Les Québécois qui ont contribué à la collecte de fonds à la mémoire de la fillette tuée à la fin d’avril à Granby financeront un organisme complotiste lié à l’extrême droite, a appris La Presse.

Le quart des milliers de dollars recueillis jusqu’à maintenant par la famille de la victime iront à l’Unité citoyenne d’enquêtes anticorruption (UCEAC), un organisme qui prétend que le Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) constitue en fait un « réseau d’enlèvement d’enfants ».

IMAGE TIRÉE DE GOFUNDME

La page de la collecte de fonds à la mémoire de la fillette sur la plateforme GoFundMe

Son fondateur, Mario Roy, s’affiche fièrement en tant que « membre à part entière » de Storm Alliance, un groupe ultranationaliste anti-immigration. L’an dernier, Storm Alliance a organisé une soirée de financement pour l’UCEAC.

« Je suis ce qu’on appelle quelqu’un d’illuminé. J’ai compris la game, je l’ai étudiée, j’ai des contacts en masse, je sais comment ça fonctionne », a affirmé M. Roy dans un enregistrement qu’il a fait parvenir à La Presse.

Mario Roy traîne par ailleurs un casier judiciaire assez lourd. Au cours des 10 dernières années, il a été condamné pour agression armée, pour menace de mort ainsi que pour s’être battu avec les agents de sécurité d’un palais de justice. Il tentait de procéder à l’« arrestation citoyenne » de l’un d’eux. M. Roy est aussi en guerre contre le Barreau du Québec, qui l’accuse d’exercer illégalement le droit. Il dénonce des jugements « truqués » dont il aurait fait l’objet.

3000 $ transférés demain ?

« Tout surplus de l’argent amassé de partout pour nous aider dans notre cause sera investi dans » deux organismes, dont « l’Unité citoyenne d’enquêtes anticorruption [Mario Roy] », a indiqué la grand-mère de la fillette martyrisée et ses alliés le 6 mai dernier sur la page de la campagne de financement. La famille a aussi fait modifier l’avis de décès pour inviter le public à financer l’UCEAC. La campagne de financement avait démarré avant que la famille n’apprenne qu’un salon funéraire lui offrirait gratuitement les obsèques.

Joint par La Presse, Mario Roy a indiqué qu’on lui avait annoncé qu’il recevrait un chèque de 3000 $, tiré des quelque 12 000 $ en fonds recueillis, dès demain.

« Les fonds remis à notre organisme vont seulement être utilisés pour une enquête et le dépôt d’accusations criminelles privées contre les employés [du DPJ] qui ont fait de la négligence dans le dossier. J’ai des preuves d’un réseau d’enlèvement d’enfants et de négligence d’enfants. » — Mario Roy, fondateur de l’Unité citoyenne d’enquêtes anticorruption, en entrevue à La Presse

La grand-mère de la victime a confirmé au téléphone à La Presse qu’elle n’avait « pas encore » remis le chèque de 3000 $ à M. Roy, avant de raccrocher. Elle n’a pas voulu discuter à nouveau avec La Presse.

Depuis quelques années, M. Roy multiplie les prises de parole sur sa page Facebook pour attaquer le DPJ et le Barreau. En entrevue, il résume sa posture : tous les employés du DPJ au Québec ne font pas partie du réseau d’enlèvement, mais « une bonne partie des employés » y participent. « Je vais prendre les vrais mots : il y a un système de complot. » Ils seraient motivés par le financement gouvernemental lié à la prise en charge des enfants.

M. Roy affirme aussi que son organisme « n’est pas lié de près ou de loin à Storm Alliance », tout en confirmant que le groupe a organisé une soirée de financement à son profit.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Karine Darcy, fondatrice du groupe de soutien Aide, conseils et assistance aux familles québécoises, lors des funérailles de la fillette, jeudi dernier, à Granby

Menaces

En plus de l’organisme de Mario Roy, une autre organisation devrait profiter des fonds recueillis à la mémoire de la petite martyre : Aide, conseils et assistance aux familles québécoises, groupe de soutien fondé et dirigé par Karine Darcy.

Mme Darcy était en contact avec la grand-mère de la fillette avant la mort de celle-ci et a tenté à plusieurs reprises d’alerter les services sociaux à son sujet.

Comme M. Roy, Mme Darcy traîne aussi un dossier criminel. Elle a plaidé coupable et a été condamnée pour entrave au travail d’un agent de la paix ou d’un fonctionnaire, ainsi que pour agression armée, pour des faits survenus à deux moments différents en 2011, selon des documents judiciaires.

« Ça arrive parfois de commettre des erreurs et de travailler bien, bien fort pour expier [nos] péchés », a-t-elle dit, expliquant qu’elle avait aidé des centaines de familles aux prises avec les services sociaux. Elle a ajouté qu’elle ne se souvenait pas d’avoir plaidé coupable et a soulevé la possibilité que son avocat de l’époque ait enregistré une réponse à l’accusation à son insu.

Lundi dernier, Mme Darcy semble avoir perdu patience contre une internaute qui avait publiquement soulevé des doutes quant à sa probité et à celle de Mario Roy dans une publication sur l’internet. Elle demandait aussi à être remboursée et a porté plainte à la plateforme de financement GoFundMe.

« Tu mériterais en estie que Tariq Ramadan te passe dessus maudite charogne de pourriture », a écrit Mme Darcy à cette internaute. Elle a confirmé à La Presse qu’elle faisait référence à un viol. « Une chance que je ne sais pas où tu vis », a-t-elle ajouté par écrit. En entrevue, elle a précisé qu’il ne s’agissait pas d’une menace de violence, mais plutôt d’une menace de poursuites.