(Ottawa) Il y a maintenant quatre mois que les Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor croupissent en prison après avoir été arrêtés en Chine, victimes collatérales de la querelle diplomatique entre Ottawa et Pékin dans l’affaire Huawei. Au gouvernement et chez Amnistie internationale, on s’inquiète du traitement que réservent les autorités chinoises aux deux hommes appréhendés quelques jours à peine après l’arrestation, au Canada, de Meng Wanzhou, haute dirigeante du géant des télécommunications.

Les deux citoyens canadiens sont en isolement cellulaire et subissent chaque jour entre six et huit heures d’interrogatoire, rapportait un peu plus tôt cette semaine le Globe and Mail, citant un responsable canadien non identifié.

Ils sont confinés à leur geôle, ne voient pas la lumière du soleil et peuvent passer 24 heures sous une lumière artificielle – des « conditions inhumaines », juge France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale pour le Canada francophone.

« Ça s’apparente à de la torture. La privation de lumière, c’est la privation de sommeil et c’est considéré comme de la torture au sens du droit international », a-t-elle exposé en entrevue avec La Presse.

Aucune accusation n’a encore été déposée contre Michael Kovrig, un ancien diplomate, et Michael Spavor, un entrepreneur, mais Pékin a dit soupçonner les deux hommes d’avoir menacé la sécurité nationale chinoise.

Les autorités chinoises ont le pouvoir de les interroger jusqu’à six mois pour monter leur dossier. Au gouvernement canadien, on réclame leur « libération immédiate », et Justin Trudeau soulève régulièrement leur cas dans ses entretiens avec les leaders mondiaux.

« Nous maintenons nos préoccupations concernant les conditions dans lesquelles ils sont détenus. Nous avons fait part de nos préoccupations aux autorités chinoises. » — Guillaume Bérubé, porte-parole d’Affaires mondiales Canada

Et on cherche à avoir « davantage accès » aux deux hommes, ajoute M. Bérubé.

Car, depuis qu’ils ont été placés en détention, les Canadiens ont eu seulement droit à cinq petites visites de responsables consulaires canadiens, selon une compilation fournie par le gouvernement.

L’espoir d’un « miracle américain »

L’ancien ambassadeur du Canada en Chine Guy Saint-Jacques craint que les hommes ne soient pas au bout de leurs peines. « Ça risque de traîner », laisse-t-il tomber en entrevue avec La Presse.

La période d’interrogation initiale de six mois pourrait facilement être prolongée d’une autre demi-année, soit jusqu’au 10 décembre 2019, la loi chinoise étant « très flexible », soutient celui qui a été chef de mission à Pékin de 2012 à 2016.

À moins d’un « miracle », c’est ce qui se produira, puisque le dossier de Meng Wanzhou, qui conteste la demande d’extradition des Américains devant les tribunaux canadiens, ne sera vraisemblablement pas réglé d’ici là, avance M. Saint-Jacques.

« Le miracle, ce serait que, dans le cadre d’une grande entente entre Donald Trump et le président chinois, Xi Jinping, sur leurs différends commerciaux, il y ait un volet Huawei et que les Américains laissent tomber les accusations à l’endroit de Mme Meng », note-t-il.

Toujours pas d’ambassadeur

Le président des États-Unis a politisé l’affaire en affirmant que si Washington et Pékin signaient un traité commercial, il pourrait intervenir dans le dossier Huawei, laissant entendre que la femme d’affaires proche du régime de Pékin pourrait en profiter.

Cette déclaration a semé l’émoi au sein du gouvernement canadien et a aussi indirectement mené au congédiement de l’homme à qui Justin Trudeau avait confié les clés de l’ambassade à Pékin, l’ancien ministre John McCallum.

Le premier ministre a montré la porte à son ex-ministre le 22 janvier dernier pour le punir d’avoir affirmé que Meng Wanzhou disposait de solides arguments juridiques pour éviter l’extradition vers les États-Unis. M. McCallum n’a toujours pas été remplacé.

« Je n’étais pas favorable au congédiement de l’ancien ambassadeur. Il a dit la vérité. » — Irvin Studin, membre de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’UQAM

« Évidemment, il nous faut un ambassadeur, mais il nous faut un ministre des Affaires étrangères aussi », enchaîne le professeur Studin. Il estime que la ministre Chrystia Freeland est « peu à l’aise dans les affaires chinoises » et « jouit de très peu de respect à Pékin ».

Mais nommer un ambassadeur en pleine tempête diplomatique n’est pas si simple, fait remarquer Guy Saint-Jacques. « À cause du mécontentement de la Chine, il n’est pas entendu qu’ils donneraient l’agrément [à une nomination] », explique-t-il.

Il s’agit « toujours d’une préoccupation quand on a de telles tensions diplomatiques, mais ce n’est pas nécessairement la seule raison pour laquelle on n’a pas encore fait de nomination », a indiqué à La Presse une source gouvernementale.

De son côté, l’opposition exhorte le gouvernement Trudeau à agir avec davantage de célérité. « On doit avoir un ambassadeur, et très vite. Et il faut nommer un professionnel, pas un politicien de carrière », insiste le conservateur Erin O’Toole en entrevue.

« La situation devient de plus en plus problématique, et il y a fort à parier que c’est en lien avec le cas de Mme Meng, qui est encore incertain », mentionne pour sa part le néo-démocrate Guy Caron.