« Acheter des abonnés, c’est une pratique qui nuit aux gens qui travaillent vraiment fort pour avoir de vraies interactions sur Instagram », a réagi l’influenceuse Catherine Francoeur à la suite de la publication, hier, d’une enquête de cinq mois de La Presse pendant laquelle nos journalistes ont créé de toutes pièces un personnage sur Instagram. 

The Pretty Runner s’est acheté des abonnés, a échangé des commentaires et a utilisé des robots pour obtenir des mentions « J’aime ». Malgré ses méthodes controversées, elle a été approchée par des entreprises et par la Ville de Montréal, qui lui ont offert 3500 $ en argent et en cadeaux.

(Re)lisez notre reportage

Catherine Francoeur est présente sur les plateformes YouTube et Instagram depuis huit ans, « avant même que le mot “influenceur” n’existe », dit-elle. Celle qui gagne sa vie grâce aux réseaux sociaux constate que son métier a changé au cours des dernières années.

Sans dénigrer personne, au début, tout le monde se lançait sur YouTube et sur Instagram par passion parce que personne ne pouvait en vivre. Aujourd’hui, c’est sûr qu’il y a des gens qui trouvent attrayante l’idée de recevoir des trucs gratuits et des voyages.

Catherine Francoeur, influenceuse

Mme Francoeur confirme que l’achat d’abonnés est « très présent » sur Instagram. « Sans les nommer, il y a des noms qui circulent dans le domaine », raconte-t-elle, refusant toutefois de dévoiler l’identité de ces personnes.

PL Cloutier, qui a été nommé l’influenceur préféré des 18-34 ans selon un sondage Léger l’année dernière, a aussi commenté le reportage publié dans La Presse.

« OMG ! ! Hahaha wow ! Moi-même je serais tombé dans le panneau je pense ! Les photos sont vraiment belles et y’a tellement d’effort dans ce compte que de vrais abonnés auraient fini par arriver avec le temps ! Presque déçu que ça arrête ! », a-t-il écrit sur le compte de The Pretty Runner, une fois sa véritable identité révélée, hier. Il n’a pas été possible de le joindre au téléphone.

La blogueuse Mayssam Samaha a répliqué à son commentaire sur Instagram. « C’est pas vrai PL que les abonnés finissent par arriver parce que tu fais du beau contenu. Je considère mon contenu pas pire, j’y travaille fort et je n’ai jamais utilisé aucun service externe mais les abonnés n’arrivent malheureusement pas. »

Mayssam Samaha est l’auteure du blogue Will Travel for Food. Elle est inscrite à Instagram depuis huit ans et elle publie régulièrement des photos de cuisine et de voyage. Malgré tout, elle ne compte que 5127 abonnés.

C’est un peu frustrant comme ancienne sur Instagram de voir des comptes qui débutent et qui me dépassent en nombre d’abonnés. Je sais à quel point c’est difficile d’en gagner de nouveaux.

Mayssam Samaha, blogueuse, en entrevue avec La Presse

La blogueuse est tout de même satisfaite du travail d’Instagram qui élimine beaucoup de faux abonnés sur sa plateforme, dit-elle. Toutefois, elle trouve que le réseau social pourrait être plus sévère envers ceux qui utilisent des outils pour gonfler leurs abonnés, leurs mentions « J’aime » ou leurs commentaires.

« Je trouve que ceux qui achètent des abonnés ne sont pas pénalisés du tout. Peut-être qu’Instagram pourrait suspendre leur compte pendant quelques jours ou quelques semaines. Les gens qui dépendent de leur compte, ça les affecterait davantage. »

The Pretty Runner a acheté 15 000 abonnés pour 75 $ lors de l’enquête qui a débuté en décembre dernier. Lorsque son compte est passé de 294 à 15 500 abonnés en 40 minutes, il n’a en effet jamais été bloqué.

ET LES AGENCES ?

Hier, l’agence de communication Tact Intelligence-conseil a fait circuler le reportage de La Presse parmi tous ses employés. « C’était presque un devoir que tout le monde lise ça. En même temps, personne n’est tombé en bas de sa chaise », explique Daniel Matte, associé fondateur de l’agence.

M. Matte confirme qu’il n’existe aucun outil fiable à 100 % pour vérifier la crédibilité d’une personne sur Instagram. Pour cette raison, l’agence travaille souvent avec le même petit bassin d’influenceurs avec lesquels s’est développée une relation de confiance.

Le reportage, qui a montré la facilité avec laquelle on peut s’acheter des abonnés et des « J’aime », va assurément remettre en question la collaboration avec de nouveaux influenceurs, dit M. Matte. « Mais je dois dire qu’on faisait déjà preuve de prudence. Tout le monde peut s’improviser influenceur. Il y a des gens qui sont partis de zéro, ils sont de réels influenceurs et leur contenu est intéressant. Mais vous avez fait la démonstration qu’il peut aussi y avoir beaucoup de faux là-dedans. »

L’agence Kabane a également diffusé l’enquête de La Presse sur sa messagerie interne et les employés ont pu la commenter. Là encore, les pratiques litigieuses divulguées dans le reportage étaient connues des employés.

« Ce reportage va ouvrir les yeux du grand public sur ce qui se passe avec les comptes Instagram qui paraissent si beaux, mais qui sont vides en fait, a dit Thomas Picos, président de l’agence. Si on éduque le grand public, ça veut dire qu’on éduque les clients d’agence. De ce fait, les agences vont aussi devoir adopter de meilleures pratiques et s’améliorer. »