On avait pris rendez-vous la veille, sans savoir que ça allait se compliquer.

« Je vais devoir changer le lieu de la photo », annonce-t-elle dans un texto au milieu de la journée, avant de disparaître dans une sorte de vortex où ni les coups de fil ni les SMS ne semblent l’atteindre.

« Désolée », finit-elle par expliquer, quand on réussit à se parler. « Mon film vient d’être sélectionné pour représenter le Canada aux Oscars. »

Sophie Deraspe avait déjà été choisie personnalité de la semaine, après qu’Antigone eut été couronné meilleur long métrage canadien au Festival international du film de Toronto. Et voici que le Canada a sélectionné son film dans la catégorie du meilleur film étranger en vue des Oscars. 

Bravo.

« Là, on part en campagne de promotion », explique la réalisatrice de 45 ans, qui devra se rendre plusieurs fois à Los Angeles pour soutenir son film. La première étape de la sélection se terminera en décembre. « C’est excitant, mais ça me donne le vertige. » Elle sait qu’elle fera face aux Pedro Almodóvar et aux Palmes d’or de ce monde, représentant chacun leur pays. Mais elle est prête à aller parler de son long métrage. « Contente d’amener ça aux États-Unis. »

Réinterprétation

Comme son nom l’indique, le film est une réinterprétation contemporaine du classique de Sophocle. Antigone est la fille d’Œdipe, mais elle est surtout la sœur de Polynice et d’Étéocle, deux frères ennemis qui sont morts lors d’une bataille où chacun voulait la fin de l’autre. Polynice, toutefois, est considéré comme un traître par le roi Créon, leur oncle, qui a ordonné qu’il n’ait pas de sépulture. Antigone ne peut accepter cela. La pièce porte donc sur le parcours de cette femme qui estime que le devoir de respect envers tout être humain, envers tous ses frères, dépasse les règles dictées par l’État.

Sophie Deraspe a été marquée par ce personnage de femme dès la lecture de la pièce à l’école.

Elle est tellement puissante par son intégrité, alors qu’elle n’a pas d’argent, pas d’armée. Et elle est prête à devenir hors la loi. Et elle arrive, par son intégrité, son intelligence, à faire entendre son message.

Sophie Deraspe, au sujet du personnage d’Antigone

Pour le placer dans un cadre actuel, Sophie Deraspe a pensé à certaines tragédies qui se sont réellement produites, comme celle des frères Villanueva, dont l’un a été tué par un policier alors qu’il n’avait pas d’antécédents judiciaires et est devenu un symbole d’injustice, tandis que l’autre a été pris dans des affaires criminelles et s’est retrouvé menacé d’expulsion. On peut imaginer, dit la cinéaste, une sœur qui voudrait défendre également ses deux frères pour rester intègre.

Née à Rivière-du-Loup, d’un père madelinot travailleur social et d’une mère infirmière qui adore les films, Sophie Deraspe a étudié à l’Université de Montréal, en littérature d’abord. C’est en suivant un cours complémentaire en cinéma qu’elle s’est rendu compte à quel point elle aimait ce médium.

« J’ai eu un coup de foudre pour cet art qui rassemblait tous mes intérêts. »

Elle a donc décidé de se plonger derrière la caméra et a commencé sa carrière comme directrice photo pour ensuite réaliser un premier long métrage en 2006, Rechercher Victor Pellerin. Il y a eu ensuite Les signes vitaux et Le profil Amina, ainsi que Les loups. Antigone est le premier à gagner un prix au TIFF. Et il part maintenant à la conquête des Oscars.

La rébellion d’une jeune femme

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Chloé Robichaud

L’autre personnalité de la semaine est Chloé Robichaud, qui a elle aussi gagné au TIFF, dans son cas le premier prix pour le meilleur court métrage canadien. Son film, Delphine, présenté auparavant à la Mostra de Venise, parle aussi de la rébellion d’une jeune femme, cette fois parce qu’elle a été victime d’intimidation pendant son enfance. 

« J’aime le court métrage, on peut travailler sans compromis », explique la réalisatrice de Sarah préfère la course, qui revenait vers ce format. « Il y a moins d’intervenants, c’est un bel exercice. »

Née à Cap-Rouge dans une famille où la télé était toujours allumée, où le papa adorait le cinéma, la réalisatrice de 31 ans a compris tôt que réaliser serait son métier. « Dès que j’ai pu, j’ai commencé à aller au cinéma en bus », raconte celle qui a réalisé la vidéo des finissants de son école secondaire et a plongé dans les études de cinéma au cégep, avant d’aller à Concordia et à l’INIS. « Mes parents ont une agence de publicité à Québec », raconte-t-elle. Enfant, elle allait donc sur les plateaux de tournage et a fait ses premières vidéos à 17 ans. 

Les films qui l’ont marquée ? Beethoven, The Truman Show, Les invasions barbares, The Hours, Lost in Translation… 

Actuellement, elle est en pause pour préparer son prochain film et a « envie de prendre le temps », de le faire comme elle le veut. Ce qui ne l’empêche pas de rêver de tourner un jour avec Meryl Streep ou Cate Blanchett. 

Et comment se sent-elle après avoir gagné au TIFF ? « On ne fait pas ce métier-là pour ça, même si les prix, c’est vrai que ça donne de l’impact, de la visibilité. Parce que ce que je veux surtout, dit la réalisatrice, c’est que mes films soient vus. Mais c’est sûr qu’un prix d’un festival d’une telle envergure, c’est un bel honneur. »