À 33 ans, l'artiste montréalaise d'origine française et algonquine a été choisie pour prendre part à la Biennale du Whitney Museum de New York, un tour de force dans le monde de l'art contemporain. Ayant grandi des deux côtés de l'Atlantique, elle rêve d'exposer ses oeuvres dans des musées aux quatre coins du globe. Caroline Monnet est notre personnalité de la semaine.

Recevoir un appel du musée Whitney, de Manhattan, en plein mois de novembre froid et pluvieux à Montréal ? Caroline Monnet ne s'y attendait pas.

Être choisie pour l'une des expositions les plus prestigieuses du monde de l'art contemporain ? Encore moins.

Pourtant, c'est bien ce qui s'est passé.

Avant Noël, Caroline Monnet a reçu ce coup de fil inopiné invitant l'artiste montréalaise d'origine française et algonquine à faire partie de la biennale de l'institution new-yorkaise vouée à l'art contemporain, véritable polaroïd de ce qui se fait de mieux, actuellement, en Amérique. Un immense honneur. Et une gigantesque reconnaissance. 

L'expo ouvre le 17 mai pour le grand public à New York. Caroline Monnet y présentera d'abord une vidéo déjà créée, mais dont elle ne peut rien dire pour le moment. Puis en septembre, quand le musée lancera le programme cinéma complet de l'expo, l'artiste y comptera deux oeuvres de plus.

Caroline Monnet n'est pas une nouvelle venue dans le monde de l'art contemporain à Montréal et au Canada. Ceux qui la suivent ont vu son expo solo l'automne dernier à la galerie Division, ou encore son oeuvre vidéo Mobilize au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa, un collage ultra enlevant d'archives de l'Office national du film mettant en scène des autochtones.

Parce que l'oeuvre de Caroline Monnet embrasse, illustre, met de l'avant ses racines anishinaabe (algonquines).

Du Québec en passant par la France

La femme de 34 ans a grandi à Aylmer, en Outaouais, une ville devenue aujourd'hui un secteur de Gatineau. Son père est né en France, sa mère dans la réserve de Kitigan Zibi, à Maniwaki. Ils se sont connus à l'Université d'Ottawa. Elle étudiait la psycho, lui, le droit.

Caroline a passé tous les étés de son enfance en France, en Bretagne, où son père aimait se rendre, même s'il n'était pas breton. Ses souvenirs de cette époque sont enracinés à Douarnenez, sur la côte. « J'ai vraiment un pied dans les deux mondes », dit la jeune femme.

Un pied en France, l'autre dans la culture dont est issue sa mère, mais qu'elle a dû découvrir et apprivoiser petit à petit. Parce qu'être algonquine, à l'époque où Caroline est née, dans les années 80, 90, ce n'était pas un héritage dont on se vantait. « Ma mère a été dépossédée de son identité culturelle », dit-elle. Quand elle s'est mariée, « on lui a même enlevé le droit de s'identifier comme autochtone ».

En fait, dit l'artiste, les politiques canadiennes d'assimilation ont presque fonctionné avec sa famille. À la maison, on parlait français. La mère de Caroline a grandi en anglais, car ses parents, les grands-parents de l'artiste, ont quitté la réserve tôt dans leur vie. Caroline est triste de ne pas parler la langue anishinaabe. Mais son travail l'amène à retrouver chaque jour des pièces de cette identité presque perdue. Et à « briser le cycle de la victimisation ». Elle rêve d'apprendre un jour à parler la langue de ses ancêtres.

Caroline Monnet a fait toutes ses études du primaire jusqu'au baccalauréat au lycée Claudel, à Ottawa, avant d'étudier en sociologie et en communication à l'Université d'Ottawa, puis de décrocher son diplôme à Grenade, en Espagne, où elle a pu se rendre sans difficulté, grâce à sa citoyenneté européenne.

De là, elle est partie à Winnipeg, où elle a vécu cinq ans. Un coup de foudre. Là-bas, 30 % de la population urbaine est autochtone. La ville est remplie de modèles positifs, explique-t-elle. « Il y a des artistes, mais aussi des avocats, des architectes, des médecins... » Elle devait y rester quelques jours, puis six mois, et enfin cinq ans. 

Pour vivre, elle enseigne la réalisation vidéo dans les réserves. Son chemin se trace. C'est là qu'elle commence à réaliser des films, dont Ikwé, qui est présenté au festival de films de Toronto en 2009. 

Sur son parcours, il y a aussi une année à Fort-Coulonge, « dans le bois », puis un retour à Montréal, où elle est rapidement recrutée pour une résidence à l'Arsenal dans le cadre de l'émission de télé Les Contemporains. Là elle commence à faire de la sculpture et des installations, ce qui fait maintenant partie de sa pratique artistique. 

En 2016, elle est recrutée pour une résidence à Paris, à la Cinéfondation du Festival de Cannes, un volet créé en 1998 par lequel le festival donne une chance à la relève en cinéma.

Depuis, il y a eu l'expo à la galerie Division, qui la représente. Et maintenant le Whitney.

Où se voit-elle dans 5 ans, dans 10 ans ? Quelque part entre l'Europe et Montréal, en regardant toujours ces deux horizons. « J'espère avoir l'occasion de réaliser des expositions majeures dans des musées internationaux. Avoir sorti mon premier long métrage et même un deuxième. Avoir réalisé un opéra live. Savoir parler l'anishinaabemowin. Avoir contribué à changer un peu le monde, à ma façon. »

Caroline Monnet en quelques choix

Un livre

Kiss of the Fur Queen, de Tomson Highway. « Un livre que tout le monde devrait lire. »

Un film

La leçon de piano, de Jane Campion. « C'est encore aujourd'hui la seule femme dans l'histoire du Festival de Cannes à avoir remporté la Palme d'or ! »

Un album

Only Lovers Left Alive. « Composé entre autres par Jozef van Wissem pour le film de Jim Jarmush. Je l'écoute en boucle. » 

Un personnage historique

Kondiaronk. « Chef wendat [huron], il a joué un rôle majeur dans les négociations menant à la Grande Paix de Montréal de 1701. »

Un personnage contemporain

Angela Davis. « Elle fait les choses avec une telle passion qu'elle donne envie à chacun de s'engager un peu plus dans la société. »

Une phrase

« Ne jamais sous-estimer le pouvoir de sa pensée. »

Une cause

« La protection de l'eau. C'est la crise la plus grave que l'humanité ait jamais connue. Aucune vie n'existe sans eau potable. Ma pancarte dirait : "Les dinosaures aussi pensaient avoir du temps !"»