Ce sont les clameurs de la foule qui impressionnaient le plus. Elles partaient de la tête du cortège et le traversaient dans un incroyable mouvement de vague. C’est à ce moment-là que l’on ressentait l’extrême puissance de l’événement, que l’on prenait conscience de la force herculéenne qui peut se dégager de centaines de milliers de personnes venues dire ensemble qu’il faut sauver la planète avant qu’il ne soit trop tard.

On se souviendra longtemps de cette marche. De cette journée fabuleuse bénie des dieux. De cette adolescente haute comme trois pommes capable de galvaniser une foule d’un demi-million de personnes (selon les organisateurs) avec de simples mots, alors qu’il faut 20 camions d’équipement à une rock star pour en faire autant. N’ayons pas peur des mots et parlons d’un événement historique pour le Québec et pour Montréal.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

« J’ai vu des jeunes en pantalon indien bouffant, d’autres en veston. Des gens déguisés en crocodile, d’autres en fauteuil roulant. Peu importe leur horizon, tous avaient le même souhait : ne pas finir leurs jours dans un immense dépotoir surchauffé », écrit notre chroniqueur Mario Girard.

Pour bien vivre cet instant, je me suis rendu au parc Jeanne-Mance vers 11 h. Un couple d’Allemands de passage à Montréal craignait qu’il n’y ait peu de monde. Trente minutes plus tard, j’avais la certitude que cette marche serait majeure. Les gens arrivaient de partout, par petits groupes. L’ambiance était festive.

La première chose qui m’a frappé est la grande diversité qui régnait chez les manifestants. Durant toute la semaine, j’ai vu des sondages qui disaient que l’environnement était un enjeu qui intéressait surtout les jeunes. La journée d’hier a donné tort à ces croyances. J’ai vu des bébés, des enfants, des adolescents complètement fans de Greta Thunberg (les tresses font un retour en force), mais aussi beaucoup d’adultes, des parents et des grands-parents.

J’ai vu des jeunes en pantalon indien bouffant, d’autres en veston. Des gens circulant en crocodile, d’autres en fauteuil roulant. Peu importe leur horizon, tous avaient le même souhait : ne pas finir leurs jours dans un immense dépotoir surchauffé. Tous avaient en tête l’héritage que nous sommes en train de préparer à ceux qui viendront après nous. « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants », avait écrit quelqu’un sur sa pancarte.

Ça rigolait ! Ça chantait ! Ça dansait ! « Elle est où, Greta, elle est où ? », a improvisé un groupe de jeunes sur l’air de la chanson Il est où le bonheur. Il y avait des effluves de pot (biologique, j’imagine), des bruits de tam-tam et de bongos.

Il y avait même des gens qui distribuaient des câlins gratuits. En revanche, je n’ai pas vu de vendeurs de bouteilles d’eau… Mauvaise journée pour eux.

J’ai aussi pu apprécier beaucoup de créativité dans les messages que les gens voulaient véhiculer. « Quand la planète est rendue plus chaude que Chris Hemsworth, y’a un problème ! », avait écrit une jeune fille. « Make Earth Greta Again », avait inscrit un autre pour faire un pied de nez au président Trump qui a ridiculisé Greta Thunberg à la suite de son passage à l’ONU.

Un adolescent avait parodié une chanson de Paul Piché : « Malheureux d’un printemps qui m’chauffe la couenne ! » Finalement, un p’tit rigolo, sans doute tenté par une carrière en humour, avait reproduit sur sa pancarte une paire de fesses au-dessus de la laquelle il avait ajouté : « Ceci est le seul gaz accepté au Québec. »

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Plus tôt en matinée, les organisateurs ont tenu un point de presse dans les jardins des Religieuses Hospitalières. En arrivant sur les lieux, je me suis d’abord trompé d’entrée. J’ai été accueilli par une armée de policiers et de gardes du corps qui surveillaient les lieux. J’ai cru un instant que Barack Obama, Madonna et Justin Trudeau tenaient une réunion secrète. On m’a fait déguerpir en m’indiquant le bon endroit.

Quelle bonne idée d’avoir utilisé ces jardins ! On aurait dit le paradis terrestre. Il nous faisait sérieusement prendre conscience de la beauté de notre planète et des mauvais traitements qu’on lui inflige. Les principaux ténors québécois de l’environnement, Dominic Champagne en tête, se sont exprimés. Puis on a présenté Greta Thunberg aux nombreux journalistes.

Quand je l’ai aperçue, je n’ai pu m’empêcher de me dire : Quoi ? C’est cette minuscule adolescente (elle est toute menue) qui a fait se déplacer des millions de gens partout au monde ?

Greta est montée sur la butte de gazon qui faisait office d’estrade avec son kangourou trop grand et sa pancarte sur laquelle il est écrit Skolstrejk för klimatet (« Grève scolaire pour le climat »).

Elle paraissait intimidée et ne savait pas où regarder. Des représentants des Premières Nations lui ont remis des cadeaux. Elle a ensuite répondu de manière posée à quatre questions. Désolé pour ceux qui aiment croire que Greta est un robot programmé. Ce n’est pas du tout le cas. Du haut de ses 16 ans, elle est capable de répondre à toutes les questions avec aisance.

À une journaliste de CTV qui lui demandait quel effet ça lui fait de voir des hommes puissants comme Donald Trump avoir peur d’elle, la jeune fille a tout simplement dit : « On est devenus très nombreux. Ça fait peur. Je prends cela comme un compliment. »

Ça commençait bien la journée. J’ai quitté les jardins en me disant que si on ne faisait rien pour améliorer le sort de la planète, j’allais rentrer chez les sœurs.

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Entre le parc Jeanne-Mance et le boulevard Robert-Bourassa, point de chute de la marche, la foule était parfois dense. J’ai profité de cette proximité pour échanger avec des gens. Renée Delisle et sa fille, Brigitte Cantin, étaient parties de Laval pour prendre part à l’événement. « J’ai traîné ma mère », m’a dit fièrement Brigitte.

J’ai aussi parlé avec Francis Paquette-Doré et Jérémy Lebeuf, deux jeunes avocats qui avaient décidé de laisser leur cravate au bureau. Il y a aussi eu ce brin de causette avec Elisabeth, Anastasia et Chiara, trois élèves de la Villa Sainte-Marcelline qui n’avaient pas eu le temps de retirer leur uniforme. « C’est notre deuxième marche pour la planète », m’ont dit les filles.

D’ailleurs, il était fascinant de voir comment Greta s’adressait directement à ce public d’élèves lors du discours qu’elle a prononcé en fin d’après-midi.

« Nous allons faire la grève tant et aussi longtemps que les dirigeants n’agiront pas », a-t-elle dit. C’est à eux qu’elle parlait.

Une jeune fille avait rédigé une belle réponse à cet appel : « Les jeunes doivent aujourd’hui manquer l’école pour assurer leur futur. »

En marchant, j’ai pensé à tous ces climatosceptiques, ces pisse-vinaigre qui ne cessent de dénigrer le discours des écologistes et remettent en question les conclusions des scientifiques. Je pensais surtout aux pionniers de l’environnement, ceux qui marchent seuls depuis des années, qui tentent de faire entendre leur voix parmi toutes les autres qui sont tonitruantes. David Suzuki en particulier. Il était présent hier. Vous imaginez ce qu’il a pu ressentir ?

La marche d’hier m’a convaincu d’une chose : que le changement est encore possible. La preuve : qui aurait dit il y a quelques années qu’Arnold Schwarzenegger, le Terminator lui-même, aurait prêté sa voiture électrique au père de Greta Thunberg afin qu’il puisse conduire sa fille à Montréal ?

Oui, le changement est encore possible. La marche d’hier l’a démontré. Ceux qui y ont participé ont compris qu’il y a des moments rares dans la vie qui sont des points de bascule. Ce vendredi bourré d’espoir en était un.