Contrairement à une idée reçue, les politiques anti-immigration de l’administration Trump ne sont pas à l’origine de l’arrivée de demandeurs d’asile au Canada, note dans une nouvelle étude Christian Leuprecht, professeur agrégé de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada et à l’Université Queen’s. La Presse lui a parlé.

On croit souvent que les politiques anti-immigration mises de l’avant par l’administration Trump depuis son arrivée au pouvoir au début de 2017 ont causé l’arrivée de demandeurs d’asile par le chemin Roxham. Or, vous dites que ce n’est pas le cas.

Exactement. Ils n’essaient pas de fuir les États-Unis ou de fuir les politiques de l’administration Trump. La vaste majorité des gens qui traversent la frontière de façon irrégulière sont des gens qui, depuis le début, avaient comme projet de venir au Canada. Ils sont entrés aux États-Unis en ayant le Canada en tête, parce qu’ils pouvaient entrer aux États-Unis sans visa, alors qu’ils devaient en obtenir un pour venir au Canada. Il existe une minorité de gens qui viennent ici pour fuir les politiques des États-Unis, des gens qui risquent, par exemple, de perdre leur statut de protection temporaire. Or, 9 fois sur 10, leur demande d’asile est rejetée par le Canada. Par exemple, quand l’administration Trump a retiré le statut de protection temporaire pour les Haïtiens, nous au Canada, nous l’avions retiré quatre ans auparavant.

Plus d’une demande de statut de réfugié sur deux est acceptée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR). Vous dites que les personnes dont la demande est refusée finissent souvent par rester au Canada.

Chez les gens qui sont entrés au Canada de façon irrégulière — le plus souvent par le chemin Roxham au sud de Montréal —, moins de 1 % ont dans les faits été [expulsés] par les autorités canadiennes. Depuis 2017, 68 000 personnes sont arrivées au Canada de façon irrégulière. De ce nombre, 723 ont été [expulsées]. Il y a une douzaine de raisons qui expliquent cela, dont des pays qui refusent de donner des documents de voyage à leurs ressortissants, ou bien des ressortissants dont le pays d’origine est en proie à une crise politique.

Comment le gouvernement fédéral pourrait-il réformer le système d’immigration ?

Certains parlent de tout simplement transporter les personnes appréhendées au chemin Roxham à un poste frontalier, où bon nombre se verraient tout simplement refuser l’accès au Canada, en raison de l’Entente sur les tiers pays sûrs, signée entre les États-Unis et le Canada, qui veut que la personne fasse la demande dans le premier pays qu’elle visite. Le problème, c’est qu’il n’est pas clair que cela se conformerait à la loi canadienne ou à nos obligations en vertu du droit international. L’autre problème, c’est que les gens vont simplement tenter d’entrer au Canada par des sentiers plus reculés, voire en pleine forêt, pour ne pas se faire appréhender par la GRC, ce qui augmenterait les risques pour leur sécurité. Déjà, on remarque un déclin du nombre de gens se faisant appréhender au chemin Roxham, accompagné d’une hausse importante des gens qui déposent une demande de statut de réfugié à l’intérieur du pays. Donc ils ont traversé la frontière quelque part, et ensuite ils ont fait une demande.

Vous suggérez aussi de permettre aux gens de déposer leur demande d’asile alors qu’ils sont encore en territoire américain.

Oui, et si leur demande est acceptée, on les laisse entrer au Canada. Si elle est refusée, les Américains pourront les [renvoyer]. Je crois que Donald Trump pourrait accepter une telle entente avec le Canada, car c’est un système qu’il tente lui-même de mettre en place, et que l’Union européenne tente aussi de mettre en place. C’est ce système qu’a mis en place l’Australie il y a plusieurs années. Une autre solution serait aussi de faire une meilleure coordination avec les États-Unis au sujet de la liste des pays où les ressortissants sont exemptés de devoir se procurer un visa. Cela éviterait, par exemple, que des gens viennent aux États-Unis dans le seul but d’entrer au Canada, et vice versa.

Lisez l’étude (en anglais)