La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de l'Estrie abandonne plusieurs enfants vulnérables parce qu'ils font l'objet d'un conflit de garde entre leurs parents, a récemment dénoncé la justice dans une décision lapidaire.

Le juge Gaétan Dumas a fait connaître sa colère face au fait que les services sociaux de cette région refusent d'intervenir dans les dossiers d'enfants déjà judiciarisés, ce qui prive plusieurs d'entre eux de services de psychologues ou de travailleurs sociaux.

L'Estrie est « aux prises avec une abdication de la part de la DPJ qui refuse de remplir ses devoirs imposés par la loi », a-t-il tonné, dans un jugement rendu plus tôt cet hiver.

« Ce chantage institutionnel doit cesser », a affirmé le magistrat.

Dans le cas sur lequel se penchait le juge Dumas, une mère démunie avait dû elle-même se battre pour s'assurer que les contacts de ses enfants avec leur père (qui les maltraitait psychologiquement) soient supervisés.

Informée de la situation, la DPJ locale a refusé de s'impliquer dans le dossier « à moins qu'elle ne soit pas satisfaite du jugement qui sera rendu ». « Si la DPJ en vient à la conclusion que la sécurité ou le développement d'un enfant est compromis, elle se doit d'agir, a souligné le magistrat. Malheureusement, ce n'est pas ce qu'elle fait. »

Et ce n'est pas la première fois que cette situation se produit. Le juge Dumas a rendu « plusieurs jugements soulignant cet état de fait » et « a même déjà convoqué la DPJ afin de [l']aviser de la difficulté qu'elle crée en abdiquant son travail », a-t-il lui-même écrit. « Rien n'y fait. »

« Manque de ressources »

Me Julie Marcil, qui préside le comité rassemblant les avocats en droit de la famille de la région de Sherbrooke, a souligné en entrevue que ces décisions de la DPJ avaient un impact réel chez les enfants.

Le juge qui tranche les questions de garde « n'ordonnera pas une prise en charge du dossier par une travailleuse sociale », il ne pourra pas ordonner l'implication d'un psychologue « comme la DPJ peut faire », a dit Me Marcil, soulignant qu'elle ne commentait pas la décision du juge Dumas.

« En Cour supérieure [celle qui tranche les questions de garde], on n'aura pas les mêmes services », dit-elle.

Résultat : des familles en crise qui ne peuvent profiter des services d'accompagnement qui les aideraient à s'en sortir.

« Ce n'est pas systémique, mais c'est plus qu'à l'occasion, a-t-elle ajouté, c'est un symptôme parmi tant d'autres d'un manque de ressources. »

La solution du juge

La solution du juge Dumas, dans le cas sur lequel il s'est penché plus tôt cet hiver : forcer la main de la DPJ en refusant d'ordonner la supervision des visites avec le père. « Il y a des limites à ce qu'un tribunal peut faire lorsque les institutions abdiquent leur juridiction », a-t-il écrit.

Sa décision a été portée en appel.

« Nous déclinons votre demande de commenter les propos du juge Dumas rendus dans cette décision. La population peut être assurée que nous protégeons adéquatement les enfants sur l'ensemble du territoire de l'Estrie », a indiqué Geneviève Lemay, porte-parole du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l'Estrie, qui chapeaute la DPJ locale.

L'organisation « travaille de façon diligente, rigoureuse et professionnelle. La qualité et la sécurité de nos services sont une priorité organisationnelle », a-t-elle ajouté.