Les mesures mises en oeuvre pour protéger les baleines noires n'ont pas permis au crabe des neiges de regagner son écocertification.

Le crabe des neiges du golfe du Saint-Laurent ne retrouvera pas sa certification de « pêche durable » cette année. Les efforts pour stopper l'hécatombe de baleines noires n'ont pas convaincu l'organisme Marine Stewardship Council (MSC) de lever la suspension de cette étiquette convoitée, qui donne notamment accès aux marchés européens. Au Québec, le crabe des neiges est la pêcherie qui rapporte le plus.

L'année 2017 avait été funeste pour la baleine noire de l'Atlantique Nord : 12 mammifères marins avaient été retrouvés morts en eaux canadiennes et 5 aux États-Unis, du jamais vu. Les autopsies de six bêtes avaient démontré que les collisions avec les bateaux ou les empêtrements dans l'équipement de pêche avaient causé la mort des cétacés.

La baleine noire est une espèce en voie de disparition. Il en restait approximativement 410 à la fin de l'année 2017. De ce nombre, 70 seraient blessées.

« À ce rythme-là, la baleine noire, dans 20 ans, il n'en reste juste plus, elle est vraiment en voie de disparition sérieuse », explique Lyne Morissette, chercheuse en écologie marine et médiatrice environnementale en milieu marin au sein de l'entreprise M - Expertise Marine. 

« Il n'en reste tellement plus [des baleines noires] qu'on les connaît presque toutes par leur nom. »

- Lyne Morissette, chercheuse en écologie marine

La situation s'est toutefois nettement améliorée l'an dernier. Aucune mort n'a été recensée au Canada durant la saison de pêche 2018. Par contre, trois mammifères se sont empêtrés dans des équipements de pêche. Les baleines ont été gravement blessées et sont toujours considérées comme étant prisonnières des cordages. Trois baleines noires ont également été retrouvées mortes aux États-Unis.

Plusieurs correctifs

Pourtant, après le retrait de l'écocertification du Marine Stewardship Council en mars 2018, Pêches et Océans Canada a mis en place une longue liste de mesures pour protéger la baleine noire.

Une large zone a été complètement fermée à la pêche au crabe des neiges durant la saison 2018, qui s'est étirée d'avril à novembre. Au sein d'un vaste périmètre compris entre la Gaspésie, les Îles-de-la-Madeleine et le Nouveau-Brunswick, certains quadrilatères de pêche ont été fermés 15 jours dès l'observation d'une baleine.

Près de 2000 heures de survol aérien ont été réalisées au-dessus du golfe par Pêches et Océans Canada. Les pêcheurs avaient aussi l'obligation de signaler toute interaction avec une baleine et de rapporter la perte d'un casier de pêche.

« Le certificateur a conclu qu'il n'y avait toujours pas assez de preuves pour confirmer que les mesures mises de l'avant étaient suffisamment efficaces pour mitiger les impacts de cette pêcherie sur la baleine noire de l'Atlantique Nord », a écrit lundi MSC dans un communiqué de presse pour justifier sa décision.

Pêcheurs déçus et inquiets

Le Canada est le principal fournisseur de crabe des neiges dans le monde. En 2017, la valeur des débarquements a été estimée à 209 millions par le ministère de l'Agriculture des pêcheries et de l'Alimentation du Québec, loin devant les 116 millions de l'industrie du homard ou les 27 millions de l'industrie de la crevette nordique.

« C'est très sévère de ne pas lever la suspension. On ne pense pas que  c'est justifié. »

- Jean-Paul Gagné, directeur de l'Association québécoise de l'industrie de la pêche

Le principal marché pour le crabe des neiges du Québec est les États-Unis et le Japon. « Ça nous ferme des portes à brève échéance parce qu'avec l'entente Canada-Union européenne, le crabe vivant peut rentrer en Europe sans tarif douanier depuis septembre dernier. On fait des efforts pour trouver des marchés en Europe, mais sans la certification MSC, on travaille dans le beurre. C'est très important qu'on se conforme aux exigences sur tous les continents », dit le directeur de l'Association québécoise de l'industrie de la pêche, Jean-Paul Gagné.

Nouvelles venues

La présence des baleines noires dans le golfe du Saint-Laurent est nouvelle. Avant 2015, les scientifiques en observaient une ou deux par année. De mai à septembre 2018, les mammifères ont été observés à 2159 reprises, principalement dans la zone 12 qui couvre le sud du Golfe, essentiellement de Gaspé jusqu'à l'Île-du-Prince-Édouard.

« L'an passé, on avait l'équivalent d'un peu plus de la moitié de la population dans le Golfe », explique Patrick Vincent, directeur général régional pour Pêches et Océans Canada pour la région du Québec.

C'est le réchauffement climatique qui pourrait expliquer ce nouveau phénomène. La hausse des températures de l'eau pourrait avoir fait chuter les stocks de copépodes, leur nourriture préférée, dans la baie de Fundy.

« Les femelles vont mettre bas dans la région de la Floride et de la Géorgie et après, les baleines vont entreprendre leur migration. Généralement, elles allaient dans la baie de Fundy et, depuis 2015, elles ont laissé cet endroit-là et se tiennent un peu plus dans le golfe du Saint-Laurent, où il y a toujours eu des copépodes. L'autre moitié a probablement migré plus au nord dans l'Atlantique, mais on ne sait pas où pour l'instant », ajoute M. Vincent.

Le plan pour 2019

En février dernier, le gouvernement canadien a annoncé davantage de mesures pour protéger la baleine noire. Une limite de vitesse sera imposée pour les bateaux de plus de 20 mètres. Les zones plus près des côtes, où les eaux sont creuses, devront aussi être fermées à la pêche si une baleine y est observée.

La zone d'interdiction de pêche permanente en haute mer a cependant été réduite de 63 %. Il s'agit essentiellement de la zone où 90 % des baleines ont été observées l'an dernier, explique Patrick Vincent.

Lyne Morissette, qui a travaillé comme conseillère scientifique pour l'Association des crabiers acadiens (qui sont aussi visés par la suspension), explique que les crabiers ont déployé des efforts « surhumains » l'an dernier pour tenter de réduire leurs impacts sur les baleines. C'est pourquoi elle est surprise de la décision de MSC.

Les crabiers acadiens travaillent actuellement sur 15 nouvelles technologies pour éviter d'autres empêtrements, dit-elle. Des cordages ou des câbliers qui représentent une moindre menace pour les baleines sont par exemple à l'essai.

« Actuellement, les cages de crabes sont au fond de l'eau, mais elles sont reliées à la surface par une bouée rattachée par des cordes et c'est là-dedans que les baleines vont s'empêtrer. Ça fait comme un genre de rideau de cordes. Une des solutions serait de mettre une bouée qui resterait dans le fond de l'eau avec le casier et qui serait activée par une télécommande et qui pourrait remonter à la surface juste quand il y a un besoin », explique-t-elle.

D'autres pêcheries responsables ?

Si les baleines viennent surtout mourir dans le Saint-Laurent, il est difficile de déterminer avec précision où elles se sont blessées. Il est périlleux de déterminer d'où proviennent les cordages sur une baleine vivante en déplacement. Les autorités travaillent d'ailleurs sur une manière de mieux identifier la provenance des équipements.

« Ce qu'on sait présentement, c'est que les baleines meurent empêtrées dans des engins de pêche. Ce qu'on essaie de faire, c'est de comprendre de quel engin de pêche il s'agit. Est-ce que ce sont les équipements des pêcheurs de homard américains ou ceux des pêcheurs de crabe du golfe du Saint-Laurent ? », explique Mme Morissette. « Les pêcheurs du Golfe se font enlever leur certification sur des probabilités que ce soit eux, mais ça pourrait être d'autres, aussi. C'est eux qui payent le prix, alors que toutes les autres pêcheries autour sont encore certifiées. En ce moment, c'est ce qui n'est pas clair et qui est frustrant pour les pêcheurs », déplore-t-elle.