Alors que se multiplient les épisodes de pluies torrentielles et d’inondations, comme celles qui frappent aujourd’hui de nombreuses régions de la province, le réseau routier du ministère des Transports du Québec (MTQ) compte plus de 10 000 structures d’écoulement des eaux qui sont « en mauvais état », dont plus de la moitié sont à remplacer.

Malgré un système de gestion efficace peaufiné au fil de 15 années de travail, et un parc de structures qui présente un indice d’état global fort enviable, de nombreux ponceaux du MTQ ont été mis en cause depuis deux ans dans des affaissements subits et des fermetures de routes après des épisodes de pluies intenses (voir la liste ci-contre).

C’est la défaillance d’un ponceau qui serait à l’origine du glissement de terrain qui a emporté une partie d’un chemin municipal, à Pontiac, et dans lequel a plongé la voiture de Louise Lortie Séguin, 72 ans, ce qui a tué la conductrice sur le coup, samedi matin (voir la liste des accidents récents).

Et c’est aussi le comportement suspect d’un ponceau qui a entraîné, jeudi soir, une fermeture complète de la route 117, encore inondée au moment où l’on écrit ces lignes.

Les ponceaux sont des ouvrages d’art de petite dimension construits sous remblais pour laisser couler les eaux de pluie ou d’un ruisseau sous l’infrastructure routière. Ils sont assez peu visibles. On pourrait rouler tous les jours de sa vie au-dessus du même ponceau sans jamais en soupçonner l’existence. Jusqu’au jour où il se bouche pendant un orage, et qu’un grand coup d’eau emporte quelques mètres de la chaussée.

Il y en a près de 62 000 sous les routes du Québec. Une vaste majorité (83 %) de ces canalisations essentielles à la conservation des infrastructures est jugée en bon état. Une moyenne exceptionnelle de cinq sur six. Les 17 % restants, vu leur nombre, représentent quand même un total de 10 725 structures routières « en mauvais état », dont environ 5500 ont atteint leur fin de vie utile.

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61 687

Nombre de ponceaux gérés par le ministère des Transports du Québec

83 % en bon état

8 % en mauvais état

9 % à remplacer

Source : ministère des Transports du Québec

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Selon des données du MTQ, pas moins de 547 ponceaux ont été reconstruits, sous les routes du réseau provincial, en 2017, et 116 autres ont été réhabilités par insertion, « en installant un tuyau de plus petite dimension et en comblant le vide entre les deux parois par du béton de ciment ».

À ce rythme, il faudrait plus de 15 ans juste pour remettre en état les ponceaux qui sont déjà défectueux.

S’adapter aux changements climatiques

Les ponceaux ne sont pas des structures complexes. Leur construction est simple et, en général, directement intégrée au design de la route. Leur conception, en revanche, obéit à un grand nombre de critères qui vont de la nature du sol à la taille du bassin versant, en passant par la hauteur de la pente, la moyenne de précipitations ou la nature de la route. Le diamètre d’ouverture de la conduite, au centre du ponceau, ou le type de matériau utilisé pour sa construction ne relèvent pas de choix arbitraires, mais de l’analyse de nombreux paramètres physiques.

Or, l’augmentation de la fréquence, de la durée et de l’intensité des « précipitations extrêmes » force aujourd’hui à revoir à la hausse des débits d’eau moyens provenant des eaux de pluie, plus abondantes qu’autrefois, ou des ruisseaux qui se transforment de plus en plus souvent en torrents. Ce n’est pas une surprise pour le MTQ.

Un an avant les inondations du printemps 2017, le MTQ présentait déjà, lors d’un colloque consacré à la sécurité civile, une nouvelle norme de conception de ses ponceaux qui vise, notamment, à prévenir les effets de refoulement et d’érosion qui peuvent miner les fondations des routes et entraîner leur affaissement.

La décision du MTQ d’augmenter la capacité de ses ponceaux de 18 % à 20 %, dès leur conception, s’inscrit directement dans un contexte d’adaptation aux effets des changements climatiques, qui se traduiront par « une hausse du ruissellement de surface et des niveaux de saturation d’eau dans les sols et les matériaux des chaussées », selon un document public du Ministère.

Ces conditions, de même que la fréquence plus élevée des précipitations extrêmes, sont aussi susceptibles d’affaiblir les fondations de la route, d’en déformer le profil, d’accélérer l’érosion des remblais et des talus, de provoquer des inondations de route ou la destruction pure et simple des ponceaux.

Affaissements

Aucun ponceau, aussi résistant, solide et ingénieux soit-il, n’est conçu pour résister à des inondations comme celles qui balaient le Québec pour la deuxième fois en trois ans. D’ici à ce que les eaux se retirent, plusieurs dizaines de structures seront endommagées ou irrémédiablement détruites dans les réseaux routiers du MTQ ou dans les municipalités inondées, parfois emportées avec des portions complètes de route.

Lors des inondations printanières de 2017, une centaine de ponts et ponceaux avaient ainsi été endommagés par la montée des rivières, selon des chiffres du MTQ.

Les dommages aux infrastructures de transport ont alors été estimés à environ 42 millions.

Dans un échange de courriels avec La Presse, le ministère des Transports refuse de parler des ponceaux comme d’un élément « vulnérable » de son réseau malgré les milliers de structures endommagées ou en fin de vie utile, et l’accumulation récente des fermetures d’autoroutes attribuables à un ponceau défectueux, hors de périodes d’inondations.

La semaine dernière encore, une des plus importantes autoroutes du Québec, l’A20, a dû être fermée d’urgence en direction ouest en raison de l’état d’un ponceau, à la hauteur de Saint-Hyacinthe. Pendant les travaux d’urgence pour sécuriser la structure, la circulation a dû être réduite à une seule voie de circulation par direction en tout temps durant près d’une semaine.

Il y a deux ans, c’était l’autoroute 25, dans Lanaudière, fermée durant presque trois mois en pleine saison de villégiature.

« Les affaissements de routes associés à un mauvais comportement du ponceau sont principalement dus à des crues importantes », assure le Ministère, dans un courriel.

Le MTQ, ajoute-t-on, « ne détient pas de statistiques sur le nombre d’affaissements de routes causés par des ponceaux déficients ».

Inspections et entretien en chiffres

Inspections réalisées en 2018 : 18 144

Réalisations à l’interne (MTQ) : + 95 %*

Durée de la formation nécessaire : 2 jours

* Les inspecteurs sont surtout des techniciens en travaux publics du ministère des Transports du Québec. Des inspections peuvent être réalisées par un ingénieur, au besoin.

Nombre de ponceaux reconstruits (en 2017) : 547

Nombre de ponceaux réhabilités (en 2017) : 116

Sources : ministère des Transports du Québec et Plan québécois des infrastructures 2019-2028

Les affaissements dangereux

20 avril 2019 : accident mortel à Pontiac

Dans la nuit du 19 au 20 avril dernier, une septuagénaire de la municipalité de Pontiac, en Outaouais, plonge avec sa voiture dans un ravin qui s’était créé sur le chemin Bronson-Bryant. La route a été emportée par le débordement de la rivière Outaouais après l’affaissement d’un ponceau. Louise Lortie Séguin, 72 ans, a perdu la vie sur le coup.

17 avril 2019 : fermeture de l’A20 Ouest à Saint-Hyacinthe

Le ministère des Transports décrète une « fermeture complète, immédiate et préventive » de l’autoroute 20 Ouest, qui est toujours en cours, à la suite de l’inspection d’un ponceau sous la chaussée de l’autoroute 20. Des « travaux urgents » visant à renforcer cette structure ont forcé, depuis, la mise en place d’un contresens qui réduit la circulation à une seule voie par direction sur environ trois kilomètres, à la hauteur de Saint-Hyacinthe. L’embouteillage créé par ces entraves a entraîné des retards allant jusqu’à une heure, la fin de semaine dernière.

9 août 2018 : deux blessés à Lac-Brome

PHOTO ARCHIVES LA VOIX DE L’EST

Un ponceau s’est affaissé sur le chemin Fulford, 
à Lac-Brome, en Montérégie, en août 2018.

Deux voitures plongent l’une après l’autre au petit matin dans un cratère créé par l’affaissement d’un ponceau sur le chemin Fulford, à Lac-Brome, en Montérégie. Selon le journal La Voix de l’Est, la conductrice de l’un des véhicules subit plusieurs fractures, tandis que le second conducteur s’en tire avec une entorse et des contusions. Des pluies abondantes sont tombées sur la région dans les heures précédant l’affaissement.

16 mai 2017 : la route 117 fermée pendant près de 24 heures

Le tronçon de la route 117 qui traverse la réserve faunique La Vérendrye, la seule route reliant l’Abitibi au centre du Québec, est fermée à toute circulation durant près de 24 heures. L’affaissement d’un ponceau au kilomètre 335 a créé un trou béant sur la route. Un homme est blessé en emboutissant l’arrière d’un camion arrêté près de la chaussée défoncée. Radio-Canada révèle quelques semaines plus tard que les dommages structuraux avaient été signalés sur le ponceau depuis 2014 et qu’il devait faire l’objet de réparations au cours de l’été.

7 avril 2017 : l’A25 fermée durant trois mois

Après plusieurs jours de pluies diluviennes ayant contribué aux importantes inondations du printemps 2017, on constate un affaissement partiel de la chaussée de l’A25, en direction sud, à la hauteur de Saint-Roch-de-l’Achigan, dans la région de Lanaudière. On constate qu’un « ensemble de ponceaux » est endommagé. Une semaine plus tard, l’A25 est fermée à toute circulation dans les deux directions pour une période indéterminée. Plus de 25 000 usagers par jour sont redirigés vers des chemins secondaires. L’autoroute rouvrira presque trois mois plus tard, en août, après le remplacement des ponceaux originaux par des ouvrages plus imposants et la reconstruction de la chaussée au coût de 5,4 millions de dollars.