Air Canada avale un de ses rares concurrents, mais que les passagers et les employés se rassurent et que les économistes récrivent leurs théories : le consommateur va triompher et on va même créer des emplois !

C’est ce qui était écrit dans le communiqué du transporteur hier, après le vote des actionnaires d’Air Transat favorable à la vente du transporteur québécois.

« Nous allons bâtir un regroupement supérieur à la somme de ses parties », a déclaré le président d’Air Canada, Calin Rovinescu. L’homme est d’une bonne humeur évidente devant ce résultat, mais peut-être aussi grâce à la vente d’une série d’options lui ayant rapporté 52 millions il y a deux semaines (l’action d’Air Canada s’est beaucoup appréciée depuis les rumeurs de transaction).

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Calin Rovinescu, président d’Air Canada


Les actionnaires d’Air Transat font une excellente affaire et ont sauté sur l’offre bonifiée. On n’ira pas les blâmer. Les temps étaient difficiles. Pour Air Canada, l’accès à une flotte d’appoint et la disparition d’un concurrent sont stratégiquement non négligeables. On n’est pas si cons, on a compris.

Là où je décroche tel un Boeing 737 MAX, c’est quand on nous promet des lendemains glorieux pour les consommateurs et pour les employés.

Évidemment que ce n’est pas vrai.

Oui, je parle de vous, le client de Rouge. Celui qui a encore une marque sur le bord de la tête laissée par le mauvais sandwich qu’il a eu l’imprudence de commander et qu’on lui a garroché. Vous, la cliente qu’on a extirpée de son siège à l’aide de pinces de désincarcération.

Savez-vous quoi ? La même administration va s’occuper de Transat. Vous êtes contents ?

On nous annonce que la marque « Transat » sera conservée. Je pense bien ! Ça ne prend pas des génies du sondage et du focus group pour savoir quelle société a la meilleure réputation…

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Non seulement des jours meilleurs attendent le voyageur québécois, d’après M. Rovinescu, mais cette transaction se fera « tout en procurant également une plus grande sécurité d’emploi aux salariés des deux sociétés grâce à des perspectives de croissance accrues ».

Je comprends qu’on aura besoin du même nombre de pilotes et d’agents de bord, à supposer qu’on conserve tous les vols (ça aussi, c’est à voir…).

Mais depuis quand fusionne-t-on des sociétés sans faire de compressions dans les sièges sociaux ?

Notez bien la rédaction : ce n’est pas la fusion qui créera la sécurité d’emploi. Ce sont les « perspectives de croissance accrues »…

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Revenons aux clients.

« Les voyageurs, déclare M. Rovinescu, pourront profiter des moyens améliorés des sociétés sur le marché hautement concurrentiel du voyage d’agrément à l’échelle mondiale, de l’accès à de nouvelles destinations, de correspondances accrues ainsi que de vols plus fréquents. »

Attendez un peu.

Les gens de Transat nous disent qu’ils peinent à dégager un profit sur plusieurs destinations, Sud ou Europe. Et là, Air Canada nous fait miroiter de nouvelles destinations ? Sans rien couper et sans augmenter les prix ?

Il est trop fort, le Calin.

M. Rovinescu continue : « Les consommateurs et l’économie québécoise bénéficieront grandement de la présence à Montréal d’un champion mondial axé sur la croissance dans le domaine de l’aviation, le secteur le plus international du monde, le tout créant des emplois et accentuant la réputation de la métropole en tant que centre d’aviation mondial de premier plan. »

Oh, ma gang de chanceux de Québécois, vous autres ! Pensez un peu : le secteur… le plus international… du monde ! De toute, toute, toute le monde ! Chez nous à Montréal !

Suis ému.

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Les communiqués des sociétés cotées en Bourse finissent comme les publicités américaines de médicaments.

Vous savez, quand on vous dit : achetez tel médicament contre le mal de tête pendant 21 secondes ? Et que les neuf secondes suivantes, l’annonceur parle moins fort et très, très vite pour énumérer tous les dangers du médicament pour les gens qui ont mal aux genoux, les gauchers, les cyclistes, ceux qui éternuent sans raison, les chauves, les ébénistes, pour qui ce médicament entraîne des risques d’insomnie et parfois la mort au terme d’atroces douleurs ?

Eh bien, les communiqués de sociétés « publiques », c’est pareil. Elles sont obligées de faire ce type de mise en garde qui défont toutes les belles phrases que vous venez de lire au sujet des lendemains glorieux.

Ainsi, après les citations mirobolantes de M. Rovinescu, on peut lire ces phrases très honnêtes : « Le présent communiqué contient des énoncés prospectifs au sens de la législation applicable sur les valeurs mobilières. Comme, de par leur nature, les énoncés prospectifs partent d’hypothèses, y compris celles décrites ci-dessous, ils sont sujets à d’importants risques et incertitudes. Les énoncés prospectifs ne sont donc pas entièrement assurés, en raison, notamment, d’éventuels événements externes et de l’incertitude générale qui caractérise le secteur. Les résultats réels peuvent donc différer sensiblement des résultats évoqués dans ces énoncés prospectifs du fait de divers facteurs. »

Ah, les sacrés événements externes ! L’incertitude générale qui caractérise le secteur ! Tellement vrai, tout ça.

C’est à se demander comment le Calin a pu nous faire toutes ces belles promesses. Promesses, j’allais dire en l’air, à la lumière de la mise en garde suivante : « Air Canada n’a ni l’intention ni l’obligation d’actualiser ou de réviser ces énoncés à la lumière de nouveaux éléments d’information ou d’événements futurs ou pour quelque autre motif, sauf si elle y est tenue par la réglementation en valeurs mobilières applicable. »

Bon voyage, tout le monde.