Le sort des sinistrés touchés par les inondations survenues six mois auparavant est à prendre très au sérieux, estiment des experts. Leur état fera l’objet d’une vaste enquête menée par un trio de chercheurs universitaires, a appris La Presse.

Six mois après avoir vu leurs quartiers engloutis, les sinistrés ont le moral bas. Les cas d’anxiété, de choc post-traumatique, de dépression, de divorce, d’abus d’alcool et même de pensées suicidaires sont nombreux. Il était d’ailleurs question des dommages collatéraux des inondations dans un dossier publié par La Presse au début du mois d’octobre.

Cette situation alarmante fera l’objet d’une enquête exhaustive, financée par le Fonds vert dans le cadre du volet santé du Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques du gouvernement du Québec. Les données recueillies seront rendues publiques dès le printemps 2020. L’étude sera menée par Mélissa Généreux, médecin et professeure à l’Université de Sherbrooke, et les professeurs Danielle Maltais de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et Philippe Gachon, de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Plus Mélissa Généreux avait vent de la situation des sinistrés de Sainte-Marthe-sur-le-Lac et d’autres régions, plus des liens tangibles se tissaient avec la tragédie de Lac-Mégantic, qu’elle a vécue de près. À l’époque, elle était directrice de la santé publique en Estrie.

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Une résidence qui devra être démolie, à Sainte-Marthe-sur-le-Lac.

Que la catastrophe soit naturelle ou causée par une erreur humaine, les impacts sont les mêmes : les gens ne voient pas le bout du tunnel, la population reste marquée profondément et le tissu social s’effrite.

Le programme financé par le Fonds vert s’exécutera en deux volets. D’abord, une enquête exhaustive auprès de six régions affectées par la crue des eaux sera effectuée. Les résidants de Montréal, de Laval, de la Montérégie, de l’Outaouais, des Laurentides et de la Mauricie seront joints par téléphone pour répondre à un questionnaire.

Une fois achevée, la recherche permettra de déterminer les besoins exacts des communautés, la nature de leur détresse psychologique et les personnes les plus à risque. « On veut un portrait précis, pour évaluer la profondeur de l’impact et mieux s’outiller », indique la Dre Généreux.

Ce portrait global et détaillé permettra de formuler des recommandations formelles en termes d’intervention psychosociale.

Se noyer dans la détresse

« Mes enfants ne veulent plus dormir au sous-sol. Ils sont inquiets et traumatisés », affirme Caroline Calvé, dont la famille a été démolie par le sinistre. Rencontrée par La Presse samedi dernier à Sainte-Marthe-sur-le-Lac dans le cadre d’un rassemblement de citoyens en soutien aux sinistrés, elle a confié passer un moment difficile. « Non seulement tu es prisonnier de ta maison, mais tu vois ton voisinage moralement diminué. On a tellement de deuils à faire, ce n’est plus la ville qu’on a choisie », soupire-t-elle.

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Rassemblement de citoyens en soutien aux sinistrés de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, samedi dernier

Avoir été évacué et inondé provoque un sentiment de stress et de perte sur le plan humain, dont les effets peuvent perdurer dans le temps. « C’est majeur », soutient la Dre Généreux.

Les communautés ayant subi de tels chocs présentent de six à sept fois plus de cas de dépression. Elle n’est pas surprise que les enfants soient affectés, comme l’illustrait un article paru dans La Presse samedi dernier.

« Le bassin de gens touchés est plus large qu’on pense […] et le retour à la vie normale est très difficile, explique-t-elle. On ne doit jamais minimiser les impacts psychosociaux à moyen et long terme d’une catastrophe environnementale », conclut la Dre Généreux au terme de ses années d’expérience avec des sinistrés.

Dans certains cas, vivre un stress aigu à la suite d’une catastrophe soudaine peut mener à des idées suicidaires et même au passage à l’acte, insiste l’experte.

L’enquête est un premier pas qui vise à sensibiliser les décideurs et les citoyens.

« Le soutien psychosocial pour ces groupes de gens, ce n’est pas nécessairement d’ajouter des psychologues », avertit la chercheuse. Il faut rebâtir ces communautés qui ont vécu un stress collectif en leur offrant la possibilité de dialoguer avec les élus et s’impliquer dans des projets, avance-t-elle.

La reconstruction sociale ne peut pas uniquement reposer sur le réseau de la santé et des services sociaux, ajoute-t-elle : « Il est temps de rassembler des connaissances pour clarifier le rétablissement post-catastrophe. »