(Ottawa) Quand il est sorti de sa péniche de débarquement le 6 juin 1944, Jack Commerford ne réalisait pas le rôle qu’il allait jouer dans ce qui allait devenir l’un des événements les plus importants de l’histoire.

Le jeune homme, alors âgé de 20 ans, s’était enrôlé dans l’armée trois ans plus tôt afin d’abattre des bombardiers allemands. Ce 6 juin, il était trop occupé à faire son travail — et à rester en vie — pendant l’assaut tant attendu des Alliés visant à libérer l’Europe occidentale des nazis.

« Je ne pensais uniquement qu’à mes tâches du moment, se souvient-il. Me rendre là où on m’envoyait et faire ce qu’on m’avait dit de faire. C’est ça qui me préoccupait. Je ne sais pas trop si je pensais à l’ensemble de la guerre. »

Le débarquement en Normandie est considéré comme l’un des points marquants de la Seconde Guerre mondiale.

Au Canada, qui a pris vraiment son envol à la suite de la bataille de la crête de Vimy pendant la Première Guerre mondiale, le Jour J a donné au pays l’occasion de trouver une place véritable parmi les grandes nations de ce monde.

« Le Jour J a fait de nous des gagnants, soutient le major à la retraite Michael Boire, qui enseigne l’histoire militaire au Collège militaire royal du Canada. Il a fait de nous des gagnants à nos propres yeux. C’est extrêmement important. »

Ce n’était pas le rôle que le Canada pensait jouer au début du conflit.

En septembre 1939, le premier ministre de l’époque William Lyon Mackenzie King ne voulait pas que le Canada s’implique trop dans le conflit, car il craignait une nouvelle crise de la conscription comme en 1917-1918. De nombreux Canadiens, particulièrement au Québec, avaient alors protesté contre le fait d’être contraints à aller se battre en Europe.

Mackenzie King a adopté une politique de « responsabilité limitée ». Le gouvernement pensait envoyer un petit contingent pour participer à la défense de l’Angleterre, préférant concentrer les ressources du pays à la fourniture d’équipements et de nourriture tout en servant de terrain de formation pour les Alliés.

« Mais la guerre ne s’est pas déroulée comme il était prévu, souligne l’historien Jack Granatstein, qui a déjà dirigé le Musée canadien de la guerre. En 1940, les Allemands ont tout balayé et le Canada est devenu le principal allié du Royaume-Uni. Alors, l’effort de guerre du Canada était à repenser. »

Le Canada a dû réaménager sa base industrielle pour commencer à fabriquer en masse des armes, des avions, des navires de guerre et des chars. Cela a jeté les bases de la prospérité économique que le Canada a connue dans les années suivant le conflit.

« Nous sommes devenus un pays riche en combattant pendant la guerre », souligne M. Granatstein, qui note que le produit intérieur brut a doublé de 1939 à 1945.

Au début de la guerre, le Canada avait une armée de métier comptant 4200 militaires. À la fin du conflit, environ 1,1 million de Canadiens portaient l’uniforme. On les a vus partout : dans les bombardiers au-dessus de l’Allemagne, dans les convois navals sur l’Atlantique ou dans les villages italiens.

Le Jour J

Mais son heure de gloire a vraiment sonné pendant le Jour J. Si deux des plages de débarquement étaient réservées aux Américains (Utah et Omaha), deux autres aux Britanniques (Gold et Sword), la cinquième avait été attribuée aux forces canadiennes. De son nom de code Juno, la plage couvrait un tronçon de huit kilomètres.

« L’une des cinq plages était nôtre, raconte l’historien Tim Cook, du Musée canadien de la guerre. Nous devions la prendre. C’était l’un des défis du Jour J : si une attaque échouait, le débarquement échouait. »

Les Canadiens se sont préparés, tentant d’assimiler les dures leçons du désastreux raid de Dieppe d’août 1942 au cours duquel 900 soldats canadiens avaient été tués et près de 2000 capturés.

La mise à l’épreuve a commencé dès l’arrivée de la première péniche sur la plage à 7 h 45.

Les pertes de la première vague ont été lourdes. Les Canadiens ont été accueillis par les tirs nourris des Allemands. À la fin de la journée, les pertes canadiennes s’élevaient à 340 morts et 574 blessés. Malgré cela, l’attaque a été réussie, la division canadienne étant l’unité alliée qui s’est le plus avancée dans les terres normandes.

Pendant ce temps, des pilotes canadiens patrouillaient le ciel tandis que plus de 100 navires de la Marine royale canadienne surveillaient la Manche ou transportaient des troupes et de l’équipe vers les plages.

Alex Polowin, qui servait à bord du NCSM Huron, se sentait comme un boxeur qui se prépare à affronter un adversaire.

« La plupart de nos batailles se sont déroulées pendant la nuit. Nous sommes arrivés et, soudainement, voici que des fusées éclairantes éclatent au-dessus du navire pour mieux détacher sa silhouette, se rappelle-t-il. Tu as la peur en toi, mais tu dois haïr cette personne. En boxe, cette poussée d’adrénaline est forcée, là, c’était tout naturel. »

La guerre en Europe allait se poursuivre pendant près d’une autre année. Certains des combats les plus durs se dérouleront après le débarquement, lorsque les alliés se seront éloignés des plages. À la fin du conflit, 45 000 Canadiens avaient perdu la vie.

Le Jour J a eu tendance à éclipser les autres exploits des Canadiens, notamment la bataille de l’Escaut, la bataille de l’Atlantique et la libération de l’Italie. En 1999, le Débarquement a été élu l’actualité canadienne du XXe siècle à la suite d’un sondage mené par La Presse canadienne.

« La Seconde Guerre mondiale a fondamentalement transformé le Canada, soutient M. Cook. Choisir un événement isolé est trop simpliste, mais le Jour J est devenu un symbole. »