Imaginez des ordinateurs si puissants qu’ils peuvent craquer n’importe quel mot de passe et faire voler en éclats toute la sécurité sur l’internet. Science-fiction ? Pour l’instant, oui. Mais le scénario pourrait devenir réalité avec l’avènement prochain des ordinateurs quantiques. Pour s’y préparer, le Canada a accordé hier un contrat de 30 millions de dollars à la multinationale Honeywell pour concevoir un satellite capable de sécuriser nos communications. Le point en cinq temps.

Ordinateur quantique

En théorie, un ordinateur quantique pourrait résoudre en quelques secondes des problèmes que nos ordinateurs actuels mettraient des milliards d’années à élucider. Son truc : au lieu de manipuler des bits, ces unités d’information qui peuvent prendre la valeur « un » ou « zéro », il manipule des bits quantiques, ou qubits. Un qubit peut prendre les valeurs « un » et « zéro »… simultanément. Pensez à une pièce de monnaie lancée en l’air qui ne tomberait ni sur pile ni sur face. Cette propriété vient des étranges lois de la mécanique quantique qui gouvernent l’infiniment petit et selon lesquelles une particule peut se trouver dans deux états en même temps. Au lieu d’accomplir une opération à la fois, les ordinateurs quantiques peuvent ainsi en faire plusieurs simultanément. Ces machines du futur ne sont pas encore au point, mais des prototypes existent dans les laboratoires. « On ne sait pas quand les ordinateurs quantiques seront prêts pour la commercialisation, mais on veut s’y préparer », a expliqué à La Presse Dean Sangiorgi, ingénieur principal de l’Agence spatiale canadienne, qui parle d’un horizon de 10 à 20 ans.

Menace

Découvrir de nouveaux médicaments, révolutionner les prévisions météo, mieux traiter les cancers : les ordinateurs quantiques font miroiter de nombreuses promesses. Mais ils posent aussi un risque sous-estimé : celui de miner la sécurité de nos communications. Devant la puissance de calcul de telles machines, les mots de passe et les autres mesures de protection actuelles ne tiendraient pas longtemps. Dans une conférence prononcée à l’Université de Montréal l’an dernier, le chercheur Gilles Brassard, sommité mondiale sur ces questions, a évoqué rien de moins qu’un « effondrement de la civilisation » si on ne se prépare pas adéquatement à l’arrivée de l’ordinateur quantique.

Combattre le feu par le feu

Voilà pourquoi l’Agence spatiale canadienne réagit. Elle a annoncé hier l’attribution d’un contrat de 30 millions de dollars à la multinationale Honeywell pour développer et tester un système de communication expérimental capable de résister aux ordinateurs quantiques. Ce système reposera sur une technologie appelée « distribution quantique de clés ». L’idée : combattre le feu par le feu en utilisant les lois de la mécanique quantique pour générer une « clé secrète » permettant de déchiffrer des messages codés. Cette clé, connue uniquement de l’expéditeur et du récepteur, est impossible à craquer. La technique, complexe, fonctionne en envoyant des particules lumineuses appelées photons. Quiconque tente d’intercepter une telle clé laisse une marque et se trahit. Cette méthode « garantirait la confidentialité des données publiques, privées et commerciales des Canadiens », affirme l’Agence spatiale canadienne.

Un relais dans le ciel

Le hic avec cette fameuse clé secrète est qu’elle voyage mal dans les systèmes de fibres optiques dans lesquels circulent une bonne partie de nos communications. Au bout de 200 km, le précieux signal se perd. L’Agence spatiale canadienne veut contourner le problème en utilisant un satellite. « La clé quantique est générée sur la Terre et est envoyée à un satellite, puis le satellite la transmet à une autre station terrestre », explique l’ingénieur Dean Sangiorgi. Pour l’instant, seule la Chine a annoncé avoir établi des communications protégées par cryptographie quantique via satellite. Selon l’Agence spatiale canadienne, la méthode canadienne serait plus « flexible » que celle testée par le Chinois.

« Pour l’instant, on concentre nos efforts à démontrer que la technologie fonctionne », précise Dean Sangiorgi, qui explique qu’il faudrait à terme plusieurs satellites pour sécuriser l’ensemble des communications canadiennes. Le système canadien a été baptisé QEYSSat, pour Quantum Encryption and Science Satellite.

Une invention québécoise

La cryptographie quantique sur laquelle repose le projet QEYSSat est une invention québécoise. Elle est née dans le bureau de Gilles Brassard, professeur d’informatique à l’Université de Montréal, lors d’une séance de remue-méninges devenue mythique, tenue en 1972. Outre M. Brassard s’y trouvaient le Québécois Claude Crépeau, les Américains Charles Bennett et William Wooters, l’Australien Richard Jozsa et l’Israélien Asher Peres (aujourd’hui disparu). En mai dernier, Gilles Brassard a reçu le prix Wolf de physique pour ses travaux dans le domaine, la plus prestigieuse récompense de la discipline après le Nobel. De façon plus générale, le Canada mène plusieurs travaux de pointe dans le domaine de l’informatique quantique. Le projet de l’Agence spatiale canadienne est d’ailleurs réalisé conjointement avec l’Institut d’informatique quantique de l’Université de Waterloo, en Ontario.