En janvier, l'Université de Sherbrooke a accueilli la première représentation de la deuxième version de SLĀV. Une linguiste de l'établissement, Nadine Vincent, en a profité pour consacrer un séminaire de maîtrise à la question de l'appropriation culturelle. Un colloque présente aujourd'hui les réflexions de ses étudiants.

Q : Pourquoi organiser ce colloque ?

R : C'est un nouveau cours qu'on a lancé pour les étudiants à la maîtrise en communication, pour réfléchir aux grandes questions qui bouleversent la société. On change de thème tous les ans. Les étudiants montent un colloque et écrivent un article scientifique. Le prétexte, cette session, a été la présentation de SLĀV le 16 janvier au Centre culturel de l'Université. C'est quand même une nouvelle question au Québec. Les présentatrices, parce que ce ne sont que des filles, ça arrive souvent à la maîtrise en communications, viennent notamment de l'Europe, du Cameroun et du Sénégal. C'est intéressant de voir que pour elles, SLĀV n'était pas négatif, seulement l'occasion d'échanger. Pour elles, quand les gens ne comprennent pas, il faut leur expliquer. Ce n'est pas pour elles une nouvelle tare à pourchasser.

Q : Certains pensent que l'appropriation culturelle est un concept anglo-saxon qui ne devrait pas s'appliquer ici.

R : Aucune étudiante n'a relevé ça. Elles ont généralement été étonnées du tollé, particulièrement celles qui venaient d'Europe et d'Afrique. Une étudiante suisse nous a parlé d'un carnaval à Bâle où on a le droit de porter du blackface. C'est le dernier endroit où ces excès et ces écarts-là sont permis, mais il commence à y avoir des protestations.

Q : L'une des présentations porte sur la cuisine. Sous quel angle ?

R : Ce sont deux Françaises, dont l'une vient de la Réunion. Elles ont travaillé sur le rougail saucisse, un plat de la Réunion, et sur la poutine et sa présentation comme un plat canadien sans mentionner le Québec. Certains chefs français font du rougail saucisse, mais comme les Réunionnais se sentent souvent plus français que les Québécois se sentent canadiens, ils voyaient moins de problème à ce que le rougail saucisse soit présenté comme un plat français. Les Québécois étaient outrés que la poutine soit présentée comme canadienne sans mentionner le Québec, même s'ils ne s'opposaient pas à ce qu'elle soit cuisinée par n'importe qui.

Q : Une étudiante aborde l'autocensure. Peut-on vraiment parler de censure dans le cas des dénonciations de l'appropriation culturelle ?

R : On a passé un questionnaire aux étudiants en arts visuels en leur soumettant des cas particuliers, pour voir s'ils hésiteraient à représenter certains thèmes pour éviter l'appropriation culturelle. Certains craignent que les arts visuels n'osent plus faire des emprunts. Mais sincèrement, nos étudiants avaient l'air assez calmes et capables de défendre leur processus. On devrait mettre tous ces étudiants-là au pouvoir. Ils ont une relation très saine à leur culture et une façon de prendre du recul qu'on n'entend pas dans les débats, une volonté d'échange et d'explication, tout en reconnaissant qu'il faut respecter les cultures, respecter les symboliques.

Q : Pourquoi inclure la radicalisation islamiste dans un colloque sur l'appropriation culturelle ?

R : On peut se demander si la religion fait partie de la culture. On voulait savoir si les musulmans se sentent dépossédés de l'islam quand il est réutilisé à des fins extrémistes, si ça constitue de l'appropriation culturelle.

Q : Quelles conclusions tirent les étudiants qui se sont penchés sur les costumes d'Halloween ?

R : Elles ont interrogé des propriétaires de boutiques de costumes, qui n'ont pas changé leur offre de costumes, et des parents, qui n'ont pas non plus fait de changements pour répondre à la controverse sur l'appropriation culturelle. D'ailleurs, si on considère que l'appropriation culturelle est faite par un peuple dominant au détriment d'un peuple dominé, qu'est-ce qu'on fait avec les costumes de geisha ? Est-ce que le Japon est un peuple dominé ? Un autochtone peut mettre un chapeau de cowboy, mais un cowboy ne peut pas mettre de plumes.

Q : Vos étudiants ont-ils interrogé des gens qui dénoncent l'appropriation culturelle ?

R : Oui, dans le cadre d'une étude sur les accusations d'appropriation culturelle qui ne viennent pas de gens d'un groupe dominé, mais du groupe dominant. Par exemple, pour l'histoire de l'humoriste qui n'a pas pu présenter son numéro à l'UQAM à cause de ses dreads, ce sont des Blancs qui ont accusé un Blanc d'appropriation culturelle. La présentation sur les accusations par un tiers s'intéresse à la controverse sur les condos Osha à Hochelaga : l'étudiante a communiqué avec des gens qui avaient réagi négativement aux pubs d'Osha [qui incluaient une gravure de Jacques Cartier avec des autochtones et une histoire d'un ancien chef mohawk] pour savoir quelles étaient leurs motivations.