Les conditions « d’une importance capitale » exigées par un juge pour qu’un enfant de la DPJ puisse retourner de façon sécuritaire dans sa famille ne sont souvent pas respectées ou elles le sont avec beaucoup trop de retard. Résultat : l’enfant, même après un passage au tribunal, se retrouve en danger.

C’est entre autres choses ce qu’ont dénoncé des représentantes du Barreau du Québec jeudi dans leur témoignage à la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (mise en place dans la foulée de la mort de la fillette de Granby en avril).

De façon générale, quand un juge renvoie un enfant dans son milieu, il exige par exemple que sa fréquentation scolaire soit suivie ou que le jeune soit vu par un pédopsychiatre ou par un psychologue.

« Trop souvent, nous apprenons qu’une ordonnance n’a pas été respectée par la DPJ ou qu’elle a été dans l’impossibilité de l’exécuter », est-il écrit dans le mémoire du Barreau du Québec.

Les conditions édictées par le tribunal sont pourtant « indispensables » pour que la sécurité physique et psychologique de l’enfant soit assurée.

Quand des mesures de protection ne peuvent pas être mises en place, « il nous semble crucial que la DPJ saisisse systématiquement le tribunal en urgence », est-il encore écrit dans le mémoire du Barreau du Québec.

Un a priori pour la famille biologique ?

Mais doit-il nécessairement y avoir un a priori en faveur du retour de l’enfant dans sa famille biologique ?

Le Barreau pense que c’est ce qui doit continuer d’être visé, mais « seulement si l’enfant a des parents bienveillants, consciencieux, adéquats », a insisté Me Catherine Brousseau, présidente du Comité consultatif en droit de la famille.

CAPTURE D'ÉCRAN

Me Catherine Brousseau, présidente du Comité consultatif en droit de la famille

Sans doute devrait-on cependant ajouter un préambule à l’article de loi qui traite de cette question, pour bien préciser que la priorité des juges doit être « le développement et la stabilité affective de l’enfant », a ajouté Me Brousseau.

Dans son mémoire, le Barreau du Québec a relevé le problème particulièrement criant des enfants autochtones.

• 15,4 %
Proportion des enfants en famille d’accueil qui sont autochtones, selon les données les plus récentes. Ils ne comptent que pour 2,7 % de l’ensemble des enfants au Québec.

Au Nunavik, écrit le Barreau du Québec, « Il n’est pas rare de voir les enfants inuits être sujets à plus de 50 déplacements en famille d’accueil, voire jusqu’à 75 ». 

Il n’est pas rare, non plus, que ces enfants doivent prendre l’avion seuls, « sans leurs parents, pour comparaître à la Cour ». En région éloignée, pourquoi la vidéoconférence n’est-elle pas privilégiée ? demande le Barreau du Québec

Lucy Grey, membre du comité sur le système de justice au Nunavik, a bien expliqué que tout est à faire. « Des parents, des grands-parents ne savent même pas qu’ils ont des droits. […] On n’arrive pas à recruter des juges ou des avocats. »

Autre difficulté : tout se passe en anglais, langue seconde aussi bien des gens du Nunavik que des juges et avocats, qui ont du mal à se comprendre.

Le Barreau a rappelé que les droits de quantité d’enfants sont violés, ne serait-ce qu’en raison du manque important de ressources. Cela étant, il faudrait repenser la compétence du Tribunal des droits de la personne « afin qu’il puisse entendre les dossiers de lésion de droits » de ces jeunes.

Et encore faudrait-il agir en amont. Ainsi, le Barreau du Québec fait appel à la Commission pour qu’elle réclame immédiatement, en vue du prochain budget Legault « des ressources financières, dédiées exclusivement à la protection de la jeunesse au Québec ».

Des dossiers qui ne suivent pas

Le Barreau plaide par ailleurs pour que chaque enfant ait un résumé clair de son dossier qui le suive partout dans le réseau. « Prend-il des médicaments ? Présente-t-il un risque suicidaire ? À risque de fugue ? A-t-il un plan d’intervention à l’école ? », évoque Me Brousseau.

Les enfants sont déplacés, ils déménagent, changent d’intervenants et à l’heure actuelle, quantité d’informations déterminantes se perdent ou sont éparpillées un peu partout, se désole Me Brousseau. « Parfois, dans le dossier, même l’adresse de l’enfant n’est plus à jour et il faut faire des [appels] pour la connaître. »

Quant à la question de préserver les dossiers des enfants de la DPJ au-delà de leur majorité, comme le réclament bon nombre de jeunes qui veulent avoir accès à une part de leur passé, le Barreau du Québec a dit qu’il faudrait y réfléchir et qu’a priori, ce pourrait être fait.

La présidente, Régine Laurent, a remercié les représentantes du Barreau présentes, mais elle s’est désolée que le bâtonnier du Québec, « le grand boss », ne se soit pas présenté à sa commission.