Le Québec continuait à surveiller la crue des eaux, vendredi, alors que de nombreuses régions, de l’Outaouais à la Capitale-Nationale, en passant par Montréal, la Montérégie et Chaudière-Appalaches, faisaient l’objet d’un avis de risque élevé d’inondations de la Sécurité publique. Avec les précipitations prévues aujourd’hui, les autorités sont en état d’alerte. L’armée a d’ailleurs été appelée en renfort. Sur le terrain, de nombreux bénévoles sont venus prêter main-forte aux riverains, notamment à Saint-André-d’Argenteuil où La Presse s’est rendue vendredi. 

Riverains et bénévoles se serrent les coudes

Devant la menace des inondations annoncées, les riverains utilisent tout ce qu’ils peuvent pour se barricader, plusieurs faisant fi des recommandations d’évacuation. Des armées d’amis se mobilisent pour empiler des sacs de sable en périphérie des demeures, quand ce ne sont pas carrément des étrangers venus donner un coup de main bénévolement. 

« Celui-là, je ne le connais pas ! Pis lui, pas vraiment ! », s’amuse Ida Chénier en désignant deux hommes affairés à charger dans un canot des sacs de sable sur son terrain. Seule, Mme Chénier ne peut pas construire le type de fortification que se permettent ses voisins de Saint-André-d’Argenteuil. Un message publié par une amie sur Facebook lui a permis de trouver des bras supplémentaires. « On prépare la guerre », lance un des hommes venus prêter main-forte. De l’eau jusqu’à la taille, il empile des sacs de sable devant la fenêtre du sous-sol de Mme Chénier.

L’isolement de certains résidants et l’intensité des efforts que la tâche exige inquiètent le maire du village, Marc Olivier Labelle. Il demande à ses concitoyens de penser avant tout à leur sécurité. 

« Les gens s’appuient sur les années passées, mais cette fois-ci, ça va monter très vite. » — André Guy, pompier 

Le pompier craint lui aussi que les citoyens veuillent rester trop longtemps et ne prennent pas les recommandations d’évacuation au sérieux.

Renchérissant sur les affirmations de M. Guy, Ida Chénier lance du balcon de sa petite maison bleue : « Je ne partirai jamais, c’est émotif pour moi ! » Sa maison ayant subi beaucoup de dommages en 2017, Mme Chénier ne souhaite pas revivre une telle situation.

Pour ses voisins, la tâche est plus aisée. « Mes amis sont tous venus parce qu’ils veulent continuer d’être invités aux partys l’été », lance, amusée, Marie-Pierre Chalifoux, entourée d’une dizaine d’amis qui dressent devant sa maison un rempart faisant déjà plus de trois pieds. Malgré la bonne humeur, un souvenir amer entache le tableau. « C’est sûr que les gens vivent un peu un choc post-traumatique », explique Mme Chalifoux, aussi conseillère municipale. En 2017, l’eau a atteint les fenêtres du rez-de-chaussée. À Saint-André-d’Argenteuil, 250 résidences avaient alors été inondées.

Plusieurs points chauds

Les résidants de Saint-André-d’Argenteuil n’étaient pas les seuls à surveiller la crue des eaux, vendredi. Les régions de l’Outaouais jusqu’à la Capitale-Nationale, la Montérégie, le Centre-du-Québec et Chaudière-Appalaches faisaient l’objet d’un avis de risque élevé d’inondations de la Sécurité publique du Québec. À Rigaud, on comptait 24 personnes évacuées vendredi soir. À Beauceville, quelques résidants ont pu réintégrer leur demeure vendredi, mais 47 personnes devaient toujours être hébergées à l’extérieur de leur domicile. Un centre de services a été ouvert aujourd’hui à Laval, où des bénévoles de la Croix-Rouge viendront en aide aux sinistrés. Du côté de Trois-Rivières, la mairesse suppléante, Ginette Bellemare, a appelé à la mobilisation des citoyens.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Lorsque La Presse est passée chez lui vendredi, Gilles Bourdua vidait ses armoires et surélevait ses biens au cas où l’eau monterait dans sa résidence. 

Douloureux rappel de 2017

« Il y avait la maison jaune, c’était un repère pour ceux qui faisaient du bateau, la maison de l’artiste, l’arbre de chez M. Forget… », énumère le maire de Saint-André-d’Argenteuil, qui se rappelle, nostalgique, à quoi ressemblait le chemin de la Terrasse Robillard avant les inondations de 2017. Tous ces éléments, importants pour les habitants du village, ont aujourd’hui disparu du panorama. Vendredi, cette même route s’avançant sur une pointe commençait déjà à être submergée par l’eau, rappelant les événements qui ont changé le visage de cette partie du village il y a deux ans.

« Je vais construire un rack et tout mettre dessus, je défais mon îlot, je vide mes armoires et j’attends mes filles pour transporter les électros », explique, dans sa cuisine, Gilles Bourdua, qui habite la rue. Les dégâts laissés par les inondations de 2017 ne sont toujours pas réparés que déjà, ça recommence.

À la municipalité, sous un dôme servant à entreposer le sable, des bénévoles s’affairent à remplir des sacs. Huit cent mille tonnes de sable ont été livrées pour l’occasion. Heureux de l’entraide entre les citoyens et de la part des municipalités environnantes, le maire se dit toutefois inquiet de l’attitude des gens. « Ils sont très sceptiques, ça va être dur de [partir] », lâche-t-il.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jessica Lariviere et son conjoint Philippe Bonami remplissaient bénévolement des sacs de sable avec l’aide de leur fille, Gabrielle, 6 ans. 

Préparatifs dans l’île Mercier 

« Quand j’étais petit, je faisais des poches de sable après mes devoirs. On a l’habitude », explique Olivier, qui aide son père à préparer sa maison de l’île Mercier. Ici aussi, les gens ont l’habitude et ont appris des évènements de 2017.

« Quand j’étais petit, mon frère s’était fait suspendre de l’école, on lui avait dit de faire des poches de sable à la place », rigole Pierre-Luc Cauchon, qui organise l’ensemble de l’entraide dans la petite île. Il a fait garder ses enfants et s’occupe de la coordination d’une équipe de bénévoles pour remplir, livrer et installer des sacs de sable. Quitter les lieux ne semble pas être une option qu’il envisage. Ici, les résidants ont tous vécu plusieurs autres épisodes d’inondations. « Ma grand-mère ne va pas partir, c’est mon grand-père qui a bâti la maison en 52, pis là il est mort », explique Sylvie-Ann Dostie en empilant des sacs dans la cour arrière de la dame, qui vit seule près de la rivière.

Maigre réjouissance, à Saint-André-d’Argenteuil tout comme dans l’île Mercier, les municipalités collaborent pour offrir du sable et des sacs aux citoyens. « Ce n’était pas ça en 2017 », se souvient Olivier, qui était venu prêter main-forte dans l’île Mercier. Ailleurs au Québec, l’accès à ce matériel n’est pas toujours aussi simple ; à Rigaud, cette semaine, les citoyens vociféraient contre l’inaction de l’administration. Dans l’attente des grandes crues qui atteindront leur plus haut niveau lundi, les citoyens remuaient sable et terre pour protéger rapidement leur chez-eux.

— Avec Janie Gosselin, La Presse

Un goût amer de 2017

À chaque demeure visitée, les gens soulignent avec aigreur le peu d’aide financière obtenue depuis 2017. Plusieurs étaient encore en pleins travaux. « Les dossiers réglés, c’est les grands dommages ou les démolitions », explique Marie-Pierre Chalifoux. Pour recevoir l’immunisation, et ainsi modifier le solage pour une version hydrofuge, les résidences devaient avoir au moins 33 % de dommages, explique-t-elle. Pour les maisons ayant mieux tenu le choc, les dommages ne sont pas traités pareillement. Pour sa maison, le gouvernement avait mentionné pouvoir indemniser Mme Chalifoux à la hauteur de près de 75 000 $ ; elle n’a reçu que 16 000 $

Les autorités se préparent

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

De nombreuses municipalités au Québec ont mis à la disposition de leurs citoyens du sable afin qu’ils puissent protéger leur résidence. 

L’armée a été appelée en renfort des municipalités, vendredi, alors qu’une partie du Québec regarde les cours d’eau avec appréhension. Les différents responsables se sont mobilisés pour se préparer aux conséquences des crues printanières. Tour d’horizon.

Aide de l’armée

La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a demandé à son homologue fédéral l’aide des Forces armées canadiennes vendredi. « Je ne ménagerai aucun effort au cours des prochains jours pour assurer la sécurité des citoyens », a dit Mme Guilbault en point de presse. En 2017, l’armée avait été appelée après quelques jours d’inondations, alors que 860 personnes avaient été évacuées. Vendredi, on comptait une centaine de citoyens évacués pour l’ensemble du Québec. On ignore le nombre de militaires appelés en renfort. Dans la métropole, ils seront mis à contribution « au besoin », a noté Martin Guilbault, chef aux opérations du Service de sécurité incendie de Montréal. Il a souligné l’efficacité de ces « bras » supplémentaires et leur compétence pour les questions logistiques, notamment.

Montréal mieux préparée

La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a passé l’après-midi dans les arrondissements touchés par les inondations en 2017. « On a beaucoup appris de ce qui s’est passé, a-t-elle précisé au téléphone. On est vraiment mieux préparés. Ensuite, il faut voir ce que dame Nature [va apporter], voir jusqu’à quel point elle va frapper. » Digues, murets ou ballons ont été installés aux grands points d’entrée d’eau, a-t-elle ajouté. Comme la Ville a déclenché son plan d’intervention d’urgence jeudi, des effectifs ont pu être déployés malgré le congé pascal. Mme Plante a rappelé que « la responsabilité première de la Ville de Montréal est d’assurer la sécurité des citoyens et citoyennes ». La protection des biens privés vient après.

Veiller à la sécurité

Les résidants des zones à risque devraient se préparer : s’assurer d’avoir une trousse d’urgence pour 72 heures, avec des effets personnels et leurs papiers importants, entre autres. « Pour la préparation, il y a un travail à faire personnellement, a souligné Martin Guilbault dans une entrevue téléphonique. Mais c’est un travail d’équipe. L’agglomération, la sécurité civile travaillent à minimiser le plus possible l’impact des inondations. Parce qu’il va y avoir des inondations. » Il a aussi appelé les citoyens à ne pas « surcharger les lignes du 911 », les invitant à composer le 311 — où les effectifs ont été augmentés — pour les communications touchant les affaires municipales et le 811 en cas de problèmes de santé non urgents.

La Croix-Rouge mobilisée

À la Croix-Rouge, le matériel a été réapprovisionné, les bénévoles sont mobilisés pour les prochains jours, prêts à intervenir selon les demandes des municipalités. « On est déjà présents à Beauceville et à Rigaud », a précisé au téléphone le porte-parole de l’organisme au Québec, Carl Boisvert. Chaque ville a son plan d’urgence et peut décider de faire appel à la Croix-Rouge au besoin, notamment pour l’hébergement en cas d’évacuations. « On regarde la situation d’heure en heure », a souligné M. Boisvert. Il se pourrait que l’organisme fasse appel à la générosité du public en créant un fonds destiné aux sinistrés, comme en 2017. La question est évaluée, mais ce n’est pas encore chose faite. Tout dépendra des besoins au cours des prochains jours.

Prévisions météorologiques

Plusieurs avertissements météorologiques de pluie sont en vigueur aujourd’hui pour le sud du Québec. Environnement Canada prévoyait des précipitations, « parfois fortes », dans la journée. « On accumule environ 3 à 6 mm par heure », a noté Jean-Philippe Bégin, météorologue à Environnement Canada. Dans les secteurs de Montréal, de Laval et d’une partie de la Rive-Sud, entre 30 et 50 mm étaient attendus aujourd’hui. En Beauce, en Estrie, à Québec et en Mauricie, entre 30 et 60 mm pourraient tomber aujourd’hui. En Outaouais, dans les Laurentides et dans Lanaudière, jusqu’à 25 mm de pluie étaient attendus vendredi soir et aujourd’hui. Il y aura une accalmie demain et lundi. Un nouveau système pourrait apporter de la pluie mardi et mercredi, « mais il y a encore beaucoup d’incertitudes », a souligné M. Bégin.

— Avec La Presse canadienne