Nos journalistes prennent le pouls de la situation dans les régions inondées.

« Bienvenue à Pise en Beauce »

Sainte-Marie de Beauce se relevait péniblement, hier, de la pire inondation de son histoire, mais la petite ville n’était pas au bout de ses peines : le plus important employeur de l’endroit, la célèbre boulangerie Vachon, a été endommagé par les eaux.

(Sainte-Marie) Hier matin, les rues du centre-ville étaient encore remplies d’eau. Des amoncellements de meubles jonchaient les anciennes pelouses transformées en amas boueux. Quelques maisons avaient même été déplacées par l’eau, comme de vulgaires chaloupes.

« Bienvenue à Pise en Beauce ! », a lancé en nous apercevant Robert Lemieux, un résidant d’une des artères les plus touchées, l’avenue Saint-Patrice. L’homme désignait la maison d’un voisin munie d’un solage hydrofuge. Quand l’eau a monté, la maison a suivi ; quand elle s’est retirée, l’immeuble s’est reposé de travers.

Il tient désormais dans cette position précaire, incliné comme la tour de Pise.

« Un des locataires de la maison est diabétique et il pensait qu’il faisait une baisse de sucre », raconte un autre voisin, Alain Robert.

« Mais à un moment donné, la porte de sa chambre a claqué, puis a lâché. Il a bien vu : la maison commençait à pencher. » — Alain Robert

Les inondations des derniers jours ont été dévastatrices en Beauce. À Sainte-Marie, ce sont les pires depuis 1960, année où les autorités ont commencé à mesurer la crue de la rivière Chaudière, explique le maire.

En tout, dans la petite ville de 13 500 habitants, ce sont 980 résidences qui ont été touchées. Le centre-ville, qui borde la rivière, est dévasté.

PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

Le plus important employeur de Sainte-Marie de Beauce, la célèbre boulangerie Vachon, a été ravagé par les eaux.

Des employés inquiets

Sébastien Mercier, 41 ans, se comptait plutôt chanceux. Ce locataire habite à l’étage. Les dégâts chez lui sont minimes. Mais l’eau a fait des dommages chez son employeur, la boulangerie Vachon.

Émotif, M. Mercier se demandait hier s’il n’allait pas se retrouver au chômage du jour au lendemain. « C’est ma plus grosse crainte. Est-ce qu’ils vont fermer l’usine ? se demandait-il. De perdre mon appartement, c’est tel que tel, mais de perdre ma job… »

« Y a un pied d’eau sur le plancher [de l’usine]. La cave est pleine. La cave, c’est là qu’il y avait tous les produits finis : le chocolat, le cacao, les matières premières, l’huile de soya… »

— Sébastien Mercier

La célèbre entreprise qui fabrique les gâteaux du même nom a été créée à Sainte-Marie. L’usine emploie environ 700 personnes, selon le conseiller syndical Sébastien Boies. Il s’agit du plus important employeur à Sainte-Marie.

« Tout le monde est inquiet. Ce serait dur de ne pas l’être en regardant les dégâts », a commenté M. Boies. Selon lui, l’employeur doit faire le point sur la situation au plus tard aujourd’hui.

Vachon appartient désormais à Canada Bread, elle-même une filiale de la multinationale mexicaine Grupo Bimbo. La Presse n’a pas été en mesure d’avoir des commentaires de Canada Bread hier.

PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

L'heure était au nettoyage, hier, pour les nombreux sinistrés de Sainte-Marie de Beauce.

« Notre gouvernement est là »

Québec a tenté de rassurer les victimes des inondations hier. La ministre de la Sécurité publique s’est déplacée à Sainte-Marie pour constater de visu l’ampleur de la destruction.

« Notre gouvernement est là et sera là pour tous ceux qui ont été inondés ou le seront dans les prochains jours », a dit Geneviève Guilbault lors d’une mêlée de presse.

La vice-première ministre a rappelé que son gouvernement privilégiait le déplacement de ceux qui habitent dans des zones inondées de manière répétitive. « Ça reflète une saine gestion des fonds publics, parce que dédommager des gens année après année, ça finit par coûter cher », a-t-elle fait valoir.

La ministre assure que le nouveau programme du gouvernement va permettre aux sinistrés d’être dédommagés plus rapidement. Certains sinistrés des inondations historiques de 2017 attendent toujours le traitement de leur dossier.

Grand nettoyage

Lydia Laverdière est une des personnes qui espèrent une aide rapide du gouvernement. Cette mère de famille, ses six enfants de 3 à 16 ans et son conjoint tentaient hier de redonner un semblant de normalité à leur petite maison. Il fallait notamment enlever la boue du plancher.

« Mon chum a pris congé de la shop. Les écoles sont fermées. On nettoie, on désinfecte et on essaye de rentrer le plus vite possible. C’est du stock, six enfants », dit-elle.

« Dimanche, c’est ce que j’ai dit aux policiers et aux pompiers : “Moi, ça me prend un plan de match.” »

— Lydia Laverdière

Mme Laverdière, comme les autres sinistrés de Sainte-Marie à qui nous avons parlé, n’avait pas encore réfléchi à un possible déménagement de ce secteur inondable. Ça viendra après.

Pour l’instant, elle n’espérait qu’une chose : le retour de l’électricité, et aussi remplacer ses électroménagers détruits pour pouvoir faire les repas, le lavage, vivre…

Malgré tout, elle ne voulait pas se plaindre. « Je regarde autour et ce que je vois me donne envie de pleurer. Les autres maisons ont été beaucoup plus touchées. Nous, on est bénis dans le fond. »

Forte diminution du nombre de maisons inondées

On dénombrait hier soir un peu moins de 2000 résidences toujours inondées, selon le dernier bilan publié par la Sécurité civile, soit presque 1000 de moins que la veille. Cela n’empêche pas que 1377 personnes étaient toujours évacuées, un chiffre resté relativement stable par rapport aux bilans précédents. Le niveau d’eau a déjà commencé à descendre dans plusieurs régions, notamment en Beauce, où la rivière Chaudière a finalement décru. La rivière des Outaouais, elle, n’a toutefois pas fini de monter, et si on ne s’attend pas à des dérapages brusques, il faudra s’armer de patience. « Le secteur de Gatineau, en allant vers l’archipel de Montréal, il va y avoir encore une légère hausse », a prévenu Éric Houde, porte-parole de la Sécurité civile, en entrevue avec La Presse canadienne. Par ailleurs, même si de la pluie était prévue la nuit dernière et devrait continuer à tomber aujourd’hui, son apport sera « modéré », selon Simon Legault, météorologue à Environnement Canada. « C’est un apport qui peut venir jouer sur les niveaux des rivières, mais comme plusieurs seront en décrue, ça va peut-être juste ralentir un peu la décrue de certains plans d’eau. »

La Presse avec La Presse canadienne

Rigaud sur le qui-vive

(Rigaud) Les inondations provoquent de l’anxiété dans la région de Rigaud, où bien des riverains se préparaient hier à vivre une nouvelle hausse du niveau de l’eau – et rêvaient de vendre leur maison.

Depuis que la rivière des Outaouais s’est invitée dans la rue Céline Nord la semaine dernière, Daniel Levac ne dort plus.

« Tu gardes toujours une oreille attentive, parce que si jamais une pompe lâche, c’est fichu », dit-il, debout dans ses bottes de caoutchouc, au milieu de sa rue inondée.

Entouré d’un muret composé de 800 sacs de sable vert kaki, le bungalow de M. Levac ressemble à une petite forteresse en temps d’insurrection armée. Devant, la rue Céline Nord disparaît dans les eaux glaciales de la rivière. Au loin, un kayakiste avance entre des habitations inondées abandonnées par leurs propriétaires.

La maison de M. Levac a survécu aux inondations de 2017, mais on ne sait toujours pas si elle survivra à celles qui sont en cours. Le niveau de l’eau devait monter à nouveau hier soir, et atteindre un sommet ce matin.

M. Levac a déjà pris sa décision : dès qu’il en aura l’occasion, il veut vendre sa maison.

« Je suis ici depuis près de 30 ans. Avant, il n’y avait pratiquement jamais d’inondations ici, ou si peu. Maintenant, ça fait deux fois en deux ans. C’est trop stressant. Je veux déménager. »

— Daniel Levac

Et pour aller où ? «  Je vais trouver le plus grand arbre de la région et je vais aller me bâtir une maison au sommet ! »

Son voisin, Stéphane Caron, est du même avis. Sa maison est entourée par les eaux : il est coupé du monde extérieur, et doit franchir une longue section de la rue Céline en bottes de caoutchouc s’il veut quitter les lieux.

En 2017, sa maison avait été inondée. Depuis, il a fait refaire les fondations, et la maison a gagné près d’un mètre de hauteur. « Mes pompes fonctionnent en permanence, mais je n’ai pas d’eau dans le sous-sol », dit-il.

M. Caron a acheté sa maison il y a 11 ans, et a fait toutes les vérifications avant de passer à l’acte. « Le propriétaire précédent n’avait jamais eu d’inondation. Les gens disent qu’on est imbéciles d’habiter dans une zone inondable, mais quand il y a une inondation aux 100 ans… Là, ça arrive aux deux ans. Quand j’ai acheté ma maison, les changements climatiques, on ne parlait pas de ça… »

Lui aussi est prêt à déménager – il avait prévu mettre sa maison en vente au mois de mai. « Si le premier ministre Legault veut l’acheter, elle est à lui ! Je vais disparaître tellement vite, il ne me verra même pas partir. »

Un marathon, dit le maire

Hier, le maire de Rigaud, Hans Gruenwald fils, a appelé ses concitoyens à prendre leur mal en patience : la crue des eaux n’est pas terminée dans la région.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Hans Gruenwald fils, maire de Rigaud

« Gardez vos forces, car ça va être long. Ce n’est pas une course, c’est un marathon. »

— Hans Gruenwald fils, maire de Rigaud

Il a rappelé que le moral n’était pas aussi bas que lors des inondations de 2017. « Les gens gardent espoir. »

Hier, le capitaine David Desaulniers, des Forces armées canadiennes, a indiqué que plus de 900 militaires étaient sur le terrain dans les régions inondées au Québec, dont 240 en Montérégie et 160 dans la région de Rigaud. « Nous faisons de la reconnaissance, de la patrouille et aidons avec les évacuations », a-t-il déclaré.

Le lieutenant Hugo Fontaine, de la Sûreté du Québec, a rappelé que plus de 200 policiers étaient affectés aux inondations à travers la province, dont certains se déplaçaient à bord de VTT et de véhicules amphibies. Il a noté qu’aucun incident de pillage n’avait été signalé jusqu’ici.

Le directeur du Service de sécurité incendie de Rigaud, Daniel Boyer, a signalé que 197 habitations avaient été inondées, que 56 étaient inaccessibles, que 193 familles vivaient dans des centres d’hébergement et que 42 autres étaient hébergées chez de la famille ou des amis.

Plus au nord, dans la petite municipalité de Pointe-Fortune, le maire François Bélanger a noté que les choses étaient plus calmes cette année qu’en 2017. « Le problème, ce sont les gens qui viennent prendre des photos, ils sont venus toute la fin de semaine. Il y a des gens qui essaient de sauver leur maison ici, je ne comprends pas comment des gens peuvent penser que c’est une attraction touristique. »

La cinquième saison de Saint-Barthélemy

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Le village de Saint-Barthélemy, au bord du lac Saint-Pierre, dans Lanaudière, se retrouve maintenant plutôt coupé du monde.

(Saint-Barthélemy) «  Le plancher de chez mon père était dû pour être changé anyway », lance Mathieu Filion, très occupé ces temps-ci à aider aussi bien son père que son frère dont les maisons ont toutes les deux été inondées.

Une partie du village de Saint-Barthélemy, celle située au bord du lac Saint-Pierre, dans Lanaudière, se retrouve maintenant plutôt coupée du monde. Sa voie d’accès vers le fleuve est totalement submergée. Des policiers de la Sûreté du Québec montent la garde, interdisant à tous ceux qui n’ont pas un véhicule adapté – Jeep, tracteur, embarcation – de s’aventurer vers le village.

Les frères Filion restent zen et leur discours étonne.

«  Ça met de l’action et puis la nature, comme cela, c’est vraiment beau. Il n’y a rien de tel que de se promener en chaloupe, en plein bois  », poursuit M. Filion.

Benoit Filion, celui dont la maison est inondée, ne se formalise pas que son frère trouve tout cela plutôt bucolique. «  Pour nous, toute cette eau, c’est très habituel au printemps  », lance-t-il.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Benoit et Mathieu Filion

Des réclamations  ? De l’aide gouvernementale  ? Benoit Filion n’est pas sûr qu’il en aura. C’est d’autant moins sûr qu’il n’est pas certain qu’il en réclamera.

Déménager  ? «  Pourquoi  ? Tout le monde veut rester ici.  »

Pas question de fuir le lac Saint-Pierre et ses 103 îles. Les champs sont inondés, le paysage est un peu désolé, mais tout ça, «  ça fait partie de la vie  », dit Benoit Filion, qui s’extasie devant les hérons et les oiseaux blancs qui sont légion. «  C’est comme si on avait une cinquième saison ici.  »

« Ici, les gens sont habitués »

Sur place, Caroline Proulx, ministre du Tourisme et députée de Berthier, a elle aussi noté à quel point les gens prennent ça comme ça vient, à Saint-Barthélemy.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Caroline Proulx, ministre du Tourisme et députée de Berthier

«  Ici, les gens sont habitués  », a-t-elle fait observer, saluant le travail des soldats, de la Sûreté du Québec et des municipalités de la région qui doivent quand même donner un bon coup de main cette année.

Sur les 26 municipalités que compte la circonscription de Berthier, 8 sont inondées.

Natasha Normand, résidante de Saint-Barthélemy, trouve pour sa part que la nature lui fait la vie dure ces derniers temps. En deux ans, fait-elle remarquer, la région a vécu deux grosses inondations et une énorme sécheresse, celle de l’été dernier. « J’ai 7500 têtes d’ail dans les champs. C’est tout inondé.  »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Natasha Normand

Elle raconte que son angoisse monte depuis février. «  La neige n’en finissait pas de tomber et je me doutais bien qu’on aurait tout un printemps  », raconte-t-elle en route vers son travail principal, en ville.

Ce qui est particulièrement impressionnant cette année, dit-elle, c’est la soudaineté de la crue des eaux. «  En 72 heures, on a reçu tout ce qu’on avait reçu en cinq semaines en 2017. »

De fait, au Restaurant du Fleuve, à Saint-Barthélemy, « on a encore servi 300 personnes dimanche », explique Harmel Gervais, qui a bâti le restaurant pour sa fille, qui le gère aujourd’hui.

Dimanche, dans la journée, ça passait à peu près bien et les résidants du coin racontent avoir vu affluer beaucoup de ces «  touristes des inondations  ».

Mais en soirée, ce n’était plus praticable. « Ce n’est pas tout le monde qui a un tracteur », relève M. Gervais.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Harmel Gervais

Il se souvient, lui, qu’en 1976, lors d’une inondation elle aussi mémorable, on avait parlé de surélever la route. Ça ne s’est pas fait et on en est toujours là, avec une route souvent inondée « et qui penche d’un bord » quand elle est au sec, dit-il.

Aller au travail en motomarine

Comme d’autres résidants de Saint-Barthélemy, Annie Chénier, qui travaille à Louiseville, part au travail en motomarine ces temps-ci, puis rejoint son camion, qu’elle a laissé près de l’autoroute 40. « Quand même, je ne comprends pas qu’ils ne nous aient pas organisé un service de navette, comme en 2017, alors qu’un pompier nous faisait traverser. »

Les résidants doivent donc s’en remettre aux agriculteurs en tracteur, aux policiers ou à leurs voisins particulièrement bien équipés pour aller travailler en ville ou faire leurs emplettes.

Pour combien de temps  ? Difficile à dire, mais à Saint-Barthélemy, ça s’annonce encore compliqué pour quelques jours.