« Si vous regardez ma page Facebook, je dirais que 90 % des gens sont d’accord avec ce qu’on fait », a dit le premier ministre hier.

Vraiment ? On en est là ?

Après les gouvernements par sondage et les gouvernements par « focus groups », voici le gouvernement par les « likes » ?

Mais quoi qu’en disent les amis Facebook de François Legault, quatre jours plus tard, la réforme des règles d’immigration pour les étudiants internationaux est toujours aussi mal barrée.

On en est au point où François Legault s’en prend au milieu économique, qu’il accuse de vouloir favoriser l’immigration pour avoir une sorte de « cheap labor » sous la main.

François Legault dénonçant les chambres de commerce, c’est un peu comme si Gabriel Nadeau-Dubois allait engueuler les associations étudiantes de l’UQAM.

Ça sonne faux, ça fait désordre…

On a invoqué un « problème de communication ». D’autres ont parlé d’un « manque de cœur ». J’avancerais que c’est plutôt au niveau des idées qu’il y a eu comme un petit manque.

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Bien sûr qu’un État peut et doit sélectionner ses immigrants en fonction de ses priorités – on ne parle pas des réfugiés, ici. Vu la pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans des secteurs très spécifiques, il n’y a rien de scandaleux à ce que le gouvernement mette l’accent sur certains types d’études. Après tout, le Programme de l’expérience québécoise (PEQ), créé il y a bientôt 10 ans, est une exception : on place les finissants de programmes d’études supérieures sur la voie rapide de la sélection, et donc de l’immigration.

Il est normal que le gouvernement en étudie les résultats. Il est tout aussi normal qu’il décide d’en raffiner le fonctionnement. Fermer la porte à certaines formations, ce n’est pas empêcher ces étudiants de devenir citoyens canadiens et québécois. C’est dire : on donne un accès rapide à certains, pas à tous. Les autres peuvent venir étudier ici et passer par les voies habituelles de l’immigration.

Encore faut-il faire ça de manière ordonnée et rationnelle.

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Première gaffe : on a mis fin à ce chemin en plein milieu de la session d’automne. Pas pour tous, mais pour des milliers de personnes venues étudier ici précisément parce qu’il y avait un futur passeport à la clé. (Rappelons que la vaste majorité des étudiants venus de l’étranger ne restent pas ici.)

Le gouvernement a reculé là-dessus et accordé un « droit acquis » pour ceux qui sont déjà au Québec.

Mais pour l’avenir ? Sur quelle base a été faite la sélection des programmes ? Pourquoi une maîtrise en chimie, en biologie, en environnement, en génie chimique (j’en passe) ne compterait-elle plus ?

Le ministre Simon Jolin-Barrette a dit que des immigrants sont surqualifiés. La question est plutôt : Trouvent-ils de l’emploi ? Sont-ils du « cheap labor » pour autant ? Sont-ils à la charge de l’État ? Des directeurs de cégep nous disent qu’on a exclu des programmes techniques où le taux de placement est de 100 %. Où est la logique économique, ou la logique tout court ?

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Au début de la semaine, M. Legault a dit qu’il aimerait bien accueillir un million de réfugiés et un million d’immigrants, mais que la capacité d’accueil et d’intégration du Québec n’était pas illimitée.

Sans doute, mais l’exemple est particulièrement mal choisi.

Par définition, un étudiant qui termine trois ans d’études dans un cégep de région est déjà pas mal intégré et forcément francisé. Même chose pour celle qui vient de faire une maîtrise à l’Université de Montréal, un truc qui n’est pas exactement un chemin Roxham « académique » où l’on passe sans se faire poser de questions.

M. Legault, quand il a consenti au droit acquis, a dit qu’il avait été ébranlé par des témoignages personnels. Il est vrai que, pour remplir certains programmes, des établissements sont allés à l’étranger pour vendre non seulement une formation, mais aussi une résidence permanente. Cela a-t-il créé des problèmes ?

M. Legault a ajouté : « On n’avait peut-être pas effectivement évalué des cas personnels de gens qui s’étaient fait faire des représentations, qui ont décidé de bonne foi de dire : “Moi, j’en suis, de la nation québécoise, je me sens québécois, je suis déjà au Québec.” »

Un peu comme si, dans le lot des étudiants internationaux, il y avait cette catégorie à part de gens « de bonne foi », qui ont décidé de faire du Québec leur nation. N’est-ce pas par définition le cas de tous les gens qui espèrent passer par le PEQ ? Ces cas personnels, c’est par opposition à quoi ? Comme si des étrangers venaient sournoisement se taper un doctorat bidon pour s’infiltrer dans un Québec qu’ils n’aiment pas…

Si le PEQ était si facile, cette étudiante française ayant terminé un doctorat en biologie de l’Université Laval, ayant démarré une entreprise et commençant sa vie ici n’aurait pas reçu ce printemps un refus absurde du ministère de l’Immigration. Car voyez-vous, Émilie Dubois, nous rapporte Radio-Canada, a eu le grand tort d’inclure dans son doctorat un article d’elle publié dans une revue… en anglais. On a mis en doute sa capacité linguistique. Elle a passé des tests à ses frais… pour se faire refuser à la fin.

Elle n’a volé le boulot de personne, elle a démarré sa propre entreprise. Ça, c’était avant les nouvelles normes !

Bref, on a peur de quoi ? Quel terrible abus veut-on régler ?

Hier, M. Legault, avant de s’en prendre aux gens d’affaires avides d’étudiants internationaux, a reproché aux universités de défendre le PEQ, car il leur apporte des clients, vu que les universités se financent par tête de pipe.

Ce n’est tout de même pas la faute des recteurs si le financement est ainsi construit. On ne sache pas non plus que ces étudiants volent des places d’étudiants excellents et poussent les Québécois en bas des bancs d’école.

Bref, tout est mal barré dans cette affaire parce que tout est mal pensé.

Ça sent l’improvisation, bien sûr.

Ça sent surtout l’ignorance et la méfiance du gouvernement Legault face à l’immigration et un sentiment d’urgence artificiel de faire savoir qu’on contrôle la situation, qu’on règle un faux problème.