Tu parles d’une bonne et belle nouvelle : l’agronome Louis Robert sera réintégré dans son emploi. Savoureux revirement de situation pour celui qui a été congédié comme un malpropre par le ministère de l’Agriculture pour le « crime » d’avoir aidé à déterrer un scandale.

Début 2019, ce congédiement avait plongé le gouvernement Legault dans sa première vraie crise.

Le ministre André Lamontagne avait montré les limites de son talent politique en avalant les grosses couleuvres de ses fonctionnaires au sujet de Louis Robert. Et le ministre avait justifié avec arrogance l’injustifiable congédiement.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

L’agronome Louis Robert

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Le « crime » de Louis Robert, rappelons-le : il avait aidé des journalistes (Radio-Canada et Le Devoir) à exposer l’influence d’intérêts privés sur la recherche financée par le public. Des scientifiques se faisaient tordre le bras par des vendeurs et producteurs de pesticides pour censurer des études sur les pesticides tueurs d’abeilles.

Ce magouillage avait lieu au CEROM, un centre de recherche financé par vos impôts (à 68 %), mais totalement administré par le privé… dont les lobbyistes des pesticides !

Louis Robert avait donc aidé les journalistes à comprendre le scandale et à le déterrer. Il avait aussi aidé les journalistes à découvrir que l’État était bien au courant de ce qui se passait au CEROM, puisqu’une note interne du ministère de l’Agriculture (MAPAQ) décrivait ainsi la dynamique du CEROM : « une organisation contrôlée par des intérêts incompatibles avec l’intérêt public ».

Louis Robert a aidé les journalistes en derniers recours, car il avait suivi les règles imposées aux fonctionnaires pour dénoncer des situations répréhensibles. Il avait d’abord dénoncé à l’interne la situation au CEROM…

Qu’avait fait le ministère de l’Agriculture pour corriger l’intimidation de chercheurs par des intérêts privés ?

Rien.

Or, une fois l’histoire exhumée par Radio-Canada et Le Devoir, qu’a fait le ministère de l’Agriculture ? Il n’a pas imposé une meilleure gouvernance au CEROM : il a lancé une chasse aux sorcières pour découvrir qui était le « traître » qui avait osé aider les médias à faire la lumière sur la surutilisation de pesticides dans nos champs !

La traque a été courte : Louis Robert s’est lui-même incriminé en avouant avoir aidé les journalistes. Le congédiement a suivi quelques mois plus tard.

Bizarrement, l’affaire est devenue une affaire d’État qui a embarrassé le gouvernement et provoqué une conversation nationale sur l’agriculture québécoise.

Je dis « bizarrement », car au panthéon des scandales, celui-ci était improbable : les scandales impliquant des avocats, des comptables, des politiciens, des policiers, des constructeurs de trottoirs ou de viaducs, ça va, on connaît, on a joué dans ces films-là…

Mais un scandale impliquant un… agronome ?

S’il y a une profession qui fait rarement des vagues, c’est bien celle-là. En agriculture, en plus, un sujet qui suscite généralement des Zzzzzz appuyés dans l’opinion.

Mais dans le cas de Louis Robert, c’est comme si les Québécois avaient instinctivement compris que l’agronome avait été viré parce qu’il avait osé dire une vérité qui dérangeait de gros intérêts en agriculture. Et que l’État s’était rangé du côté du poids du fric plutôt que du côté de l’intérêt public.

Donc, la réintégration annoncée de l’agronome Louis Robert est une victoire pour la décence et le gros bon sens, une injustice a été corrigée. On devine que se faire virer comme un malpropre, ça peut être un engrais à gros stress, même quand on est droit comme un chêne, comme Louis Robert.

Mais il ne faut pas être naïf non plus : Louis Robert était une patate chaude pour l’État, surtout depuis la publication de l’enquête de la protectrice du citoyen, en mai. La protectrice a bien expliqué comment le MAPAQ a professionnellement assassiné Louis Robert. Après ce rapport publié en mai, ça devenait gênant de ne pas réintégrer Louis Robert. Lui redonner son emploi étouffe une crise.

Mais ce que l’agronome dénonçait, l’influence des lobbys agricoles dans les campagnes et dans les bureaux du ministère de l’Agriculture, on en est où, là-dessus ?

L’intérêt public, des fois, c’est légiférer et réglementer d’une façon qui fera fatalement suer les intérêts privés. Si le feuilleton des chercheurs du CEROM intimidés et censurés par les vendeurs de pesticides au vu et au su du ministère de l’Agriculture a montré une chose, c’est que le ministère de l’Agriculture est sensible aux pressions des lobbys.

C’était inquiétant, ce l’est encore.

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En mai dernier, dans l’affaire Robert, la protectrice du citoyen s’est prononcée sur la forme, c’est-à-dire sur les mécanismes internes qui ont mené au congédiement de l’agronome.

Elle préparerait un autre rapport sur le fond, sur ce qui s’est passé dans ce CEROM où des scientifiques ont été intimidés pour avoir voulu dire une vérité qui dérangeait leurs maîtres, les vendeurs de pesticides. Quel a été le rôle de l’État, dans ce feuilleton ?

Ça risque de constituer une bonne et belle lecture.