Une mère de famille incapable de trouver une place en garderie subventionnée vient de déposer une plainte contre le gouvernement Legault auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ), a appris La Presse.

Pamela Marcotte-Michaud, de Trois-Rivières, estime que le système actuel est discriminatoire : il manque de places subventionnées, des parents forcés de recourir au privé payent plus cher, sont pris à la gorge et vont jusqu’à repousser leur retour au travail ou leur projet de faire un nouvel enfant.

« Pour la majorité, ce n’est pas un choix d’aller au privé. Il y a des gens qui repoussent leur retour au travail, il y a des gens qui ne retournent pas travailler », lance Mme Marcotte-Michaud.

Début novembre, le gouvernement Legault a annoncé le retour au tarif unique pour les places subventionnées. Avant, la contribution dans le réseau public pouvait atteindre 21,45 $ par jour par enfant pour les familles mieux nanties. Maintenant, les familles qui ont accès à une place subventionnée payent 8,25 $ par jour, peu importent leurs revenus.

Cette mesure a réjoui les parents qui ont pu en bénéficier. Mais elle a creusé encore plus le fossé qui existe entre ceux qui ont la chance d’avoir une place subventionnée et ceux qui n’en trouvent pas. La Place 0-5 a officiellement une liste d’attente de 42 000 enfants.

Moi, en janvier 2019, j’avais besoin d’une garderie pour retourner au travail, le système public n’était pas en mesure de m’offrir une place. La Place 0-5 ans ne m’a jamais rappelée, alors j’ai dû aller au privé pour retourner travailler.

Pamela Marcotte-Michaud, mère de trois enfants

Excédée par la situation, la répartitrice en transport de 31 ans a rédigé sa plainte sans l’aide d’un avocat. « J’ai fait des recherches sur les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés », dit-elle.

Selon elle, le ministre de la Famille « a préféré des familles qui avaient recours à son service aux dépens de celles qui n’ont pas le choix de se tourner vers le privé », ce qui contrevient, selon elle, à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

Mme Marcotte-Michaud n’a pas voulu transmettre sa plainte à La Presse — et donc l’ensemble de son argumentaire — pour ne pas nuire au caractère confidentiel de la démarche.

La CDPDJ ne confirme pas avoir reçu la plainte, qui lui a été acheminée le 4 décembre. Une porte-parole a expliqué que ces dossiers étaient confidentiels.

Pamela Marcotte-Michaud fait le parallèle avec les écoles ou les cliniques privées : recourir à celles-ci est un choix. « Mais moi, je n’ai pas le choix ! Je ne trouve pas de CPE. »

Une nouvelle association

La réforme du gouvernement Legault a même entraîné la naissance d’une nouvelle association. Le Regroupement de parents utilisateurs de garderies non subventionnées a été créé le 1er décembre.

Son instigatrice rappelle qu’il y a près de 70 000 places non subventionnées en ce moment. Environ 25 % des familles québécoises sont donc dans le giron privé, dit-elle. Ces familles se sont retrouvées du jour au lendemain les perdantes de la réforme du gouvernement.

« On n’est pas contre le ministre, on est pour sa réforme, mais il ne devrait pas y avoir des familles sacrifiées comme en ce moment », précise Brigitte Cardinal.

Le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, a annoncé son intention de transformer des places non subventionnées en places subventionnées. À terme, donc, plus de parents québécois payeront 8,25 $ par jour. Mais il n’a pas donné d’échéancier ni précisé le nombre de places qui seront converties.

« Le ministre est sensible aux besoins actuels des parents et aux demandes des garderies privées », assure son attaché de presse, Antoine De La Durantaye.

Celui-ci avance que le gouvernement est « en mode solution » et rappelle que des places privées seront transformées en places subventionnées dès 2020.

« C’est une première au Québec, précise-t-il. Il est toutefois trop tôt pour émettre des hypothèses quant au nombre de places qui seront converties. »

Brigitte Cardinal se réjouit de la volonté du gouvernement d’augmenter le nombre de places subventionnées.

C’est super. On est d’accord avec ça. Mais pendant combien d’années des parents vont être pris en otage ? On ne peut pas se tourner vers un CPE, il n’y en a pas, de places !

Brigitte Cardinal, du Regroupement de parents utilisateurs de garderies non subventionnées 

Mme Cardinal cite en exemple sa situation personnelle. Elle a un revenu familial avoisinant les 100 000 $. Elle paye 46 $ par jour pour un enfant en garderie privée. Malgré les remboursements d’impôts, elle calcule payer près de 4000 $ par année de plus qu’une personne avec le même salaire qui envoie son enfant au public.

« Je paye plus que mes voisins qui font le même salaire, mais qui ont eu la chance d’avoir une place en CPE. Eux, ils payent 8,25 $. Moi, ça revient à 22 $ par jour après les retours. Pourquoi ? »

Le Regroupement demande au gouvernement Legault de passer au tarif unique pour tous les utilisateurs, en attendant que les places privées passent au public. Il demande aussi — comme le gouvernement l’a fait en novembre pour les parents du réseau public — le remboursement intégral de tout montant excédant 8,25 $ pour frais de garde d’enfants, rétroactivement au 1er janvier 2019.

« Le ministre Lacombe devrait aller voir son collègue au Conseil du trésor, Christian Dubé, et lui demander plus de budget parce que c’est inéquitable », suggère Brigitte Cardinal.

Le réseau en chiffres (nombre de places)
CPE : 95 815
Garderies privées subventionnées : 47 129
Garderies en milieu familial : 91 604
Total (des places subventionnées) : 234 548
Garderies privées non subventionnées : 68 793
Source : ministère de la Famille, en date du 30 septembre 2018