Le gouvernement américain détenait depuis deux jours les données qui ont convaincu mercredi le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, de clouer au sol les Boeing 737 MAX, mais ne les a pas communiquées, malgré de fréquentes discussions de haut niveau entre les deux pays.

En annonçant une interdiction de vol pour les appareils 737 MAX au Canada, mercredi matin, M. Garneau a dit s'appuyer sur des données satellitaires montrant que l'écrasement d'un vol d'Ethiopian Airlines survenu dimanche avait « un profil semblable » à celui de l'écrasement d'un vol de Lion Air, en Indonésie, en octobre dernier.

Le Canada, rappelle-t-on au bureau du ministre Garneau, a d'ailleurs été le premier pays à offrir une justification concrète pour sa décision de clouer les 737 MAX au sol.

Ces données ont été obtenues vers 6 heures du matin, mercredi, d'un fournisseur privé américain, Aireon, qui exploite un réseau de surveillance par satellites. C'est Nav Canada, l'organisme qui gère le trafic aérien au pays, qui avait mis le gouvernement sur la piste de cette entreprise. Une requête avait été acheminée mardi soir.

Or, une porte-parole d'Aireon a confirmé hier à La Presse que ces mêmes données avaient été acheminées dès lundi au gouvernement américain, qui en avait fait la demande dimanche, le jour même de l'écrasement.

Information retenue ?

Au bureau de M. Garneau, on affirme avoir été en contact « au moins trois fois par jour » depuis lundi avec le cabinet de la secrétaire américaine aux Transports, Elaine Chao. La question de savoir si les Américains disposaient d'informations ignorées des Canadiens aurait notamment été soulevée à quelques occasions.

D'autres discussions canado-américaines ont aussi eu lieu à des niveaux inférieurs, entre fonctionnaires. C'est finalement Aireon elle-même qui a envoyé ses données à Ottawa.

Les réponses aux questions sur le non-partage des informations détenues par les Américains étaient évasives, hier, au bureau du ministre.

« Rien ne me laisse croire qu'il y a eu une réserve d'information, aucunement, a réagi un haut responsable qui ne souhaitait pas être cité nommément. La situation a été prise avec tellement de sérieux par tout le monde que je ne peux pas croire un instant que quelqu'un aurait retenu de l'information. »

Réaction américaine

Nos questions au bureau de la secrétaire Chao, hier, ont été renvoyées à la Federal Aviation Administration (FAA), où le porte-parole Ian Gregor a répondu qu'il n'y aurait pas de commentaires quant à savoir « comment, quand et pourquoi nous décidons de communiquer des données dans le cadre d'une enquête sur un accident », avant de nous diriger vers des explications fournies mercredi par le directeur par intérim de la FAA, Dan Elwell.

Les données reçues par les Américains lundi étaient « très brutes », avait affirmé celui-ci pour expliquer le délai entre leur réception et la décision de son organisme de déclarer une interdiction de vol.

« De la façon dont c'était présenté, ça ne représentait pas une trajectoire crédible pour un avion », avait-il expliqué. Ce n'est que mercredi qu'Aireon, avec l'aide de Boeing, avait pu raffiner ses données.

Or, selon la porte-parole d'Aireon, les États-Unis avaient reçu exactement les mêmes données que le Canada. Il a suffi de quelques heures aux experts du gouvernement canadien, mercredi matin, pour être en mesure de présenter au ministre Garneau l'analyse qui a mené à l'interdiction de vol.