(LA SARRE) Les consultations publiques sur le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État sont terminées. Le débat a été vif, mais les sondages révèlent que la majorité de la population en appuie les principes, notamment l’interdiction pour les enseignants de porter des signes religieux. Notre chroniqueur est allé prendre le pouls des Québécois.

Le ciel est plus bleu en Abitibi, dit ma mère.

Impossible de vérifier avec Marc-Alexandre Bureau. Pour lui, le ciel est noir presque tout le temps.

« L’hiver, que je sois sur le shift de jour ou le shift de nuit, je vois jamais la lumière. »

Il a 21 ans, et depuis deux ans, il fait du « sept-sept » à la mine d’or de Casa Berardi. L’autobus vient le chercher à cinq heures moins dix et l’emmène avec les autres, surtout des hommes mais maintenant quelques femmes, une heure au nord de La Sarre.

La mine a rouvert il y a quelques années, quand le prix de l’once a grimpé. Et à ce qu’on dit, plusieurs autres vont ouvrir en Abitibi.

Sept-sept, ça veut dire travailler dix heures par jour, sept jours de suite, puis avoir congé sept jours.

« Mais avec deux heures de transport, en vérité, c’est 12 heures. J’arrive chez moi, je mange vite, je tombe dans le lit. Tu travailles, tu manges, tu dors. »

Il est mécanicien de machinerie lourde et il aime ça.

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Marc-Alexandre Bureau

Quand je dis lourde, c’est très lourde. Dans les mines, toute la machinerie est surdimensionnée. C’est l’équivalent pour un vétérinaire de passer du lézard au brontosaure. Les pneus des camions font deux mètres de diamètre, les pompes sont cinq fois plus grosses que celles d’un camion normal, etc. Et pas trop d’espace pour manœuvrer.

Il y a un garage à 550 mètres, l’autre à 810 mètres de profondeur. Ce serait trop compliqué, sinon impossible, de monter à la surface chaque machine qui brise.

« C’est comment, sous terre ?

— Noir ! Noir partout. Tu as ta lampe frontale, tu vois pas ta main devant tes yeux, rien, les yeux s’habituent jamais. »

Et plus on descend, plus on s’approche du centre de la terre, plus il fait chaud. « J’ai visité une mine à 3 kilomètres de profond, la roche est à 45 degrés… Ils ont beau climatiser, il fait 30-32… Nous, c’est moins chaud. »

Autant des gars de forêt ne veulent rien savoir de passer leurs journées sous terre, autant il ne faut pas demander à Marc-Alexandre d’aller affronter « les mouches, les bibittes… Ceux qui travaillent en forêt, c’est souvent à une journée d’ici, il te manque toujours une pièce, il faut que tu retournes… »

À la mine, il n’y a pas deux journées pareilles. Toujours un défi. Trouver pourquoi les freins sont coincés. Pourquoi la pelle qui soulève 10 tonnes de roche (dans lesquelles on escompte extraire quelques grammes d’or) ne lève plus…

Ce camion qui descend par la rampe bloque totalement le chemin. S’il n’avance plus, les mineurs sont pris devant, ou derrière. Ç’a une certaine importance… Une certaine urgence…

C’est ce qu’il aime. La satisfaction de trouver des solutions, de voir le résultat de ses efforts immédiatement.

Je lui demande si c’est dur physiquement. Oui, un peu, mais c’est rien à côté de ceux qui font du forage. Ou pire : les « raisemen », ceux qui forent verticalement, vers le haut, pour percer des conduites d’aération, avec tout ce qui leur tombe dessus…

Il remonte, il est noir d’une suie graisseuse de poussière et de diesel. Il prend sa douche. Le bus. La journée est finie. Le quatre-roues attendra la semaine prochaine. Le ciel aussi, immense dans ce pays plat, on en vérifiera le bleu dans l’autre sept…

***

C’est le mois des arbres et on donne des pousses à la bibliothèque municipale d’Amos. La petite fille est venue chercher un bébé arbre pour le mettre dans un pot.

« On peut pas mettre un arbre dans un pot, il va mourir, il faut le mettre dans la terre, explique doucement Jennifer Trudelle.

— Ah…

— Ben non, ma chouette, on peut pas.

— Ah… »

L’enfant reste là, espérant de meilleurs arguments ou juste qu’on change d’idée. Ça n’arrivera pas. Désolé, on ne maltraite pas les bébés arbres pour amuser les enfants, ici.

Boulot jaune, mélèze, pin rouge, épinette blanche (mieux fournie que la noire, qui fait souvent pitié avec sa gueule de squelette du géant Beaupré, ou de queue de chat mouillé), noyer noir… Faites votre choix, c’est gratuit.

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Je n’étais pas venu pour les arbres, c’est que la Société d’histoire est dans le sous-sol de l’édifice et je voulais en savoir plus sur Joseph-Oscar-Viateur Dudemaine, premier curé d’Amos. Il a fait construire cette église moderne et énigmatique, qui ne ressemble à aucune autre dans la région. Songez que pour remplacer une chapelle, dans cette paroisse pas très fortunée, il a décidé en 1920 d’appeler un des plus illustres architectes québécois, Aristide Beaugrand-Champagne (le chalet du mont Royal, c’est lui). Immense dôme, style byzantin, murs en béton (la crainte des incendies de forêt, mais aussi une technique moderne).

« C’était un illuminé, une sorte de flyé ?

— Pas du tout, il avait de l’ambition, me répond Carmen Rousseau. Il disait : “Un jour ce sera une cathédrale.” Les archives montrent très peu d’opposition au projet. »

Pas pour me vanter, mais ma mère y a été baptisée.

***

Comme dit l’adage, nul n’est Ferrandez en son Plateau. C’est vrai aussi en Abitibi.

On a élargi les trottoirs et installé des saillies au centre-ville d’Amos, pour rendre la vie plus douce au piéton et revitaliser la vieille rue commerciale.

Le citoyen grogne.

Comme vous le savez, les rues en Abitibi sont souvent larges comme Fifth Avenue à New York. C’est apparemment pour éviter la propagation du feu, me dit-on à la Société d’histoire.

À force, on y a pris ses aises. Comme un peu partout en Abitibi, il est de coutume de « parquer » sa voiture en diagonale face au trottoir de chaque côté, ce qui laisse encore trois, quatre voies de libre.

Dans la 1re Rue, c’est fini. Reste une maigre voie de chaque côté et des espaces de parking parallèles.

« On n’est pas à Montréal, ici. Moi, j’ai un pick-up, y a pas de place pour stationner. Quand le gars devant veut tourner à droite, je suis obligé d’attendre ou de passer sur le trottoir, on est rendus avec des embouteillages », me dit un agent d’immeubles. Je devine qu’entre attendre et passer sur le trottoir, il a choisi l’option deux, tant est jubilatoire l’acte de défier l’autorité castratrice et liberticide.

« Ils font ça pour les jeunes familles, mais c’est nono, quand il fait beau, c’est mort en ville, tout le monde a un chalet sur le bord d’un lac à 15 minutes ! », opine une bibliothécaire.

Pour consoler le maire Sébastien D’Astous, je rappelle que les mêmes protestations ont été entendues dans les arrondissements de Montréal, avec les mêmes arguments, et que tous les faiseurs de saillies de trottoirs ont été réélus…

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La serveuse à l’hôtel des Eskers habite à Val-d’Or et fait la route chaque nuit. C’est 70 km et ça prend environ 45 minutes. C’est souvent plus long faire Montréal-Laval. Mais sur 70 km de route glacée, les risques sont élevés. Et c’est sans compter les orignaux.

« Les orignaux, c’est plus dans le parc [La Vérendrye]. J’ai été chanceuse, j’en ai jamais vu. Oh, mais l’autre nuit, j’ai failli tuer un poney !

— Comment ça, un poney ?

— Il était sur l’accotement en pleine nuit, il me regardait… Il a dû s’échapper. Imagine si je l’avais frappé ! Après je m’en suis voulu, j’aurais dû aller le chercher, peut-être une autre auto l’a frappé… Pauvre poney…

— C’est sûr que tu connais des gens qui ont eu des accidents d’orignaux.

— Ben oui. Mon amie, elle a été tellement chanceuse, l’orignal est passé à travers le pare-brise, il s’est retrouvé au complet sur le siège à côté, elle a pas eu une égratignure, elle avait juste les pattes sur elle… Y avait du sang partout. Pauvre orignal… »

Pauvre orignal, pauvre orignal, faut quand même pas être gêné, ça rentre dans votre auto, ça s’assoit sur le siège passager… Si ça se trouve, il allait choisir le poste de radio.

***

Tout le long de la route, on passe devant de petites croix plantées par les familles pour marquer les lieux fatals où sont morts leur fille, leur frère… Les automobilistes les aperçoivent une fraction de seconde, juste le temps de se dire : quelqu’un est mort ici…

Et on continue de rouler.

À Duparquet, près de Rouyn-Noranda, une autre croix, plus grosse. Les bouts sont cerclés de vert et de jaune, les couleurs de la Sûreté du Québec.

« Stéphane Roy, 1967-1994 ».

Il avait 26 ans et patrouillait pour la SQ un jour de tempête de neige en février où quatre personnes sont mortes sur les routes du Québec.

La Presse, 25 février 1994 : « Son auto-patrouille s’est écrasée contre l’arrière d’un semi-remorque… Le camionneur venait de ralentir à l’approche d’une déneigeuse… »

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

Une croix plantée à la mémoire du policier Stéphane Roy

La croix est là depuis 25 ans. Tout à côté, une minuscule affiche a été posée l’an dernier par le ministère des Transports. C’est un avis un peu embarrassé à la famille du défunt. L’aménagement a été fait dans l’emprise de la route et un « objet fixe représente un danger supplémentaire » si jamais un automobiliste sort de la route… « Nous aimerions en discuter avec vous », pour faire l’aménagement autrement, dit l’avis, toujours ignoré.

« Cindy, 1992-2016 », dit simplement la croix de bois.

Ils en avaient parlé aux nouvelles, dans ces phrases qu’on entend chaque jour. La conductrice a perdu la maîtrise de son véhicule…

« La première constatation nous permet de croire que la conductrice aurait frappé un petit banc de neige qui aurait fait dévier son véhicule en sens inverse. Il y a donc eu un impact avec la camionnette qui arrivait en sens inverse », avait déclaré aux médias le porte-parole de la Sûreté du Québec. Un homme à ses côtés a été blessé gravement, mais « l’enfant de 2 ans n’a pas été blessé ». Les gens dans la camionnette s’en sont sortis à peu près indemnes.

Une photo de Cindy au milieu de la croix. Un papillon bleu. Des fleurs. Un dessin d’enfant. Des débris d’auto.

On a collé un tout petit ange sur la croix. Il a l’air de s’envoler dans le ciel de Launay.