Le 20 février 2017, Michel Cadotte a tué Jocelyne Lizotte, sa femme. Elle était atteinte de la maladie d'Alzheimer, il était son aidant naturel. C'est le genre d'histoire qui frappe l'imaginaire et qui devient instantanément bien plus qu'un fait divers.

Vous connaissez la suite : Michel Cadotte a confessé son geste dès son arrestation. Il a été accusé de meurtre. Et il a été trouvé coupable d'homicide involontaire il y a quelques semaines, au terme de son procès devant jury. La Couronne demande huit ans de prison. La défense, de 6 à 12 mois. On connaîtra la sentence le 28 mai.

Mme Lizotte a été tuée dans le CHSLD Émilie-Gamelin où elle allait finir sa vie, étant au stade le plus avancé de la maladie. Dès l'annonce de sa mort, les mots « meurtre par compassion » ont été prononcés dans les reportages.

Dans les deux années qui ont suivi, l'affaire Cadotte a été traitée de la même façon : comme un enjeu de société.

Au procès et dans les manchettes, on a abordé le crime de Michel Cadotte sous l'angle du meurtre par compassion, des critères de l'aide médicale à mourir (qui excluent l'alzheimer), de la solitude des aidants naturels et de l'incapacité du système à aider adéquatement ces aidants naturels...

Depuis deux ans, au procès et dans les médias, la trame narrative qui s'est tissée autour de Michel Cadotte est simple : « Cet homme isolé qui s'occupait seul de l'amour de sa vie, incapable de la voir dépérir encore plus, a fini par commettre l'irréparable... »

Ce qui est vrai.

Et ce qui est faux.

Ceci est une chronique sur le vrai qui peut parfois être furieusement faux et sur la vie à l'ombre des manchettes, quand votre famille est plongée dans un drame médiatisé.

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« Tu as peut-être réussi à te faire passer pour un saint homme dans les médias et dans l'opinion publique, mais ça ne marche pas avec moi. Malgré tout ce que tu as pu faire de bien pour ma mère, tu resteras toujours celui qui l'a empêchée d'avoir une mort douce, naturelle et paisible. Donc, son meurtrier. »

C'est Danick Désautels, l'un des deux enfants de Mme Lizotte, qui a écrit ces mots. Ils ont été lus au tribunal le 8 mars dernier lors des observations sur la peine à imposer de Michel Cadotte.

Ce jour-là, plusieurs membres de la famille ont témoigné pour dire à la juge Hélène Di Salvo à quel point ils avaient souffert - et souffrent encore - du crime de Michel Cadotte.

« Aujourd'hui, je peux comprendre le geste, je peux pardonner sans accepter le geste, mais je ne peux pas encore pardonner la destruction de ma famille, sa famille », a aussi témoigné David, l'autre fils de Mme Lizotte.

La femme de David, Nancy, a également témoigné. Hanaé, la grande fille de 16 ans de David et de Nancy, a témoigné. J'ai lu leurs témoignages, livrés au tribunal ou sur Facebook ces derniers jours, ainsi que celui de Marie-Pier, une autre des petits-enfants du couple Lizotte-Cadotte (ils sont sept). J'ai lu le texte de Caroline, la conjointe de Danick.

Et je suis sorti de ces textes avec un énorme sentiment de vertige. C'est fou comme le fossé peut être immense, des fois, entre les manchettes et la vie, la vraie vie.

Pour Danick, David, Nancy, Caroline, Marie-Pier et Hanaé, la mort de Jocelyne Lizotte n'a pas « relancé » le débat sur l'aide médicale à mourir ou sur le sort des proches aidants dans la société québécoise. Ils ont vécu un drame familial, la mort violente d'un être aimé.

Pour eux, Jocelyne Lizotte était une femme en chair et en os, une femme bonne et douce, résiliente, une femme qui savait trouver le bonheur dans sa vie, une vie qui fut souvent difficile. Pas la victime d'un drame qui a « relancé » quelque débat que ce soit.

Hanaé, la petite-fille de Mme Lizotte : « Juste référer à ma Mamy comme "la victime" me fait mal, elle était bien plus que ça. »

Pour eux, Michel Cadotte n'était pas un homme isolé, largué par ses proches, réduit à s'occuper seul de Jocelyne Lizotte. Cette version de Michel Cadotte, pour les proches de Jocelyne Lizotte, c'est de la bouillie pour les chats, la laine cheap dont on fabrique l'étoffe des trames narratives faciles à comprendre.

Nancy, belle-fille de Mme Lizotte : « Michel, j'ai ressenti de la détresse et de la colère face à la façon dont je nous ai sentis effacés de ton histoire. Comme si nous n'avions jamais été là avec toi. Comme si je n'avais jamais eu cette relation trop intime avec ma belle-mère, lui changeant la couche, jouant à la balle, la nourrissant, l'aidant à marcher, la promenant en chaise roulante, chaque semaine, avec toi, avec David, parfois même avec les enfants qui ont vu leur grand-mère s'éteindre doucement, mais qui ont aussi pu participer aux soins... Comme si on n'avait pas communiqué ensemble chaque semaine. Comme si tout ça n'avait jamais existé. »

Hanaé : « Je l'ai nourrie à la cuillère. Je l'ai promenée dans le parc. Je l'ai vue se transformer en malade. Il n'était pas le seul à souffrir... »

David, fils de Mme Lizotte : « J'ai longtemps pris ma mère à chacun de mes week-ends de congé, aux trois semaines. J'ai pu alors faire le plein de souvenirs pendant qu'elle était encore un peu elle-même. Je l'ai emmenée aux pommes, à la cabane à sucre, magasiner, chez mon frère à Noël. Et quand elle a été placée, je suis allé la voir chaque semaine à l'hôpital Royal Victoria, je l'ai vue dépérir, je l'ai vue caresser un chien imaginaire, trembler de la tête aux pieds à cause de la médication, je l'ai vue m'oublier. J'ai partagé le sentiment de colère et d'impuissance de Michel, nous parlions régulièrement. J'ai continué à l'hôpital Douglas, j'ai suivi au CHSLD Émilie-Gamelin... »

Tout ça n'a pas été mentionné au procès. C'était périphérique, disons. La Couronne n'a pas jugé pertinent de faire témoigner ces gens, qui auraient dit que, hé, une minute, Michel n'était pas seul à s'occuper de Jocelyne, madame la juge...

La présence de ces gens-là dans l'orbite de Jocelyne Lizotte ET de Michel Cadotte, pendant que Mme Lizotte déclinait, elle est pourtant aussi réelle que le soleil.

Ce qui ne veut pas dire que Michel Cadotte n'était pas isolé.

Qu'il n'était pas... seul.

Mais il n'était pas seul comme on a pu le croire, en ne lisant que les manchettes, en n'écoutant que d'une oreille les reportages sur le procès du meurtre de Mme Lizotte. Comme l'a dit la défense à l'étape des observations sur la peine, l'isolement, ce n'est pas aussi simple que d'être littéralement seul.

Le vrai peut parfois être furieusement faux, comme je le disais plus haut.

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David : « J'aurais voulu la pleurer avec lui et non à cause de lui. »

Cette phrase résume bien le sentiment de dépossession des proches de Jocelyne Lizotte : ils sentent que Michel Cadotte leur a volé des moments précieux avec cette femme qu'ils aimaient autant que Michel pouvait l'aimer...

Ils auraient voulu être là, quand Jocelyne est morte. Ils espéraient une mort douce, et peut-être était-ce trop espérer, quand on sait ce qu'est l'alzheimer.

Mais ils auraient voulu une mort en famille, les enfants et les petits-enfants, avec Papy Michel, tous autour du lit, là, oui, tous là, pour elle, pour Mamy, pour Jocelyne, comme elle avait été là, elle, pour eux, toute sa vie...

Ce n'est pas arrivé.

La dépossession, elle est là, mais pas que là. La dépossession s'étend aux souvenirs qui touchent Jocelyne et Michel, des souvenirs qui sont désormais teintés à jamais par le meurtre du 20 février 2017.

Danick : « Mon dernier souvenir de ma mère "encore là" est la journée du 31 décembre 2011. Je me doutais que c'était la dernière fois qu'elle était "là", j'ai décidé d'immortaliser cela avec quelques photos de Mamy, dont une avec ses petits-enfants et moi. Indirectement, à cause de ton geste, Michel, ce souvenir est gâché. Les médias se sont servis de ma page Facebook pour prendre cette photo sans consentement et la publier. Maintenant, quand je vois cette photo, au lieu de penser à une journée de bonheur, je ne vois que le geste que tu as posé. »

Hanaé : « Peu importe ce qui va arriver, lorsqu'on va penser à Mamy, on ne se rappellera pas les Noëls passés en famille, mais plutôt le meurtre qui est maintenant collé à son identité. C'est cela qui me frustre le plus, son nom est sali. Elle ne méritait pas ça, pas plus qu'elle ne méritait cette maladie atroce. »

David : « Michel est arrivé dans ma vie quand j'avais 16 ans. C'est le seul père que j'ai eu pour mon passage à la vie adulte. J'ai vécu avec lui et ma mère pendant quatre ans. J'aimerais me souvenir qu'il m'a montré à faire de la cuisine, à être perfectionniste, qu'il a été le premier visage que j'ai vu en me réveillant de ma grosse opération, que j'ai été son témoin quand il a marié ma mère... Mais chacun de ces souvenirs est entaché par l'image indélébile que j'ai de lui tenant un oreiller pour étouffer ma mère claustrophobe. Je vois la scène, je vis la scène. »

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Vous savez maintenant la colère de plusieurs proches de Jocelyne Lizotte face à Michel Cadotte.

Vous savez qu'ils étaient là pour lui et pour Jocelyne.

Vous savez que leur colère a existé - existe - même si elle n'a pas fait les manchettes.

Vous savez la complexité de l'affaire. Et pourtant, je ne fais qu'effleurer la surface de ce qu'ils ont vécu depuis le 20 février 2017.

Hanaé, la petite-fille du couple Lizotte-Cadotte, a deux petits frères, Galaad et Loukian. Galaad et Loukian sont autistes.

Galaad, particulièrement, comprend la vie autrement.

Il est traumatisé et fasciné par le meurtre commis par Michel Cadotte. Galaad tente de mettre les événements, les gens, dans de petites cases.

Il pose des questions. Est-ce que Papy est gentil ? Est-il un meurtrier ? Va-t-il aller en prison ? Tuer Mamy, est-ce que ça fait de lui un Jack l'Éventreur, ou quelqu'un qui fait euthanasier son chat ?

Hanaé : « Il est autiste, donc il a besoin de classer Michel dans une case particulière. Bon ou mauvais. Qu'est-ce qu'on fait s'il n'y a pas vraiment de réponse ? »

Nancy : « Comment on explique le gris à un enfant qui ne croit pas que ça existe ? »

Le gris existe, pourtant. Cette histoire en est la preuve. Il y a plus de gris que de tout noir, que de tout blanc.

Michel Cadotte n'est pas un monstre. Il n'est pas un saint homme non plus. Même ceux qui lui en veulent ne lui veulent pas de mal, dans son entourage. Certains espèrent renouer avec lui. D'autres hésitent.

Et ceux qui veulent que Michel soit condamné à la prison ne souhaitent pas qu'il y croupisse pendant huit ans, la peine réclamée par la Couronne.

C'est une histoire pleine de gris, que je vous dis.

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Michel Cadotte, homme complexe, parfois gentil, parfois ombrageux, être imparfait comme nous le sommes tous, ne se laissait pas facilement aider. David : « Même si beaucoup de personnes étaient là pour lui parler, il n'a pas su demander de l'aide. Il n'a pas su accepter de montrer sa détresse. »

Ils étaient donc là. Je le répète parce que c'est important : ils étaient là, les proches, pendant la chute de Jocelyne dans les abysses de l'alzheimer. À leur façon. De près ou de loin. Physiquement, moralement, ou les deux. Pour Jocelyne ET pour Michel.

Ce n'est pas ressorti au procès, ou en tout cas pas tant que ça. C'est technique, un procès : on n'y établit pas tant la vérité que la culpabilité, ou pas, de l'accusé aux accusations qui pèsent sur lui.

Ce qui est ressorti du procès, et qui a été relayé par les médias, c'est que Michel Cadotte était seul pour s'occuper de Jocelyne Lizotte.

Ce « fait » non contredit par la Couronne parce qu'elle jugeait sans doute que ça ne faisait pas avancer sa cause est devenu de l'engrais à haine dans les médias sociaux, de la haine dirigée envers les proches de Jocelyne Lizotte, accusés d'avoir « abandonné » Jocelyne.

Hanaé : « Avec la mort de Mamy, on vit l'enfer, mais en plus, tout le monde nous blâme. Tout ça parce que les médias en ont fait un héros. Je suis allée lire les commentaires sur les articles : ça nous traite d'épais, de chiens. Ils nous mettent l'homicide sur le dos. Comme si nous l'avions tuée. »

Caroline, épouse de Danick, dans un statut Facebook : « Réfléchissez avant d'écrire des choses blessantes, sans connaître la vraie histoire. La famille Désautels est une belle famille remplie d'amour et de gentillesse. Si vous les connaissiez, vous vous abstiendriez de ce genre d'accusations gratuites. Ah, mais non, c'est vrai, vous ne les connaissez pas et vous ne savez rien de la vie de ces personnes... »

Hanaé, encore : « C'est dur de lire les commentaires de Monsieur et de Madame-je-sais-tout sur tous les articles, de répondre à ces personnes... Et d'effacer ton commentaire, deux secondes après. L'impossibilité de partager ce qui est vécu par la famille, c'est horrible. »

Quand j'ai proposé à Nancy de chroniquer sur son point de vue et celui de ses proches, elle en avait long à dire sur la complexité de la situation, au-delà des manchettes. Elle en avait long à dire sur le travail des médias, incomplet et sensationnaliste selon elle et selon sa famille.

Surtout, Nancy Guénette en avait long à dire sur la violence des commentaires subis par son clan, dans les médias sociaux.

« Je me suis mise à répondre sous les articles, avec ma fille Hanaé. Je m'étais promis de ne jamais répondre, mais je ne peux plus me contrôler. Comme si j'avais ouvert une vanne trop longtemps fermée, ça se met à sortir. Je réponds à ceux qui harcèlent Hanaé jusqu'à ce qu'ils s'excusent ou effacent leurs commentaires. Je me mets à répondre avec elle partout sous les articles, à tous ceux qui nous insultent, qui nous font du mal... »

Puis Nancy ajoute une phrase, et c'est cette phrase qui m'a poussé à écrire cette chronique sur la vie à l'ombre des manchettes : « Je veux les confronter au fait qu'on existe. »

Nancy a donc tenté de rétablir les faits, en interpellant les inconnus un à un. Cela a donné des situations absurdes, comme ces gens qui lui disaient qu'elle n'était pas objective, qu'elle avait qu'à ne pas lire ces commentaires, à les prendre moins « personnel »...

C'est ironique, dit Nancy : le crime de Michel Cadotte est vu et présenté comme un « meurtre par compassion ». Nancy et ses proches ne peuvent peut-être pas le voir ainsi, aussi simplement, sans nuance. Mais ça reste une perception forte dans la population : Michel a tué Jocelyne par empathie, par compassion...

« C'est au coeur de ce débat, cette empathie, cette compassion. C'est au nom de l'empathie, semble-t-il, qu'on nous dévore tout rond sur les médias sociaux. Ce qui est d'autant plus ironique et triste à la fois. »

Ces échanges avec des inconnus ont aussi permis à Nancy de voir que sous les insultes publiques se cachaient des histoires de souffrance intime.

Du gris, encore.

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Juste une réflexion de journaliste, ici.

Les proches de Jocelyne Lizotte ont droit à leur vérité sur le travail des médias, qu'ils n'ont pas apprécié.

Je veux juste surligner en fluo métaphorique une partie de la citation d'Hanaé, plus haut, où elle dit être allée lire les commentaires « sur les articles » où, dit-elle, « ça nous traite d'épais, de chiens »...

Je répète : « SUR les articles. »

Note de service aux journalistes et à nos patrons : dans l'esprit de cette jeune femme, et dans l'esprit de ses proches, ces commentaires odieux FONT PARTIE DE L'ARTICLE, font partie de ce qu'offrent les médias.

Je vais répéter ce que je dis depuis longtemps : fuck les sections commentaires à la suite de nos reportages, sur nos sites. On se fait mal comme profession en permettant ces déversements d'égouts sous nos reportages.

Fin de l'édito.

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Le 9 mars à 7 h 30 du matin, Nancy Guénette a raconté sur Facebook la journée de la veille, ce 8 mars où Nancy et quelques-uns de ses proches, dont sa fille Hanaé et son chum David, étaient allés dire à la juge Di Salvo à quel point le meurtre de Jocelyne Lizotte les avait chamboulés dans leur fibre, dans leurs certitudes, dans leur vécu familial.

Un long, long texte de 1300 mots, dont j'ai cité des extraits dans cette chronique. Et j'en cite un dernier : « Quand une histoire n'est ni noire ni blanche, mais plutôt tout en nuance, en émotion, semblerait que l'humain a besoin de coupables, de mettre dans des cases. C'est humain, paraît-il. Et les médias aiment bien nous y pousser... »

Quand j'ai lu le texte de Nancy sur Facebook, un seul de ses amis avait inscrit un « J'aime » sur sa publication : Michel Cadotte.

Michel Cadotte, son beau-père, qui l'appelait depuis toujours sa « brute ». Michel Cadotte, qui a tué Jocelyne Lizotte, sa belle-mère, la mère de l'homme de sa vie, David.

En liberté en attendant que la juge rende sa sentence, Michel Cadotte a commenté ainsi le statut-fleuve de sa belle-fille : « Tu as bien raison, ma brute, vous êtes devenus les coupables, pourtant c'est moi qui [ai] commis l'irréparable. Je t'appuie à 100 %. »

Nancy Guénette a pris acte du commentaire de son beau-père en le marquant d'un emoji, celui du petit visage triste qui laisse échapper une larme.