(Québec) Alors que le gouvernement caquiste souhaite convaincre les sinistrés à répétition de déménager, les municipalités du Québec appellent à la prudence et demandent des « solutions durables ». Que ce soit à Gatineau ou à Sainte-Marie, en Beauce, les maires redoutent que le quartier historique de leur ville ne deviennent « un fromage plein de trous ». À Sainte-Marthe-sur-Le-lac, l’heure était au grand ménage pour de nombreux résidants, hier.

Les villes craignent l’« effet gruyère »

Des secteurs centraux de plusieurs municipalités du Québec risquent d’être transformés en gruyère, dévitalisés et dépeuplés dans la foulée des inondations de ce printemps, s’inquiètent des maires et des experts.

Le gouvernement caquiste a laissé savoir qu’il favoriserait les déménagements des sinistrés régulièrement touchés par les crues. Mais des voix s’élèvent pour demander à Québec de procéder avec prudence pour ne pas complètement déstructurer certains quartiers qui mériteraient d’être sauvés.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Dans le centre-ville de Sainte-Marie, au cours des trois dernières années, 17 maisons inondées ont été rachetées par le gouvernement. Les terrains ont été transformés en parc. Le maire s’attend à ce que ce nombre bondisse cette année.

À Gatineau, les crues ont ravagé une partie du secteur historique de Pointe-Gatineau. Oubliez l’image du quartier neuf de bungalows construit dans une zone inondable. « C’est ici que les premiers colons de Gatineau se sont installés », explique le maire, Maxime Pedneaud-Jobin.

L’élu est d’accord avec le gouvernement de François Legault : avec les inondations qui se multiplient, le statu quo n’est plus possible. Mais il demande qu’une réelle réflexion ait lieu sur la pertinence de faire déménager les habitants de certains quartiers très peuplés.

« L’approche n’est pas la même pour des quartiers comme ça. Ils sont au cœur de la ville, ils sont densément peuplés. » — Maxime Pedneaud-Jobin, maire de Gatineau

Il rappelle que Pointe-Gatineau compte 5000 citoyens, dont 1000 ont été touchés par les inondations cette année.

Selon lui, le quartier n’avait pas connu d’inondations pendant 45 ans. Puis, en 2017, les crues ont monté : 100 maisons ont été détruites dans le cœur historique de Gatineau.

« Ça donne un quartier plein de trous. Ça donne un quartier défait », dit le maire.

« Je demande des solutions durables. Un quartier qui ressemble à un fromage plein de trous, ce n’est pas un quartier intéressant ni pour la ville ni pour les gens. Mais, si on veut rebâtir, il faut une solution durable. Peut-on immuniser le quartier ? »

Maxime Pedneaud-Jobin invite Québec à bien faire ses calculs : est-il plus économique de racheter des centaines de maisons dans un quartier comme Pointe-Gatineau, ou coûterait-il moins cher d’immuniser [un quartier] avec une digue, par exemple ?

« Il faut démontrer que ce n’est pas possible d’immuniser [un quartier] avant de dire à des gens comme ça de s’en aller », dit-il.

L’Union des municipalités du Québec partage les réserves du maire de Gatineau. Son président, le maire de Drummondville, espère profiter des assises de l’Union la semaine prochaine pour discuter de cette question avec le premier ministre.

« J’abonde dans le sens du maire de Gatineau. Pour les gens qui ont à gérer des villes au quotidien, l’effet gruyère n’est pas une solution durable », affirme Alexandre Cusson.

« Ce que nos membres souhaitent, c’est une approche raisonnée, de résilience, dit-il. Il faut regarder quelles sont les solutions possibles pour bien entendu assurer la sécurité de la population. Mais il y a aussi une question de cohésion sociale. Est-ce qu’on va créer des quartiers à moitié abandonnés ? »

Résignation à Sainte-Marie

À Sainte-Marie, en Beauce, le maire et les résidants semblent résignés à voir le tissu du centre-ville se déchirer encore davantage.

« Ici, ça va devenir une rue fantôme », lâche Alain Robert, qui habitait, il y a encore 10 jours de cela, rue Saint-Patrice, au centre-ville de Sainte-Marie. Quand la Chaudière s’est mise à monter, sa rue a été complètement engloutie.

« Moi, je veux déménager le plus rapidement possible », lance sans détour Jean-Bernard Gilbert, propriétaire d’une maison dans la même rue.

« Je veux lâcher cette maison-là pour oublier la rivière Chaudière, ne plus penser à ça, partir ailleurs. Je ne peux plus la voir, la rivière », explique le Beauceron, qui s’est retrouvé avec trois pieds d’eau au rez-de-chaussée.

Dans le centre-ville de Sainte-Marie, au cours des trois dernières années, 17 maisons inondées ont été rachetées par le gouvernement. Les terrains ont été transformés en parc. Le maire s’attend à ce que ce nombre bondisse cette année.

« Les gens sont fatigués », dit Gaétan Vachon.

Pour les élus, le relogement de masse qui pourrait suivre les inondations de ce printemps s’annonce comme un casse-tête. La dévitalisation du cœur historique de Sainte-Marie est une réelle possibilité, admet-il.

« Si les gens du centre-ville se [relogent], on va aménager ça du mieux possible, on va mettre du vert, des parcs, que ce soit agréable. Mais je ne peux pas faire plus. »

« Je n’irai pas mettre des infrastructures au centre-ville qui vont se faire détruire, ajoute-t-il. On va essayer de mettre ça beau, mais je ne peux faire beaucoup plus. »

Les cœurs historiques de plusieurs municipalités se trouvent sur les bords des rivières, qui ont été les premières voies de communication au Québec, bien avant les routes. L’organisme Vivre en ville rappelle que sacrifier ces secteurs, c’est sacrifier une partie de notre histoire.

« La solution, personne ne l’a. Qu’est-ce qu’on va préserver pour des raisons d’identité nationale ou régionale ? Qu’est-ce qu’on va accepter de sacrifier parce que ça coûte extrêmement cher ? », demande David Paradis, directeur de la recherche à Vivre en ville.

« Mais on risque de perdre des lieux extrêmement précieux qui sont au cœur de nos milieux, de notre histoire, prévient M. Paradis. Il va falloir avoir une réflexion : si on délocalise, comment on le fait ? Peut-être peut-on refaire ailleurs des quartiers d’une aussi grande valeur ? »

Grand ménage du printemps à Sainte-Marthe-sur-le-Lac

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

C’est le début du grand ménage du printemps pour les sinistrés de Sainte-Marthe-sur-le-Lac qui ont pu avoir accès à leur maison, pour les vider de tout ce qui a été contaminé par l’eau.

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Entraide entre voisins

Au retour des sinistrés, hier, les rues étaient vidées de leur eau, mais pas les résidences. « Hier, on s’est entraidés entre voisins. On a réussi à pomper l’eau à l’extérieur. » S’échangeant les pompes et les vivres d’un voisin à l’autre, ils sont venus à bout de l’eau. « On s’aidait tous en fonction de nos capacités », explique un sinistré. Jocelyne, mère d’un sinistré, travaille avec gants et masque puisque « tout est contaminé », explique-t-elle. Son sourire s’entend malgré tout derrière son masque : « On essaie de rire quand même. C’est une catastrophe, mais il faut continuer », lance-t-elle avant de se remettre à la tâche.

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Le grand ménage 

« Je viens de parler à mon agent au [ministère de la Sécurité publique], explique Joël Godmer. Il m’a dit que je devais agir comme si je sauvais ma maison présentement. Donc, il faut que j’enlève tout, jusqu’à un pied au-dessus du niveau que l’eau a atteint. » Son agent lui a expliqué que, s’il ne faisait pas les démarches pour essayer de sauver sa maison, il ne pourrait pas recevoir d’aide financière. Puisque tous n’ont pas accès à un conteneur à déchets en raison de la forte demande, des montagnes de détritus s’accumulent sur les terrains des sinistrés.

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Mettre la main à la pâte

Ils viennent aussi d’au-delà du voisinage pour mettre la main à la pâte. Jean-Sébastien Audy et sa conjointe se sont servis de Facebook pour proposer de l’aide. « On voulait prioriser les personnes âgées plus démunies, moins capables de vider leur sous-sol. » Ils ont alors reçu le message d’un sinistré dans le besoin qui disait : « Moi, j’aurais besoin d’aide. Je suis seul, ma femme est avec les enfants, mon plus petit a 10 mois. Elle n’a pas le temps de laisser le bébé. » Ils ont donc mobilisé des gens, qui ne se connaissaient pas, et se sont rendus chez le citoyen dans le besoin pour l’aider dans les travaux.

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« On a hâte d’avoir la réponse »

François Legault a indiqué en conférence de presse qu’aucune décision n’a été prise quant à la reconstruction de la digue qui a cédé, laissant les sinistrés dans l’incertitude face à l’avenir. « On est venus ici en connaissance que ce n’était pas une zone inondable, ça va faire six ans que ma maison est construite. Pas de digue, je n’habiterais pas ici », soutient Martin Palinski. Il investit actuellement pour vider et décontaminer sa maison, mais il ne sait pas s’il fait cela en vain. « On veut juste une réponse claire », conclut-il.

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Sur l’adrénaline 

Claude Dubreuil allume un feu dans le sous-sol en bois de merisier qu’il a construit de ses mains au cours des cinq dernières années. « Je n’ai pas réagi encore, je suis sur l’adrénaline. Ça donne le goût de pleurer parfois, mais je n’ai pas pleuré encore. Ça va venir », confie-t-il. Si la digue est reconstruite, il songe à revenir s’installer dans sa maison. C’est clair dans l’esprit de Joël Godmer qu’il veut, pour sa part, quitter la zone inondable. « On ne veut pas revivre ça, j’ai deux enfants, une femme, ça fait déjà une semaine que je ne dors pas. »

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Travaux en cours

Les équipes s’affairaient hier à la construction d’une digue temporaire pour relier celle bâtie sur la 22Avenue et celle de la 29Avenue. L’objectif est « d’être capable de pomper l’eau du côté des résidences [vers le lac] pour être capable d’assécher le secteur. Il faut raccorder nos digues pour séparer le lac des résidences », explique Jean Dore, consultant pour la Ville. Une équipe de plongeurs était aussi sur place afin de colmater les conduites à l’aide de ballons et d’empêcher l’eau de traverser les digues.