Les mesures incitatives de plus en plus importantes pour l’achat de voitures électriques commenceront bientôt à poser un problème de financement des routes, selon un nouveau rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). C’est que les ventes d’essence, dont les taxes servent en partie aux routes, plafonnent et se mettront sous peu à baisser.

Le rapport de l’OCDE suggère de remplacer progressivement les taxes sur le carburant par une taxe sur le kilométrage. Déjà, des projets pilotes en ce sens ont été lancés en Amérique du Nord et certains pays européens imposent une taxe kilométrique plutôt que des droits d’immatriculation sur les camions. « C’est potentiellement un problème parce que c’est une taxe régressive qui touche moins les riches », explique Bertrand Schepper, de l’Institut d’information et de recherches socioéconomiques (IRIS), groupe de réflexion de gauche.

« Quand on habite au centre-ville de Montréal, on utilise moins sa voiture. Mais si on n’a pas l’argent pour acheter au centre-ville de Montréal, on habite en banlieue et on utilise davantage sa voiture. » — Bertrand Schepper, chercheur de l’IRIS

Le rapport de l’OCDE note que pour certains pays européens, notamment l’Italie et le Danemark, les taxes sur le carburant représentent plus de 2 % du PIB, ce qui signifie que le passage aux voitures électriques fera un trou dans le budget. Une récente analyse du magazine Business Week faisait état d’une vague de nouvelles taxes visant les voitures électriques dans les États américains, pour contrer la baisse des revenus d’essence. « Les taxes sont moins élevées au Québec qu’en Europe, alors je pense que ça va avoir un impact moins grand sur les revenus de l’État, les fonds disponibles pour les routes et le transport en commun », dit M. Schepper de l’IRIS.

L’idée du péage

Germain Belzile, de l’Institut économique de Montréal, groupe de réflexion de droite, note que le rapport de l’OCDE concrétise des enjeux dont discutent depuis belle lurette les économistes des transports. « Il va y avoir de grosses pertes fiscales éventuellement avec la baisse des revenus des taxes sur l’essence. Il faut trouver un autre moyen de financer les routes. Il y a aussi d’autres externalités des voitures que les émissions de gaz à effet de serre, par exemple la congestion. Sur ce point, les voitures électriques ne sont pas meilleures.

« L’idée, selon moi, est une taxe proportionnelle au kilomètre. Je ne vois pas vraiment d’autre solution. C’est une forme de péage. J’ai un transpondeur EZ-Pass quand je vais aux États-Unis. Ça marche très bien, on ne ralentit pas beaucoup aux postes de péage. » N’y a-t-il pas un risque de mettre un péage sur les ponts menant à Montréal ? « On n’a pas besoin de faire comme New York et de mettre un péage de 15 $. On peut parler d’un péage de 3 $ en heure de pointe, avec des modulations. »

« De toute façon, il faut trouver une solution à la taxation de la congestion par les véhicules électriques. » — Germain Belzile, Institut économique de Montréal

Mieux planifier le territoire

Pour Annie Gauthier, de CAA-Québec, l’important est de ne pas pénaliser les automobilistes qui choisissent de vivre à un endroit où ils utilisent davantage leur voiture. « C’est très difficile de dicter aux gens où habiter, dit Mme Gauthier. C’est punitif. Une taxe au kilomètre signifie qu’on est pénalisé si on habite en banlieue, encore plus en région. La ville ne convient pas à tous. Cela dit, seulement 1 % des voitures sont électriques au Québec, alors je ne pense pas que la problématique sera importante demain matin. »

Bertrand Schepper, de l’IRIS, et Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Québec, soulignent aussi que la faible disponibilité des transports en commun en région rend la taxation au kilométrage problématique. « Il faut penser à l’écofiscalité en tenant compte des besoins des citoyens, dit M. Bonin. Le problème de la transition des revenus des taxes sur le carburant à la taxation des véhicules électriques doit inclure la planification du territoire, par exemple en ayant plus de densité et en diminuant la distance vers les magasins d’alimentation. »

Selon M. Schepper, l’une des conséquences les plus importantes du passage des voitures à essence aux voitures électriques sera la baisse du PIB. « Le pétrole gonfle le PIB. Produire et distribuer de l’électricité, ça coûte moins cher, particulièrement avec le coût des énergies renouvelables qui baisse. Il va falloir regarder au-delà du PIB pour définir notre richesse. »