mourir à la maison peut devenir extrêmement difficile, parce que mourir n’est pas de tout repos (désolé, je n’ai pas pu m’empêcher…).

Je dis qu’il ne faut pas faire de promesses.

Il faut se renseigner et voir, de façon lucide, quel type d’appui on aura. Êtes-vous sur le territoire d’un des 18 CLSC desservis par une équipe de soins palliatifs à domicile, par exemple ? D’autres services existent, il faut se renseigner, il ne faut pas faire cette promesse à la légère.

Car si vous êtes épuisé et même malade à force de vous occuper de l’être aimé, vous risquez de ne pas goûter sereinement la beauté qui peut envelopper les derniers moments.