Le mégaprojet GNL Québec, qui prévoit la construction d’un gazoduc transportant le gaz naturel de l’Ouest canadien vers une usine de liquéfaction au Saguenay, pourrait augmenter les émissions globales de gaz à effet de serre (GES) et aggraver la pénurie de main-d’œuvre, soulèvent 40 économistes et chercheurs en économie qui ont évalué les impacts du projet privé.

Dans une lettre ouverte publiée ce matin, 40 signataires ont analysé les impacts économiques du projet GNL Québec, dans un contexte où les changements climatiques menacent la stabilité économique. De façon « indépendante, rigoureuse et de bonne foi », le groupe a analysé les racines économiques du projet, qui comprend un gazoduc de 750 km (volet Gazoduq), une usine de liquéfaction ainsi qu’un parc portuaire situés à Saguenay (volets Énergie Saguenay).

« On n’est pas a priori contre ce projet-là, mais on voudrait voir apparaître des projets plus cohérents et convergents avec l’état d’urgence climatique dans laquelle on est […]. On doit créer de la richesse, mais [d’une] façon qui soit complètement en accord avec la nouvelle réalité avec laquelle on jongle », a expliqué l’un des instigateurs du regroupement, Jérôme Dupras, professeur à l’Université du Québec en Outaouais et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique.

Le promoteur GNL Québec assure que son projet est bon pour l’environnement parce qu’il offrira une énergie de transition qui remplacera d’autres énergies plus polluantes, comme le charbon et le mazout. Or, les experts voient là une analyse désuète.

Ce n’est pas charbon contre gaz. C’est rendu charbon contre renouvelable. Et le gaz, c’est le chien dans le jeu de quilles, selon nous. Il y a 10 ans, ce n’était pas le cas. […] Mais aujourd’hui, ce qui remplace le charbon, c’est : l’éolien, le solaire et le gaz naturel.

Éric Pineault, cosignataire et professeur à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal

Les 40 experts observent que la tendance économique pour le gaz naturel liquéfié (GNL) est peu encourageante :  la demande est décroissante, il y a peu d’augmentation prévue pour le marché européen où est principalement destiné le GNL et, finalement, l’offre sera grandissante en raison d’une cinquantaine de projets semblables en Amérique du Nord.

« Si on regarde les tendances, soit celles de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques], de la Banque mondiale, de la Banque du Canada, de l’Agence internationale de l’énergie, absolument rien ne pointe vers une transition qui va prendre cette forme-là. […] Donc, on ne sait pas à quel point cette industrie-là va être fertile et pendant combien de temps. […] Alors on se dit : ‟Pourquoi tenter de tels projets et ne pas prendre un pas de recul ?” », expose M. Dupras, qui craint que le projet finisse en éléphant blanc.

Sans compter que le complexe sera alimenté en hydroélectricité et que l’entreprise aura droit à un taux préférentiel. Un autre élément qui fait sourciller les experts.

« On a une énergie propre et on s’en sert pour faciliter la transformation et la production d’une énergie qui, elle, dégage des GES. Est-ce que c’est le meilleur usage qu’on peut faire de nos kilowatts propres ? », se demande M. Pineault.

Finalement, les économistes doutent des retombées économiques. D’abord dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, ils estiment que les milliers d’emplois promis ne feront qu’aggraver la situation : « Rio Tinto et Produits forestiers Résolu se battent déjà pour des employés de qualité et un troisième joueur va arriver. Ce sera essentiellement de la main-d’œuvre mobile qui va venir de l’Ouest canadien », évoque M. Pineault. Ensuite, ils soulèvent que l’entreprise est une société en commandite enregistrée au Delaware, un « siphon à profits, un paradis fiscal » laissant entrevoir « peu de retombées du côté des profits de l’entreprise ».