Désespérés de revoir André Gauthier, coincé au Moyen-Orient depuis 2015 et qui risque une lourde peine de prison aux Émirats arabes unis, son fils et d’autres membres de sa famille interpelleront directement le premier ministre Justin Trudeau en début de semaine pour que son gouvernement mette la pression politique nécessaire pour rapatrier l’homme de 65 ans.

André Gauthier est ce Québécois détenu depuis trois mois à Oman, mais qui vit sous la menace d’être extradé vendredi aux Émirats arabes unis, où il sera accusé d’une fraude d’environ 30 millions de dollars. L’homme originaire du Saguenay a été arrêté en 2015 après qu'il aurait alerté les autorités du petit État pétrolier d’irrégularités financières dans l’entreprise Gold AE, dans laquelle il avait des liens d’affaires. Mais ses anciens collaborateurs lui auraient plutôt fait porter le chapeau du délit.

L’homme a d’abord été emprisonné à Dubaï du 30 décembre 2015 au 26 avril 2017, sans avoir de procès et sans accusations formelles, selon sa famille. Il a été relâché en attendant les procédures d’appel. Il s’est par la suite rendu à Oman vers le début de février pour obtenir un passeport au consulat du Canada. Mais au moment de prendre l’avion pour revenir au pays, il a été arrêté par les autorités locales. Il y est emprisonné depuis trois mois.

« Ça sonne comme s’ils [le gouvernement canadien] faisaient quelque chose, mais rien ne se passe. […] Ça fait trois ans et demie que ça dure. Nous faisons confiance aux autorités canadiennes, mais là, nous n’avons plus le temps d’attendre. » — Alexis Gauthier, un des deux enfants d’André Gauthier

Le gouvernement canadien est au courant de la situation de l’homme qui a passé sa vie dans l’industrie des métaux, tant au Canada qu’à l’étranger. Selon des documents consultés par La Presse, le gouvernement serait au fait de la situation de M. Gauthier depuis au moins janvier 2017, mois au cours duquel son fils Alexis a écrit directement à la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, pour l’informer de la situation.

Ce dernier s’est de nouveau adressé à la cheffe de la diplomatie canadienne à la fin du mois d’avril cette année pour lui faire valoir « l’urgence de la situation » et lui demander « de prendre tous les moyens nécessaires » pour rapatrier son père sur le sol canadien. À ce jour, le fils de l’homme d’affaires écroué n’a toujours pas obtenu d’entretien avec la ministre. Il dit aussi avoir essayé, sans succès, au mois d’août 2018, de rencontrer le député de la circonscription fédérale de Mississauga-Centre, Omar Alghabra, qui était alors secrétaire parlementaire de la ministre des Affaires étrangères (affaires consulaires).

Soutien juridique et politique

Dans leurs démarches pour revoir M. Gauthier le plus rapidement possible, les membres de sa famille comptent notamment sur l’avocate Radha Stirling, établie à Londres et fondatrice de Detained in Dubai, une organisation de justice criminelle et civile qui vient en aide aux personnes détenues injustement dans ce pays qui n’a pas la réputation de chérir les droits de la personne.

Selon elle, le Canada a beaucoup de pouvoir dans le dossier de M. Gauthier et c’est pour cette raison qu’elle souhaite s’adresser directement à Justin Trudeau cette semaine. « Il n’y a aucune preuve qui peut démontrer la culpabilité de M. Gauthier dans cette affaire. Si le premier ministre Trudeau montre des muscles, il pourra obtenir quelque chose », affirme Mme Stirling, qui rappelle que le Canada et les Émirats arabes unis ont aussi des ententes bilatérales.

« Le sultanat d’Oman sera ouvert à négocier pour que M. Gauthier soit rapatrié au Canada si le gouvernement canadien met la pression nécessaire, soutient-elle. La balle est dans le camp du Canada. Oman est le pays du Golfe le plus disposé à négocier ce genre de situation. C’est un pays qui cherche à soigner ses relations avec l’Ouest pour attirer les investissements et les touristes. Il ne veut pas être impliqué dans des histoires négatives en lien avec des violations des droits de la personne. Une fois le téléphone raccroché, le gouvernement canadien devrait appeler ses homologues des Émirats arabes unis et exiger l’abandon des accusations. »

Le député conservateur de Chicoutimi–Le Fjord, Richard Martel, entend lui aussi mettre de la pression sur le gouvernement, lui qui aide la famille et discute du dossier avec l’entourage de Chrystia Freeland depuis le mois de mars.

« C’est un citoyen canadien, et le gouvernement canadien doit déployer tous les efforts pour le rapatrier. Il y a des longueurs inutiles dans ce dossier. On sent qu’il n’y a pas la même urgence du côté du gouvernement que de notre côté. » — Richard Martel

Dans un échange de courriels avec La Presse, Affaires mondiales Canada a confirmé être « au courant qu’un citoyen canadien est détenu à Oman ». Le ministère responsable des relations étrangères du Canada s’est contenté de dire que « les fonctionnaires du gouvernement du Canada suivent de près le dossier et des services consulaires sont fournis au citoyen canadien et à sa famille au Canada. Pam Goldsmith-Jones, la secrétaire parlementaire, travaille activement sur ce dossier et l’a soulevé directement avec des représentants du gouvernement d’Oman. En raison des dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, aucun autre renseignement ne peut être divulgué ».

Entre-temps, Alexis Gauthier anticipe la journée de vendredi où son père pourrait être retourné à Dubaï pour y avoir un procès qu’il considère perdu d’avance. « Depuis qu’il est coincé là-bas, mon père n’a pas pu accompagner son père dans ses derniers jours, la mère de ma mère est morte, et ma fille, son premier petit-enfant, est née. Elle a maintenant 17 mois. Et ma sœur est enceinte. L’inaction du gouvernement canadien nous a fait perdre de précieux moments de famille. C’est en train de briser une partie de notre vie. »

Chronologie des événements

30 décembre 2015 André Gauthier est arrêté aux Émirats arabes unis après qu’il aurait dénoncé des irrégularités financières dans l’entreprise Gold AE, avec laquelle il avait des liens d’affaires. La somme de la fraude s’élèverait à 30 millions de dollars. Il est emmené à la station de police de Port Rashid.

20 janvier 2017 Le fils de M. Gauthier, Alexis, écrit une lettre à la ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland, où il explique la situation dans laquelle son père se trouve et demande l’intervention du gouvernement du Canada.

26 avril 2017 André Gauthier est relâché de l’endroit où il est emprisonné depuis près de 16 mois. Son passeport confisqué, il reste à Dubaï pendant la poursuite du processus judiciaire. 

Février 2019 Il se rend dans le pays voisin, le sultanat d’Oman, où il obtient un passeport d’urgence au consulat du Canada pour rentrer au pays. À l’aéroport, il est de nouveau arrêté.

30 avril 2019 Alexis Gauthier et sa famille écrivent une nouvelle lettre à la ministre Freeland pour l’informer de la situation et l’exhortent à obtenir rapidement le rapatriement au Canada de M. Gauthier. 

26 mai 2019 Emprisonné depuis trois mois à Oman, M. Gauthier est menacé d’être extradé vendredi vers les Émirats arabes unis pour y avoir un procès dans le cadre de la fraude qu’il avait dénoncée en 2015.