« Répondre en tout temps à votre téléphone. Ne pas le laisser dans l’auto, toujours sur vous. »

« Faire les clients dans l’ordre où vous les recevez (le plus possible). Ne pas faire attendre les clients plus d’une demi-heure. »

 « Ne pas accumuler les appels et ne pas faire d’autres activités durant vos heures de travail. »

 « Demander au dispatch avant d’aller luncher. »

À première vue, ces directives peuvent paraître être celles que n’importe quel employeur légitime donne à ses employés. Mais elles ont plutôt été écrites par les patrons d’un réseau de trafiquants de drogue qui opérait dans l’est et le sud de l’île de Montréal et qui a été démantelé par le SPVM cet automne.

Ce véritable « petit guide du parfait trafiquant » est contenu dans des documents judiciaires rédigés par les enquêteurs du projet Nécros mené par la section Crime organisé/stupéfiants de la région nord du SPVM que La Presse a obtenus. 

Ces directives ont pour objet d’éviter que les trafiquants attirent l’attention des patrouilleurs, qu’ils soient infiltrés ou espionnés par la police, de limiter les dommages si les communications étaient interceptées, et de réduire les pertes si jamais les enquêteurs faisaient main basse sur la drogue et l’argent.

Legs empoisonné

Ces directives ont été inscrites sur une page retrouvée par les policiers dans l’appartement d’un membre des Devils Ghosts, club-école des Hells Angels, Davis Arbour, 38 ans, tué lors d’un vol de drogue qui a mal tourné, le 24 décembre dernier, dans son immeuble de condos de la rue Jean-Talon Est, près de la rue du Côme, dans l’arrondissement de Saint-Léonard.

Dans le condo, les policiers ont découvert une importante quantité de drogue et des documents de comptabilité. Mais ils ont également — et surtout — trouvé une liste de noms assortis de codes, qui avait toutes les apparences d’une liste de clients.

Au début de cette année, les enquêteurs de la section des stupéfiants de la région nord du SPVM ont reçu des informations de sources selon lesquelles des individus avaient pris la relève d’Arbour dans la vente de stupéfiants. Ils ont aussi appris que le réseau fonctionnait avec une ligne téléphonique, de 11 h à 23 h tous les jours, et que les clients possédaient un code unique les identifiant et leur permettant d’acheter cocaïne, marijuana, haschisch et pilules.

Il n’en fallait pas plus pour que les limiers fassent un lien avec la liste de noms et de chiffres trouvée chez Arbour et déclenchent une enquête pour démanteler le réseau.

Un agent double a utilisé un nom et un code saisis et a fait au moins une dizaine d’achats de drogue contrôlés, sans éveiller les soupçons des trafiquants. 

Au bout d’un certain temps, il a introduit auprès des préposés aux appels du réseau un autre agent double, une femme, qui a elle aussi utilisé le nom d’une cliente et le code qui y était rattaché.

Fermé à Noël et au jour de l’An

La préposée s’est d’abord montrée hésitante. Elle a fini par accepter la nouvelle cliente en l’appelant et en lui donnant certaines directives.

La première était que la nouvelle cliente ne pourrait jamais donner le numéro sans avertir d’abord la préposée.

Elle ne pourrait amener d’autres clients avant un certain temps car les vendeurs devraient d’abord apprendre à la connaître. 

La vente se ferait de 11 h le matin à 23 h le soir et serait seulement impossible à Noël, au jour de l’An et durant les grosses tempêtes de neige. La « cliente » ne pourrait faire d’achat plus de trois fois par jour, et le prix minimum des livraisons serait de 20 $. Elle seule pourrait rencontrer le livreur. Elle ne pourrait demander à personne d’autre de prendra sa commande à sa place et elle devrait monter à bord du véhicule du livreur pour en prendre possession. 

Appels entrants seulement

Outre les achats contrôlés, les policiers ont utilisé d’autres moyens d’enquête usuels, notamment de l’argent marqué, et obtenu des mandats de localisation et de relevés téléphoniques, dont l’un pour obtenir l’historique de la centrale d’appels du réseau. Ils ont ainsi constaté, par exemple, que le 10 septembre dernier, il y a eu beaucoup d’appels entrants sur la ligne, mais seulement deux sortants, vraisemblablement parce que la préposée tentait de joindre un numéro d’où était provenu un appel dans les minutes précédentes. 

Onze personnes, cinq hommes et six femmes, Pierre Blais, Jean-Marc Thibodeau, Jennifer Thibodeau, Myrlande Boivin, André Bolduc, Patrick St-Laurent-Thibault, Véronique Trudeau, Maxime Dubois-Beauregard, Sandra Ducharme, Patricia Ducharme et Nadine Potelle, ont été accusés de complot et de trafic de stupéfiants, et libérés en attendant la suite du processus judiciaire. 

Un autre homme lié aux gangs de rue, Marc-Hilary Dasilma, a été tué le 24 décembre lors du vol de drogue qui a mal tourné chez Davis Arbour. Trois individus ont été arrêtés et accusés relativement à ce double meurtre. 

Exemples d’autres règles à suivre 

Être à l’heure sur son territoire.
Utiliser le GPS le moins possible et effacer les infos au fur et à mesure s’il est utilisé.
Toujours travailler seul, ne jamais avoir quelqu’un d’autre avec soi dans l’auto.
Suivre le code de la route. Éviter de stationner en double.
Écrire le moins possible sur une feuille à part et détruire les notes au fur et à mesure. Pas de carnet d’adresses et de numéros de téléphone.
Ne pas accumuler l’argent dans ses poches. Le cacher quelque part dans l’auto. Garder seulement le nécessaire sur soi.

Règles de cellulaires : 
Avoir des numéros confidentiels en tout temps (obligatoire)
Avoir un téléphone avec un code de verrouillage de clavier
Ne jamais divulguer de renseignements par texto
Effacer l’historique et toute autre information non essentielle le plus souvent possible pour que ça devienne une habitude.
Ne pas inscrire dans les contacts des noms comme : dispatch, boss, gérant, etc. Plutôt inscrire oncle, cousin, ami, ou d’autres prénoms.