(Val-d’Or) Le président de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec, Jacques Viens, lance un appel sans équivoque au gouvernement du Québec : «Le temps est venu d’agir».

Dans un rapport accablant pour l’État québécois publié lundi, le juge à la retraite détaille en plus de 500 pages 142 «appels à l’action» pour rétablir un lien de confiance entre les nations autochtones et le gouvernement. Québec tiendra le 17 octobre prochain une rencontre avec les représentants des peuples autochtones afin de «prioriser» les actions à entreprendre.  

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La commission Viens conclut sans détour que les peuples autochtones sont victimes de «discrimination systémique» au Québec.

«Le défi est immense, écrit M.  Viens dans son rapport. Il est inutile de le nier. Les forces vives émanant de toutes parts, et exprimées dans le cadre de nos travaux, m’encouragent toutefois à croire que le changement est possible.»

«Maintes fois par le passé, les Premières Nations et les Inuits du Québec en ont appelé à notre humanité pour mettre un terme à la douleur assourdissante de leurs peuples et redonner un nouvel élan à nos relations. Les problèmes, comme les solutions envisagées pour y remédier, sont connus. Le temps est venu d’agir», poursuit-il.

Comme le révélait La Presse lundi matin, M.  Viens exige du gouvernement Legault qu’il confie au Protecteur du citoyen le mandat de surveiller la mise en place des recommandations qu’il formule. À Val-d’Or, Québec a déplacé trois ministres pour l’occasion : Sylvie D’Amours (Affaires autochtones), Geneviève Guilbault (Sécurité publique) et Lionel Carmant (Services sociaux).

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Geneviève Guilbault, Sylvie D’Amours et Lionel Carmant.

Aux citoyens des communautés autochtones qui craignent que le rapport Viens soit tabletté, la ministre D’Amours avait un message : «Il ne connaîtra jamais la tablette, car il n’aura pas le temps d’y aller.»

Des excuses 

Jacques Viens demande aussi au gouvernement du Québec de s’excuser auprès des peuples autochtones qui ont été victimes de sa mauvaise gestion. Mais son rapport à peine publié, les représentants autochtones étaient nombreux, lundi, à l’accueillir avec scepticisme.

«Les gens sont tannés de recevoir des excuses après des excuses. Ils s’attendent maintenant à de l’action», a réagi Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador.

«Je suis d’accord pour recevoir des excuses, mais est-ce qu’on peut avoir des engagements concrets sur la mise en œuvre des recommandations du rapport?», s’est également questionnée Viviane Michel, présidente de la Fédération des femmes autochtones du Québec.  

De la discrimination systémique

La commission Viens conclut sans détour que les peuples autochtones sont victimes de «discrimination systémique» au Québec. Cette forme de discrimination, explique-t-on, est la combinaison d’une discrimination directe (soit le traitement différencié d’une personne sur la base de son appartenance à un groupe particulier) et d’une discrimination indirecte (les effets préjudiciables de l’application de lois, de politiques ou de pratiques institutionnelles sur un groupe ou une personne).

«En dépit de certains efforts d’adaptation et d’une volonté manifeste de favoriser l’égalité des chances, de nombreuses lois, politiques, normes ou pratiques institutionnelles en place sont source de discrimination et d’iniquité au point d’entacher sérieusement la qualité des services offerts aux Premièrs Nations et aux Inuits», peut-on lire dans le rapport.

«Dans certains cas, ce manque de sensibilité se solde même par l’absence pure et simple de services, laissant des populations entières face à elles-mêmes et sans possibilité d’agir pour remédier à la situation», poursuit-on.

Pour Ghislain Picard, le rapport «manque la cible» en ne nommant pas cette discrimination pour ce qu’elle est réellement : du racisme.  

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Ghislain Picard

«On parle beaucoup de discrimination, mais on ne parle pas de racisme. Pour moi, c’est un désaveu d’une réalité qui existe au Québec. S’il y a une discrimination systémique, c’est qu’il y a un racisme. On doit se pencher là-dessus», a-t-il dit lundi.

Protection des femmes 

Viviane Michel déplore pour sa part que la question de la sécurité des femmes autochtones ne trouve pas la place qu’elle mériterait dans le rapport Viens. Rappelons que les conclusions de la commission ont été publiés lundi à Val-d’Or quelque quatre années après un reportage d'Enquête portant sur les témoignages d’une dizaine de femmes autochtones alléguant avoir été victimes d’abus de la part de policiers de la Sûreté du Québec (SQ).  

«Je dis bravo au travail qui a été effectué, bravo à la reconnaissance de la discrimination systémique, mais on a raté le bateau au niveau de la sécurité de nos femmes autochtones. Nos femmes ont besoin de sécurité. Nos femmes ont besoin de protection. Ce sont des choses qu’on a [discuté lors des auditions, mais] qui ne ressortent pas du rapport», a dit Mme Michel.

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Le commissaire Jacques Viens lundi à Val d'Or,

Sur la relation entre les Autochtones et les corps policiers du Québec, le juge à la retraite Jacques Viens rappelle les nombreux témoignages troublants qu’il a entendus lors des auditions de la commission.

Une personne de la nation innue a notamment raconté avoir été incarcérée au poste de police local dans une cellule pendant huit heures après avoir été battue par trois policiers. Une femme de Val-d’Or a raconté avoir été plaquée au sol, le visage écrasé et maintenu dans la neige par la botte d’un policier, qui pesait si fort que sa boucle d’oreille s’est incrustée dans sa peau.

«Mis à part un cas survenu à Schefferville, aucune accusation n’a été déposée par le [Directeur des poursuites criminelles et pénales] eu égard aux événements ayant fait l’objet d’une enquête par le SPVM», rappelle M.  Viens.

Le commissaire a toutefois indiqué qu’une observatrice indépendante a jugé en novembre 2016 que l’enquête du corps policier montréalais avait été effectuée de façon intègre et que l’absence de poursuites «ne signifie pas pour autant que les événements allégués n’ont pas eu lieu».

«Il n’y aura pas de justice ou de réparation. C’est bien beau les excuses, mais il faut être en action pour que femmes-là ne soient pas oubliées», a déploré lundi Adrienne Jérôme, cheffe du Conseil de la nation Anishnabe de Lac-Simon, une communauté située tout près de Val-d’Or.  

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Jacques Viens et Adrienne Jérôme.

«Les gens sont très sceptiques. Ils se demandent à quoi va réellement mener ce rapport», a-t-elle ajouté.  

Des lacunes en protection de la jeunesse

En matière de protection de la jeunesse, la commission Viens rapporte plusieurs lacunes et incompréhensions entre les nations autochtones et la DPJ, résultant en plusieurs problèmes. De nombreux témoins ont affirmé lors des audiences que les placements d’enfants autochtones en familles allochtones perpétuaient de nos jours les effets des anciens pensionnats.

La commission Viens propose entre autres d’enchâsser dans la loi sur la protection de la jeunesse «la nécessité de mettre en place un conseil de famille dès qu’un enfant autochtone est visé par une intervention en protection de la jeunesse, que celui-ci soit à risque d’être placé ou non.»