Jamais la vétérinaire n’avait vu des animaux aussi maltraités. Et tout cela durait impunément depuis des années. Dans un résumé d’enquête extrêmement détaillé, la SPCA de Montréal relate les traitements atroces imposés aux animaux du zoo de Saint-Édouard, en Mauricie. La cour vient d’autoriser la publication du document utilisé pour justifier une perquisition sur place et le retrait des animaux du propriétaire Normand Trahan, accusé de négligence et de cruauté animale le mois dernier.

Absence de soins

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Maigreur extrême des alpagas, des yaks et du wapiti, plaie couverte de mouches sur l’oreille d’un loup blanc : l’enquête a révélé des problèmes de santé animale graves qui n’étaient aucunement traités.

M. Trahan, 69 ans, conteste la validité de la perquisition et des accusations. Il dit être ciblé par la SPCA parce que l’organisme a un parti pris contre les zoos. Mais le résumé d’enquête dévoilé hier donne des munitions à ses détracteurs. Maigreur extrême des alpagas, des yaks et du wapiti, plaie couverte de mouches sur l’oreille d’un loup blanc, lésions cutanées sur le derrière des antilopes, problèmes de peau chez les zébus, sabots mal entretenus qui déforment les pieds des zèbres : l’enquête a révélé des problèmes de santé animale graves qui n’étaient aucunement traités. Et il ne s’agissait là que des maux physiques. Une vétérinaire qui accompagnait les enquêteurs a constaté une santé psychologique « dramatiquement affectée » chez la plupart des animaux observés.

Mordus et griffés

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Les mauvaises conditions de garde au zoo de Saint-Édouard favorisaient les attaques entre animaux et même contre des clients, révèle l’enquête.

Les mauvaises conditions de garde favorisaient les attaques entre animaux et même contre des clients, révèle l’enquête. Entre 2015 et 2016, un bambin de 17 mois aurait été griffé par un macaque, trois visiteurs adultes auraient été mordus par un zèbre, et un enfant aurait été mordu à l’oreille par un lionceau. Les attaques entre animaux semblaient aussi courantes. En plein hiver, les macaques auraient envahi l’enclos des lémurs pour les attaquer. Les lémurs ont fui à l’extérieur et ont souffert de graves engelures. Certains ont perdu des doigts, un autre avait un os dénudé. Un vétérinaire, constatant leurs douleurs atroces, a recommandé qu’on les envoie se faire opérer d’urgence. Normand Trahan aurait refusé, prétextant qu’ils pouvaient encore se reproduire, malgré les engelures.

La lionne martyre

PHOTO STÉPHANE LESSARD, LE NOUVELLISTE

Des lions ont été gardés dans une cage pour chiens et un mâle adulte affichait des cicatrices d’origine inconnue.

Les experts mandatés par la SPCA se sont notamment penchés sur le cas de Layla, une jeune lionne qui a enduré le martyre. Nourrie principalement au steak haché, elle ne recevait que 10 % du calcium dont elle avait besoin. Ses os ont perdu leur densité, sont devenus trop fragiles pour soutenir son poids. Son bassin s’était fracturé, elle n’arrivait pas à se tenir debout et affichait un retard de croissance important. Normand Trahan a dit aux enquêteurs qu’il a fini par tuer la lionne d’une balle à la tête. D’autres lions ont été découverts mal en point, dont un lionceau gardé dans une cage pour chiens et un mâle adulte qui affichait des cicatrices d’origine inconnue.

Tués sans raison ?

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Normand Trahan, propriétaire du zoo de Saint-Édouard, en Mauricie, est accusé de négligence et de cruauté animale.

Des témoins ont confié à la SPCA que Normand Trahan gardait dans un livre de cuir noir un décompte des animaux abattus pour leur viande, pour être empaillés ou pour servir de trophées de chasse. Ses explications sur les motifs qui l’avaient poussé à achever certaines bêtes étaient nébuleuses. Dans une chambre froide, les enquêteurs ont découvert deux carcasses de tigres congelées, plusieurs têtes d’animaux dont le corps était absent et une boîte pleine de crânes de moutons. L’un des tigres, tué par balle, aurait connu une fin « extrêmement douloureuse », selon la nécropsie. « L’agonie du tigre a duré plusieurs minutes », lit-on dans les documents d’enquête. Normand Trahan aurait aussi tué un faisan doré en appuyant sur son abdomen avec son genou jusqu’à ce qu’il suffoque.

Enclos inadaptés

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Selon la SPCA, plusieurs des 150 animaux étaient gardés dans des enclos inadaptés, voire dangereux, avec un accès restreint à une eau dont la qualité était « très douteuse ».

Selon la SPCA, plusieurs des 150 animaux étaient gardés dans des enclos inadaptés, voire dangereux, avec un accès restreint à une eau dont la qualité était « très douteuse ». Des animaux des climats chauds étaient exposés au froid. Des animaux sociaux destinés à marcher en groupe sur plusieurs kilomètres chaque jour, comme les gnous, les oryx, les nilgauts, les élans du Cap et le chameau étaient isolés, confinés dans des espaces de deux fois leur grandeur. Un dromadaire avec un licou fixé tellement solidement autour du cou qu’il a fallu le couper avec un coupe-boulons. Des clous, des morceaux tranchants, des aspérités dangereuses posaient un risque de blessures dans les enclos des yaks.

Danger généralisé

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La SPCA a mené une perquisition au zoo de Saint-Édouard le 21 mai dernier.

La Dre Marion Desmarchelier, une vétérinaire qui a assisté la SPCA lors de l’inspection des lieux, n’en revenait tout simplement pas. « Au cours de ma carrière, j’ai travaillé dans de très nombreuses institutions zoologiques en France, aux États-Unis et au Canada. J’ai visité et travaillé avec de petits zoos familiaux ayant très peu de moyens. Mais en 15 ans, je n’ai jamais vu quoi que ce soit qui même s’approcherait des conditions que j’ai pu voir lors de cette perquisition au zoo de Saint-Édouard », a-t-elle écrit dans son rapport. Selon elle, le danger était généralisé, plusieurs animaux étaient à risque de mourir à très court terme à cause de la soif, du froid, d’une alimentation insuffisante, inappropriée ou carrément toxique et pleine d’excréments.