(Québec) Depuis un mois, les stratèges de la CAQ savent que leur conseil général « Pour une économie verte », cette fin de semaine à Montréal, risque d’être une boîte à surprises. Il y a quelques semaines, l’environnementaliste Dominic Champagne est devenu membre du parti de François Legault. À la même époque, il déclarait publiquement « mettre au défi François Legault de lancer un seul message qui puisse convaincre et rassurer la jeunesse du pays ».

En fin de semaine, il pourra lancer ce défi face à face. Bien sûr, il s’est engagé à ne pas faire dérailler l’événement, ces rassemblements de militants sont toujours un temps fort pour l’image d’un parti politique. Mais chez François Legault, on sait déjà que le point de presse, incontournable, que fera Champagne en marge du rassemblement militant mobilisera beaucoup d’attention médiatique. Ce sera bon pour son « Pacte pour la transition », qui visait 1 million de signatures – après six mois, on est encore au quart de l’objectif.

Bien des syndicalistes ont déjà acheté des actions de sociétés pour se présenter à leur assemblée annuelle. Mais il n’y a pas beaucoup de précédents à une telle intrusion d’un corps étranger dans un parti politique. Au PQ, Marc Laviolette, le ténor du défunt SPQ libre, marque d’un coup de gueule chaque conseil national, mais le syndicaliste est un péquiste pur jus, ex-candidat et président d’association. Chez les libéraux, Martin Drapeau avait, seul, réclamé une commission d’enquête sur la corruption bien avant que Jean Charest ne déclenche la commission Charbonneau. Mais là encore, Drapeau était un militant de longue date du PLQ.

L’Environnement gérera le Fonds vert

Le plan de match de la CAQ en matière d’environnement paraît tracé, mais s’annonce peu audacieux. Avant les vacances d’été, Québec annoncera les modifications qu’il entend apporter à la gestion du Fonds vert – la brochette des annonces du budget de mars a puisé 1 milliard dans cette cagnotte. Au-delà des barèmes et des critères, les hauts fonctionnaires comprennent une chose : le Fonds vert sera intégré au Ministère et relèvera du titulaire de l’Environnement. Un décideur, un responsable. C’est la marotte de François Legault, ont décodé les mandarins qui l’ont entendu il y a deux semaines dans un forum privé. Depuis des mois, les évaluations négatives s’empilent au sujet du fonds, aux lignes de commandement nébuleuses, devenu avec le temps un bar ouvert pour l’ensemble des ministères. Il a même financé le design des ailerons pour les appareils d’Air Canada.

Le manque de fermeté des engagements de François Legault en matière d’environnement laisse les verts sur leur faim. 

Il reconnaissait ne pas s’être occupé suffisamment du réchauffement climatique à la formation du gouvernement en octobre. Il n’aurait pas donné le feu vert à la cimenterie McInnis, le plus important pollueur au Québec, mais maintenant qu’elle est exploitée, le gouvernement va faire avec. On nous annoncera sous peu qu’on injectera beaucoup de fonds publics pour qu’elle passe de l’énergie fossile à « la biomasse » comme source d’énergie, ou, plus simplement, qu’elle brûle du bois plutôt que du charbon !

L’Alberta en colère

François Legault aura Dominic Champagne devant lui, comme panéliste au conseil général. Mais dans le fond de la salle circulera le spectre de Jason Kenney, le nouveau premier ministre de l’Alberta, assurément le prochain champion du courant conservateur au pays. La déclaration de M. Legault sur « l’énergie sale » de l’Ouest marque encore les esprits en Alberta.

PHOTO CHRIS YOUNG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney

À telle enseigne que la municipalité de Medicine Hat a décidé de boycotter le congrès annuel de la Fédération canadienne des municipalités, qui se tiendra la semaine prochaine. Pourquoi ? Parce que l’événement doit se tenir à Québec. La décision de la ville annoncée au début de mai est passée sous le radar au gouvernement Legault, mais au sein de la fédération, d’autres membres craignaient fort que ce mouvement ne fasse tache d’huile. Cette semaine, on n’avait pas vu poindre cette colère ailleurs.

Le peu d’intérêt du Québec pour le projet d’oléoduc de TransCanada, mis finalement au rancart l’an dernier, a profondément irrité les Albertains. Pour le maire de Medicine Hat, Ted Clugston, il serait indéfendable de dépenser l’argent de ses contribuables pour un événement dans une province hostile. « On estime qu’on leur envoie assez d’argent [aux Québécois], et s’ils ne veulent pas nous appuyer, nous n’appuierons pas leur économie locale », a lancé le maire au moment du vote sur la question à son conseil. La motion a été adoptée à l’unanimité par les neuf conseillers. Pour le conseiller Brian Varga, cité dans la presse locale, comme le Québec ne veut pas aider l’Alberta avec son pétrole, ou son gaz, « la seule façon de riposter est dans le portefeuille, même si cela a peu d’importance dans l’ensemble ».

Le maire de Calgary, Naheed Nenshi, était plus pondéré. Sa ville a des liens privilégiés depuis longtemps avec Québec. « J’ai toujours pensé que le dialogue était préférable à l’attitude consistant à prendre la rondelle et rentrer chez soi », a-t-il dit, cité par le Calgary Herald. Il ajoutait toutefois avoir « songé à ne pas y aller [au congrès de Québec] à cause de cette loi horrible, raciste qui est en préparation au Québec ! », en parlant du projet de loi 21 sur la laïcité.

À Québec, on espère que l’administration Kenney n’adoptera pas une attitude belliqueuse – bien que le soir de son élection, dans un français impeccable, le nouveau premier ministre albertain ait déploré l’allergie du Québec au pétrole albertain. M. Legault insistera plus tard : 53 % du pétrole consommé ici vient de cette province.

Legault veut manifestement faire oublier sa sortie sur le pétrole sale – en fait un trait d’humour qui circulait à son cabinet et que le politicien a intégré. Le ministre des Finances, Eric Girard, ex-candidat de Stephen Harper, est passé à Edmonton, une rencontre de courtoisie de quelques minutes avec l’ancien ministre fédéral.

On travaille déjà sur une rencontre bilatérale entre MM. Kenney et Legault – le scénario le plus probable serait un entretien en marge du Conseil de la fédération, qui, cette année, se tiendra à la mi-juillet, à Saskatoon.

À Québec, il est évident que la stratégie du gouvernement Legault n’est pas de venir en aide au Parti libéral du Canada pour la prochaine élection. La partie de ping-pong médiatique un peu navrante quant à la liste des projets produite ou non par le gouvernement Legault illustre l’absence de complicité des deux gouvernements.