(ROUYN-NORANDA ) Les consultations publiques sur le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État se sont terminées. Le débat a été vif, mais les sondages révèlent que la majorité de la population en appuie les principes, notamment l’interdiction pour les enseignants de porter des signes religieux. Notre chroniqueur est allé prendre le pouls des Québécois.

Huit kilomètres de choses tranquilles, au centre-ville. On y a aménagé une piste cyclable, on a planté des arbres et, à la fin, ce qui était la poubelle liquide de la ville a fini par ressembler à son poumon.

Tant qu’on n’en brasse pas trop le fond, le lac Osisko est un terrain de jeu magnifique. Une digue ferme la partie qui borde la ville. Un père et son fils pêchaient dans une embarcation. Le gouvernement a déversé dans le lac 80 000 dorés depuis 20 ans. Mais, quand la baignade est déconseillée, qui a envie de manger du doré ? Il vaut mieux « limiter » sa consommation, disent les autorités…

« Sais-tu, il est encore petit, on va le remettre à l’eau… »

Le lac est dans un meilleur état, mais, comme pour certains coins de l’âme humaine, mieux vaut ne pas trop farfouiller dans les sédiments… Longtemps, au siècle dernier, la Noranda y a déversé des produits chimiques, et la ville, ses égouts.

Les bateaux à moteur ne sont pas interdits, mais prière d’y aller délicatement… Un humoriste en tournée au Québec un certain été avait fait un tour avec son gros bateau et avait fait changer la couleur du lac avec son hélice. On en parle encore.

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Aucune photo, aucun film ne peut traduire ce qu’est devenu Malartic.

Les gens ici ont accepté massivement que leur ville ait été en partie déplacée, défigurée, pour faire place à la mine à ciel ouvert Canadian Malartic, d’Osisko. Le débat est clos.

Mais on n’a pas idée à quel point la mine a débordé la ville.

En roulant vers Val-d’Or, on entre dans Malartic et on voit dès le centre-ville des buttes grisâtres derrière une lisière d’arbres. Et ça continue, ça continue, ça continue sur des kilomètres après Malartic.

Je me suis arrêté pour prendre une photo d’un tout petit bout de l’opération. Au loin, des points jaunes comme des camions jouets circulaient. Ce sont évidemment des engins gigantesques. Impossible en vérité d’embrasser la mine d’un coup d’œil.

Celle-là est visible, spectaculaire, monstrueuse, à ciel ouvert. Mais ce ne sera pas la dernière cicatrice sur le territoire. Il y en aura d’autres. Sur toute la faille de Cadillac, entre Rouyn et Val-d’Or, plein d’autres projets sont sur la carte. Ça prospecte fort, ça fore fort.

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Ils sont cinq attablés à l’atrium de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Au plafond flottent les drapeaux de toutes les nationalités représentées ici, et il manque de place. C’est une suite historique cohérente, Rouyn, ville minière ayant toujours été plus cosmopolite que les villes « de bois ».

PHOTO YVES BOISVERT, LA PRESSE

De gauche à droite : Marwen Jouini, Chloé G. Larochelle, Alex Kabambi Kalonji, Emma Charbonneau et Gary Schudle

Alex vient de la République démocratique du Congo (RDC), Emma de Bretagne, Chloé de Sherbrooke, Marwen de Tunisie et Gary est américain. Ils ont entre 26 et 35 ans. Ils font tous un doctorat en génie des mines. Et s’ils sont venus des quatre horizons, c’est qu’il y a ici l’Institut de recherche en mines et environnement, qui a acquis une réputation internationale.

S’ils sont ici, c’est aussi pour trouver des moyens de restaurer les sites miniers de manière à peu près convenable.

Alex Kabambi Kalonji, après des études en RDC et en Belgique, étudie ici le moyen de restaurer des sites avec des résidus miniers. On a eu coutume de restaurer les anciennes mines en les recouvrant avec des matériaux naturels, mais ça suppose de détruire d’autres environnements pour en réparer un… L’idée est donc de trouver le moyen de « capturer » les résidus toxiques pour qu’ils ne soient pas libérés dans la nature (au contact de l’oxygène, ils s’oxydent, produisent des soupes toxiques, de ces lacs orange…). En utilisant d’autres résidus stables, on ferait d’une pierre deux coups.

Emma Charbonneau a assisté en France à une conférence du professeur Bruno Bussières, qui dirige plusieurs étudiants ici. Elle a été fascinée – et charmée – par son accent, c’est elle qui le dit. Du coup… elle débarquait ici.

« Il n’y a plus aucune mine active sur le territoire français. Non pas qu’il n’y a pas de minerais d’intérêt, mais le territoire est tellement occupé, il n’y a pas d’acceptabilité sociale. Quand j’ai dit à mes parents que je venais étudier ici, ils m’imaginaient dans une mine de charbon avec une pioche… »

Elle aussi s’intéresse à l’après-mine, tente de développer un nouveau matériau composite résistant, étanche.

Chloé G. Larochelle s’intéresse aux effets des changements climatiques : dans le Grand Nord, on a eu l’habitude d’enfouir les résidus dans le pergélisol. Qu’arrive-t-il s’il fond, comme c’est le cas à certains endroits ?

Marwen Jouini s’intéresse aux questions liées au pétrole – c’est l’enjeu en Tunisie, pas les mines d’or… Comment imiter la nature en créant des systèmes de traitement « passifs » pour restaurer d’anciens sites d’exploitation ?

L’avantage ici est évidemment que les sites sont à (relative) proximité. Ils ont tous passé beaucoup de temps sur le terrain. Un terrain parfois révoltant.

Gary Schudle, un Californien d’origine, me montre des photos qu’il a prises sur le site d’Aldermac. Une grenouille morte flotte dans une eau ocre. « J’étais traumatisé », dit le doctorant.

« C’est le parfait exemple, c’est pour ça qu’on est ici, pour que ça n’arrive plus », dit Chloé.

À l’inverse, d’autres sites ont été restaurés adéquatement. Il y a eu de la négligence et de l’indifférence de la part de l’industrie, évidemment, mais aussi de l’ignorance.

Ils m’ont fait visiter leur labo, plein de bouteilles, de tubes et de sols en miniature.

« Tout l’intérêt de la recherche, c’est de planifier à long terme, de penser à la restauration avant même que la mine ne soit exploitée », dit Emma.

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On a parlé des signes religieux pour finir. Surtout pour dire que ça ne les allume pas, mais vraiment pas.

J’ai pas fait exprès, je vous jure, c’est tombé comme ça. Prochain coup, je demanderai à un institut de sondage de me trouver un échantillon représentatif de la population « en région », promis.

J’aurais cru à des points de vue plus contrastés…

Eh non.

Ils étaient tous opposés aux restrictions. Pour eux, ça n’a « aucune importance », on « focalise sur les femmes musulmanes, on ne devrait même pas en discuter », dit Emma. « Pour moi, l’État qui interdit le port d’un signe dans une fonction, c’est la même chose qu’un père qui ordonne à sa fille de le porter », dit Gary.

« Dans mon pays, où presque tout le monde est chrétien, ce n’est pas un sujet, mais tant que le travail est bien fait… »

On ne parle évidemment pas du voile intégral, évidemment, qui entre autres choses pose un certain nombre de défis de sécurité en laboratoire…

Autrement, ils ne comprennent pas trop l’énervement.

Il faut dire que ces gens-là sont en ce moment beaucoup plus occupés à inventer des manières de réparer le monde. Et on leur a laissé du travail en masse.