Je monte l’escalier de la ruelle de mon enfance, j’arrive sur la galerie qui n’est pas encore fleurie. Il est trop tôt. Le printemps n’est pas chaud. Tous les étés, depuis plus de 50 ans, il y a tellement de fleurs sur cette petite galerie que ce n’est plus une galerie, c’est un bouquet, un immense bouquet offert aux voisins.

La porte est débarrée. J’entre. Je traverse une toute petite pièce qui fut ma chambre, il y a longtemps. J’y ai fait des rêves gelés tellement la maison est mal isolée. J’entends des voix. Le monde est dans le salon. Pour arriver au salon, il faut traverser toute la maison.

La cuisine, là où maman a dû passer la moitié de sa vie. Il y a non seulement le four, le poêle, le réfrigérateur et le lave-vaisselle, mais il y a aussi la laveuse et la sécheuse. Tout pour rendre une famille du XXe siècle heureuse ! Rien ne m’a jamais mieux bercé que le bruit de ma mère qui s’affaire dans la cuisine, le soir, pendant que j’essayais de m’endormir. Ça valait toutes les histoires qu’elle aurait pu me conter. C’était l’histoire de la vie chez nous. Les assiettes à ranger, les lunchs à préparer, le linge à plier… Et ça finissait bien parce que ça ne finissait pas. C’était toujours à recommencer.

Me voilà dans la salle à manger. Qui était aussi la salle à étudier, la salle à jouer, la salle à lire, la salle à jaser, la salle à s’amuser, la salle à bouder. C’est là qu’on se racontait nos journées. Puis, c’est le corridor vers l’entrée. Je le traversais toujours en courant. Les enfants sont toujours pressés. Les enfants ont toujours hâte à ce qui s’en vient. Je courais accueillir ma mère qui revenait de magasiner. Je courais regarder le hockey dans le salon. Je courais souvent pour rien. Je courais parce que marcher, c’est ennuyant. Marcher, c’est pour les grands.

Au milieu du corridor, il y a, à gauche, la chambre principale et, à droite, la salle de bains. C’est le carrefour de toutes les envies. Quand on avait juste envie, on tournait à droite, quand on avait envie de quelque chose, on tournait à gauche, le demander aux parents. On tournait presque aussi souvent des deux côtés !

Et finalement, j’arrive au salon, l’endroit où débutent toutes les réjouissances. J’embrasse ma sœur Dominique, son chum Jacques-Bernard, ma filleule Marjolaine et nos amies Suzanne et Nancy. Normalement, il devrait y avoir maman. Maman est toujours là. Toutes les fois que j’ai traversé cette maison, il y avait ma mère au bout.

PHOTO FOURNIE PAR STÉPHANE LAPORTE

« Cette maison, ç’a toujours été chez maman. Même quand papa vivait, même s’ils l’avaient achetée ensemble, c’était chez maman. On vivait, ma sœur, mon frère, mon père et moi, chez ma mère. C’était elle, l’âme de cette demeure », écrit notre collaborateur.

Cette maison, ç’a toujours été chez maman. Même quand papa vivait, même s’ils l’avaient achetée ensemble, c’était chez maman. On vivait, ma sœur, mon frère, mon père et moi, chez ma mère. C’était elle, l’âme de cette demeure. Elle qui avait choisi l’usage de chaque pièce, la couleur de chaque mur, la disposition de chaque meuble, chaque tableau, chaque bibelot. C’est elle qui accueillait tout le monde. Qui ajoutait un couvert pour chacun de nos amis. Qui mettait des fleurs sur la galerie, faisait un petit jardin sur le côté et entretenait le carré d’herbe devant. Ma mère était notre maison et notre maison était ma mère.

C’est là qu’elle a appris la vie à trois enfants et un mari. C’est là qu’elle est morte, dans sa chambre, dans son lit, en juillet dernier. Ma sœur, avant, habitait le logement du haut. Maintenant, elle habite celui du bas. Chez ma mère, c’est chez elle, dorénavant.

Dominique me demande : « As-tu aimé les rénovations ? » Je réponds : « Oui ! Mais je vais retourner les voir. »

Je refais le chemin dans le sens inverse. Tantôt, quand j’ai traversé la maison, j’ai traversé, pour la dernière fois, la maison de ma mère. Les changements, je les voyais sans les voir, je voyais surtout les souvenirs. Maintenant, c’est la maison de ma sœur que j’explore. Dans la chambre principale, le lit est plus proche de la fenêtre. Bonne idée. Et la table de la salle à manger n’est plus collée sur le mur. Elle est en plein centre. C’est plus invitant. Ma mère doit regretter de ne pas y avoir pensé. Tout est rafraîchi. Tout est encore plus lumineux, encore plus coloré.

C’est chez ma sœur. Totalement chez ma sœur. La disposition des choses, les détails ajoutés, les objets, les œuvres et les livres. Ce n’est plus chez ma mère, mais ce l’est encore un peu, parce que ma sœur est la continuité de ma mère, alors, que sa maison soit au Japon ou au même endroit où était celle de maman, sa maison sera toujours la continuité de celle de ma mère. L’âme qu’elle donne à la demeure se superpose à celle que ma mère lui a donnée. La maison restera le phare pour tous les marins de la famille.

Lors de sa longue maladie, ma mère disait souvent à sa fille : « Quand je ne serai plus là, tu descendras en bas. On est bien en bas. Il y a tout. » Ma sœur ne répondait pas. Elle était bien en haut. Elle ne croyait jamais changer d’étage. Puis quand ma mère nous a quittés, ça s’est fait tout seul. Ma sœur a déménagé toutes ses affaires en bas. Comme si son cœur était déjà là.

Maintenant, c’est ma mère qui habite en haut d’elle. Tout en haut.

Bonne fête des Mères !