Les soins en santé mentale ne sont pas assez accessibles au Québec, et on en a besoin.

Je lance donc l’idée aux gens qui font de la politique ou veulent faire de la politique : pourquoi ne ferait-on pas de l’amélioration des soins et de la prévention en santé mentale une de nos prochaines grandes réformes structurantes, un truc qui transformerait la société ?

On pourrait faire ça sur deux axes principaux.

D’entrée de jeu, il faudrait augmenter les ressources en santé mentale partout dans le réseau. Le bouleversant dossier de mes collègues Caroline Touzin et Katia Gagnon sur le manque de services en pédopsychiatrie paru samedi sonne sérieusement l’alarme.

Si des jeunes avec des difficultés aussi indéniables que celles décrites dans leurs articles – pensées suicidaires à 9 ans, violence, problèmes de comportement suffisamment graves pour que les parents eux-mêmes confient leurs enfants à la Protection de la jeunesse – ne sont pas capables d’avoir des services, imaginez tous les autres.

Ceux qui auraient juste besoin qu’on s’occupe un peu d’eux pour qu’ils ne développent pas des problèmes plus graves avec le temps. 

Pourtant, c’est la prévention qui fait que ces enfants ne deviennent pas des adultes avec des problèmes de compulsions, de dépendances, de violence, de dépression… Ceux dont on dira, plus tard, qu’ils coûtent cher à la société.

L’autre grand axe, ça serait donc d’étendre les services couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec pour inclure les soins des psychologues et autres psychothérapeutes professionnels reconnus, à l’extérieur des urgences et des hôpitaux, en amont, afin que les petits bobos ne deviennent pas gros.

Actuellement, l’aide fournie en vertu de notre programme de santé public n’arrive – si on est chanceux – que lorsque les problèmes sont devenus suffisamment graves. Et pour bien des Québécois, aller chercher de l’aide au privé avant que la situation dépérisse est juste trop cher.

Pourtant, demandons-nous collectivement ce qui coûte plus cher à l’État, aux employeurs, aux collectivités : un psychologue à 100 $ la séance ou une hospitalisation ? Ou un congé de maladie prolongé ? Ou de la médication pendant des années ? Ou l’assistance sociale ?

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Évidemment, même les psychologues n’ont pas de recette garantie pour que quelqu’un ne devienne pas cette personne souffrant d’obésité qui aura besoin de chirurgie bariatrique et de plusieurs pontages, ou cette toxicomane ou ce dépressif suicidaire qui devront être hospitalisés, ou cette personne pétrifiée par l’anxiété qui finira par ne plus pouvoir travailler. Mais chose certaine, il y a des moyens de chercher à prévenir ça et des professionnels qui ont fait de longues études universitaires pour trouver des solutions. De la psychologie à la neuropsychologie à la psychiatrie, en passant par toutes sortes de thérapies connexes par le jeu, le sport, la musique, l’art… Il y a moyen, pour des prix dérisoires par rapport à ce que coûterait de traiter les personnes souffrantes, d’aider les jeunes à ne pas devenir ces adultes mal en point. Et le plus jeune est le mieux.

En outre, les entreprises le savent, et c’est pour cela qu’il y a des programmes d’assurance collective : il est bien moins cher d’aider financièrement les employés qui ont besoin de soins préventifs que d’assumer les coûts de leurs congés de maladie pour burn-out ou dépression.

Il est temps que le Québec au complet réalise que collectivement, on a intérêt à aider les gens qui souffrent et à régler les petits problèmes avant qu’ils ne deviennent grands.

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Si on regarde les grandes réformes qui ont marqué le Québec depuis 60 ans, on constate une grande tendance : la volonté d’inclure de plus en plus de gens dans la vie collective, politique, économique.

D’abord les grandes réformes de la Révolution tranquille ont démocratisé l’accès à l’éducation. Énorme pas en avant.

Ensuite, les réformes du Parti québécois ont établi que parler français ne serait plus un obstacle sur le marché du travail ou dans la vie publique, au contraire, et leurs réformes économiques ont aussi cherché à donner le plus de nouveaux leviers possible à tous les acteurs d’ici pour développer économiquement la province par l’entrepreneuriat.

Plus récemment, durant les années 90 et au début des années 2000, c’est la politique nationale des CPE et la réforme des congés parentaux qui ont permis de poursuivre cette démarche. Les résultats sont probants : grâce à ce nouveau service public, le taux de participation des femmes – surtout les mères seules et bénéficiaires de l’aide sociale – à la vie collective et économique a nettement augmenté.

Maintenant, une réforme de la prévention et des soins en santé mentale permettrait de poursuivre dans cette voie en cherchant à aider encore plus de citoyens à participer encore plus pleinement à la vie collective, politique, économique.

On a besoin de tout le monde.

On ne peut pas se permettre de perdre des joueurs en chemin parce qu’on n’a pas les ressources pour les aider. Parce qu’on n’a pas été capables de prévenir leurs difficultés ou de les soigner quand ils étaient encore mineurs.

Le prix que l’on paierait collectivement en aidant plus, on le regagnerait collectivement en ayant une société plus productive où les hôpitaux seraient moins pleins, où l’aide sociale n’aurait plus à prendre en charge des gens dont le potentiel n’a pas pu être réalisé, faute de soins.

Qui voterait pour ça ?

Moi.