« Don d’organes – la CAQ s’oppose à un projet de loi qui sauverait des vies. »

C’était le titre du communiqué de presse, diffusé la semaine dernière. Le député libéral André Fortin y déplorait que le gouvernement Legault refuse de débattre de son projet de loi visant à faire de tous les Québécois des donneurs d’organes potentiels.

Sur le coup, je n’ai pas compris l’hésitation du gouvernement. Voilà pourtant un enjeu sur lequel tout le monde devrait pouvoir s’entendre. La cruelle réalité, c’est qu’il manque d’organes au Québec. Vingt-huit personnes sont mortes dans l’attente d’une transplantation en 2018.

Vingt-huit personnes qui auraient pu vivre, si seulement on leur avait greffé un nouveau cœur, un nouveau poumon, un nouveau rein.

Alors que ces gens mouraient, les organes qui auraient pu les sauver étaient enterrés, incinérés, gaspillés.

Si les médecins présumaient du consentement des Québécois, plutôt que d’avoir à vérifier une signature à l’endos de la carte d’assurance maladie, n’élargirait-on pas considérablement le bassin de donneurs ?

Ne réglerait-on pas le problème une fois pour toutes ?

Ne sauverait-on pas des vies ?

Eh bien, non. C’est loin d’être aussi simple.

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C’est le Dr Pierre Marsolais, interniste-intensiviste profondément engagé dans la cause depuis 25 ans, qui a balayé mes illusions, cette semaine, en l’espace d’une entrevue.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Le Dr Pierre Marsolais

S’imaginer que le consentement présumé augmentera les transplantations au Québec, m’a-t-il expliqué, « c’est de la pensée magique ». Non seulement cette mesure ne fonctionne pas, mais elle risque de nuire à la cause.

C’est qu’il faut procéder avec extrême délicatesse pour amener une famille à considérer la possibilité de donner les organes d’un proche en état de mort cérébrale.

Le pire qui puisse arriver, c’est qu’un médecin maladroit ait l’air de vouloir accaparer les organes, coûte que coûte, sans considération pour le parent qui vit sans aucun doute l’un des moments les plus douloureux de sa vie.

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Pour le moment, au Québec, un médecin doit impérativement obtenir l’accord des proches avant de prélever les organes d’un défunt, même si ce dernier avait signé sa carte d’assurance maladie avant de mourir.

À l’inverse, un médecin peut prélever les organes d’un défunt si les proches y sont favorables… même en l’absence d’une signature.

L’introduction du consentement présumé ne changerait absolument rien à cela.

Le médecin devrait toujours obtenir l’aval de la famille avant de procéder, comme c’est le cas dans les pays où l’on présume du consentement des donneurs, en France et en Espagne, notamment.

Cet accord des proches est crucial. Imaginez le scandale si un médecin trop pressé décidait de prélever les organes d’un défunt malgré l’opposition de la famille.

Une histoire pareille effaroucherait la population et ferait dégringoler les dons d’organes.

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On compte une vingtaine de donneurs par million d’habitants au Québec. Il pourrait y en avoir quatre fois plus.

Des Québécois attendent une transplantation pendant des années. Ils attendent. Ils attendent. Parfois, ils finissent par tirer un numéro gagnant. Parfois, ils meurent.

Pourquoi est-ce si difficile ?

D’abord parce que les médecins eux-mêmes sont loin d’être enthousiastes. « Un donneur d’organes, dans un hôpital, c’est un paquet de troubles. »

C’est un patient en état de mort cérébrale. « Le médecin a perdu la partie, il n’a pas sauvé la vie du patient, il est triste et doit annoncer une mauvaise nouvelle. »

Pire, c’est un patient instable. Le médecin doit procéder à diverses manœuvres, comme injecter de l’adrénaline par intraveineuse et brancher un respirateur à oxygène. « Tout ça, en sachant que le patient est mort. »

Trop souvent, le médecin se décourage. D’autant plus qu’il pense que proposer l’option du don d’organes ne fera qu’ajouter à la détresse de la famille.

Là-dessus, il se trompe, assure le Dr Marsolais. « Quand c’est bien fait, la famille voit cette offre comme une source de réconfort immense. »

Mais il y reste un obstacle de taille : celui du partage des ressources déjà étirées à l’extrême limite dans bien des hôpitaux du Québec.

C’est que le donneur doit occuper un lit aux soins intensifs dans l’attente d’un transfert dans un centre de prélèvement. Or, cette attente dure en moyenne 50 heures.

« Le médecin fait face à un choix cornélien. Va-t-il priver un patient vivant d’un lit aux soins intensifs pour le donner à un patient qui est déjà mort ? »

On peut imaginer la frustration d’un chirurgien – et de son patient – qui doit annuler une opération parce que le dernier lit disponible aux soins intensifs est occupé par un futur donneur en état de mort cérébrale…

« Le problème est là, dans ce choix difficile qu’ont les médecins devant des ressources trop rares, dit le Dr Marsolais. C’est toute la machine qui fait défaut, pas cette histoire de consentement. »

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Championne mondiale du don d’organes, l’Espagne a instauré le consentement présumé en 1979. N’est-ce pas la preuve que cela fonctionne ?

Non, ça n’a rien à voir.

C’est même le directeur de l’Organisation nationale des transplantations qui l’affirme : « Ce succès espagnol s’explique par nos efforts, conduits depuis 25 ans, pour améliorer l’organisation du système des prélèvements d’organes », a dit Rafael Matesanz au quotidien La Croix.

De son côté, la France a instauré le consentement présumé en 1976, mais a traîné de la patte derrière le Québec jusqu’au tournant des années 2000, dit le Dr Marsolais. Ce n’est donc pas ce qui a changé la donne.

« Au Brésil, en 1997, on a dit : “dorénavant, que la famille le veuille ou non, vous prenez les organes”, ajoute le médecin. Cela a tellement nui aux dons d’organes qu’ils ont été obligés de changer la loi l’année suivante. »

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Le député libéral André Fortin se dit « déçu » de la fin de non-recevoir qu’a opposée le gouvernement à son projet de loi. Tout en admettant que les avis sont partagés au sujet du consentement présumé, il aurait aimé pouvoir au moins en débattre à l’Assemblée nationale.

La ministre de la Santé, Danielle McCann, n’a pas entièrement fermé la porte. Mais sa priorité n’est pas là. Elle a annoncé en octobre que le nombre de médecins coordonnateurs passerait de 10 à 32, « pour ne pas échapper de dons », explique son attaché de presse, Alexandre Lahaie.

Il y aura donc plus de médecins coordonnateurs comme le Dr Pierre Marsolais, fondateur de l’exceptionnel Centre de prélèvement d’organes de l’hôpital du Sacré-Cœur… fermé depuis que le Ministère lui a coupé les vivres, en octobre.

Cherchez l’ironie…

La bonne nouvelle, c’est que la réouverture du Centre serait imminente. Ça négocie fort, ces jours-ci, entre les médecins et le gouvernement. Le Dr Marsolais a refusé de commenter le dossier pour ne pas faire dérailler les négociations.

À propos d’argent, il m’a toutefois glissé une ou deux choses. En Espagne, la greffe rénale permet à elle seule d’économiser le double des coûts engendrés par tous les programmes de transplantation d’organes.

Au Québec, « chaque rein économise à la société 1 million de dollars », puisque sa greffe met fin à de coûteux traitements de dialyse. « Chaque donneur, c’est deux reins. Deux receveurs. Deux millions. »

Faites le calcul.