Le Parlement français a adopté hier une mesure visant l’imposition de bracelets « anti-rapprochements » pour les anciens couples vivant de la violence conjugale. Dans la foulée des histoires récentes survenues au Québec, le gouvernement Legault se dit « ouvert » à étudier la question.

« C’est une idée qui circule depuis la semaine dernière, a indiqué Nicky Caillé, attachée de la ministre de la Justice, Sonia LeBel. On ne la rejette pas d’emblée, mais en effet, on pourrait avoir des discussions avec nos homologues fédéraux. On est ouverts à en discuter. »

À sa sortie de la réunion du Conseil des ministres hier à l’Assemblée nationale, François Legault a dénoncé les agressions envers les femmes et déclaré avoir commandé un plan d’action pour trouver des solutions à ce problème à la ministre responsable de la Condition féminine, Isabelle Charest.

Alice Bergeron, attachée de la ministre Charest, a aussi précisé que l’idée des bracelets anti-rapprochements « circulait » au sein des ministères touchés par la question, soit ceux de la Justice et de la Sécurité publique ainsi que le secrétariat à la condition féminine, qui relève du ministère de l’Éducation.

Le bracelet anti-rapprochements est un dispositif électronique portable au poignet ou à la cheville autant par l’ex-conjoint violent que par sa victime. À l’intérieur d’un certain rayon, une alerte est lancée pour aviser les services de police, qui peuvent par la suite intervenir directement.

À Montréal, seulement pour l’année 2018, le Directeur des poursuites criminelles et pénales a annoncé avoir ouvert 4016 dossiers pour violence conjugale.

« Plus de contrôles »

« Je pense que c’est important que ces gens-là soient contrôlés, indique l’ex-enquêteur du Service de police de la Ville de Montréal Guy Ryan. Il devrait y avoir beaucoup plus de contrôles que simplement assurer la sécurité de la femme. »

L’article 810 du Code criminel, grâce auquel le tribunal peut interdire à un conjoint violent d’entrer en contact avec sa victime, par exemple, a récemment été montré du doigt par des groupes de défense des femmes comme n’étant pas suffisant.

« Assurer la sécurité de la femme, c’est une chose, mais il faut contrôler ces individus-là ! », dit M. Ryan.

« Si on a des méthodes un peu plus poussées comme un bracelet nous permettant de savoir à quel endroit il peut se trouver, il pourra être contrôlé plus efficacement. Ça donnerait des secondes et des minutes de plus au corps de police pour intervenir, avant qu’il commette l’irréparable », a expliqué M. Ryan.

Du point de vue juridique, l’implantation d’un bracelet anti-rapprochements est possible, mais pose certaines questions fondamentales, selon l’avocat criminaliste Cédric Materne, du cabinet Riendeau.

Si Me Materne estime que des vies pourraient être sauvées dans certains cas, l’application du bracelet pourrait contrevenir à la liberté individuelle dans d’autres, surtout s’il est imposé à des accusés dont la culpabilité n’est pas encore entièrement reconnue.

Au Canada, il faut toujours se rappeler que la Charte canadienne garantit la présomption d’innocence.

Me Cédric Materne

Pour l’avocat criminaliste, qui a déjà travaillé sur plusieurs cas de violence conjugale, d’autres problèmes pourraient faire surface à la suite de l’adoption d’une telle technologie, surtout si les anciens conjoints vivent dans une proximité relative l’un de l’autre.

« Ça pourrait engendrer des problèmes avec des personnes déjà déclarées coupables. Elles pourraient être accusées de bris de conditions, alors que leur intention n’était pas de commettre un bris, a-t-il dit. Ces coïncidences pourraient mener à des erreurs judiciaires. »

Les cas français et espagnol

En date d’hier, l’année 2019 a été marquée par 122 féminicides en France, un chiffre plus élevé qu’en 2018, selon un décompte de l’Agence France-Presse.

La situation a provoqué la colère chez bon nombre de Françaises et de Français. Le 23 novembre dernier, à Paris, 49 000 manifestantes sont descendues dans les rues pour dénoncer la violence faite aux femmes.

Selon la ministre de la Justice Nicole Belloubet, l’adoption de la technologie des bracelets anti-rapprochements permettra d’« éviter un nombre important de féminicides ».

En cette matière, la France suit les traces de l’Espagne, où le bracelet anti-rapprochements permet la surveillance d’environ 1350 hommes. Aucune femme portant le bracelet n’a été tuée depuis l’adoption du programme. Les médias français qui ont commenté l’expérience espagnole font mention d’une « baisse significative » du nombre de féminicides.

Au Canada, un projet pilote similaire a eu lieu en Alberta, de 2011 à 2014. Après trois années d’essai, le programme n’a pas été renouvelé, faute d’investissements.

Mercredi, La Presse a rapporté l’histoire d’une femme victime de violence conjugale qui l’a échappé belle, alors que son ex-conjoint s’est introduit chez elle malgré une interdiction de contact.