Maladies, maternités, retraites, contrats terminés : le roulement intense de personnel à la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) de Mauricie–Centre-du-Québec a créé un « vacuum de services » dans lequel des enfants ont été abandonnés, déplore la justice, qui exige un plan d’action clair de la part de l’organisme.

La juge Pascale Berardino vient de blâmer l’organisation, qui fait déjà l’objet d’une enquête par la Commission des droits de la personne après une série de jugements accablants. Le dossier pourrait aussi atterrir sur le bureau de Régine Laurent, présidente de la nouvelle Commission d’enquête sur la protection de la jeunesse.

Selon l’avocate de l’un des enfants concernés, il ne s’agit pas d’une situation exceptionnelle.

Deux intervenantes en congé de maladie, une autre en congé de maternité, un avocat en congé de maladie et une intervenante en vacances à un moment crucial (absences accordées par une remplaçante mal informée) : la juge a fait face à une cascade d’absences qui a rendu « exceptionnellement pénible » la révision d’un dossier d’enfants maltraités, l’an dernier. Les enfants auraient subi ou seraient susceptibles d’avoir subi des sévices sexuels.

« Le navire de la [DPJ est] alors à la dérive, sans capitaine et sans équipage », et la juge décide de convoquer la grande patronne de la DPJ de Mauricie–Centre-du-Québec, Gina Landry elle-même. Celle-ci ne se présente pas, étant sur le point de partir à la retraite, rapporte la juge Berardino dans une décision diffusée la semaine dernière.

Mais les véritables victimes sont les trois enfants au centre de ce dossier, a-t-elle souligné.

« À un certain moment, plus personne ne remplissait le mandat de la directrice, laissant cette famille dans un vacuum de service. » — Extrait du jugement

La DPJ et le centre jeunesse ont ainsi « lésé les droits de l’enfant ».

Les dossiers s’accumulent

C’est Robert Levasseur qui est à présent le directeur de la protection de la jeunesse pour la région Mauricie–Centre-du-Québec. Il n’a pas accordé d’entrevue à La Presse.

« La situation des enfants démontre en tout point l’extrême vulnérabilité des situations familiales dans lesquelles nous devons intervenir. La chronologie des évènements témoigne que nous avons rencontré certains défis à offrir des services exemplaires », a indiqué par courriel Geneviève Jauron, responsable des relations de presse au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Mauricie–Centre-du-Québec.

« Cette situation nous préoccupe, et nous allons suivre en tout point l’ordonnance de la juge Berardino afin de nous assurer d’offrir les meilleurs services possible aux jeunes et à leur famille », a-t-elle ajouté.

« Les jeunes visés dans le jugement reçoivent tous les services avec l’intensité nécessaire. » — Geneviève Jauron, responsable des relations de presse au CIUSSS de la Mauricie–Centre-du-Québec

Depuis trois ans, la justice tire à boulets rouges sur l’organisation en raison de sa gestion problématique de nombreux cas.

À l’automne 2018, la juge Marie-Josée Ménard l’avait dénoncée pour avoir « abandonné » une enfant au sein d’une famille d’accueil « toxique » et « dysfonctionnelle » pendant six ans. Porte de la chambre verrouillée de l’extérieur, brimades verbales et abandons lors de vacances : son maintien dans ce milieu de vie constituait de la « négligence institutionnelle ».

C’est la même magistrate qui avait, à la fin de 2016, critiqué la même DPJ pour avoir « complètement et totalement abandonné » deux enfants dans une famille au sein de laquelle ils étaient frappés et humiliés.

En décembre 2017, l’organisation avait aussi subi les foudres de la justice en raison des « désordres » importants qui régnaient dans le dossier d’un enfant piégé dans des dédales administratifs interminables. À cause de la situation, le juge s’était dit forcé de retourner le jeune dans sa famille biologique, connue pour des antécédents de négligence et de violence, malgré le risque de « préjudice sérieux ».

« Ni exceptionnel ni régulier »

L’avocate désignée pour représenter l’aîné de la fratrie, qui fait l’objet du jugement de ce mois-ci, Me Mireille Leblanc, a affirmé qu’elle n’avait pas été surprise en constatant le manque de stabilité dans l’équipe responsable de soutenir l’enfant de 12 ans.

« Ce n’est ni exceptionnel ni régulier, mais c’est passablement présent de façon générale », a-t-elle dit en entrevue téléphonique. Elle n’a « pas hésité » à déposer une demande pour faire reconnaître que les droits de son client avaient été lésés.

La juge Berardino a conclu que la DPJ de Mauricie–Centre-du-Québec avait aussi lésé les droits de l’aîné de la fratrie en omettant d’appliquer un jugement de la cour qui limitait les contacts entre l’enfant et son beau-père.

Une fois son plan d’action établi, la DPJ de Mauricie–Centre-du-Québec devra le présenter à la Commission des droits de la personne.